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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

Le Liban : compassion et amour

Les membres du Gladic. Photo USJ

Il faudrait appréhender le Liban avec compassion. Ce n'est pas la pitié qui est une sensibilité aux malheurs d'autrui. La compassion, compassio, c'est souffrir avec. C'est donc l'autre face à l'amour. Il peut y avoir dans la pitié de la condescendance, peut-être une attitude un peu hautaine et extérieure. Compatir, c'est à la fois souffrir avec et aimer.
Pourquoi la compassion pour le Liban? Parce que le Liban est plus que le Liban. Il est au cœur aujourd'hui de trois grands problèmes internationaux: le problème de la sauvegarde des petites nations dans le système international, celui de l'efficience des systèmes constitutionnels de partage du pouvoir ou parlementarisme pluraliste, et celui des rapports entre les religions.
Pour comprendre le Liban, il faut se libérer des clichés, slogans et programmations intellectuelles et académiques en vogue. On connaît en effet la boutade: «Si quelqu'un vous dit qu'il a compris le Liban, c'est qu'on le lui a mal expliqué!» La raison en est qu'il faut déprogrammer, dépolluer l'esprit des idéologies sur l'État-nation, la laïcité, le communautarisme...
Il faut que des intellectuels, universitaires et acteurs sociaux travaillent à repenser le Liban, avec authenticité et innovation, à la manière de Bernard Shaw qui dit: «La personne la plus intelligente que j'ai rencontrée, c'est mon tailleur, parce que chaque fois que je vais chez lui, il reprend mes mesures!»
1. Appréhender le Liban avec compassion, sans dénigrement, mais avec amour, pour cinq raisons au moins.
a. Le Liban est un dilemme géographique dans un environnement hostile ou défavorable. Les Libanais vivent dans un pays comme les habitants d'un appartement dans un immeuble en copropriété. Les voisins sont hostiles ou, dans le moins pire des cas, en transition démocratique. Que faire? Appliquer la politique de prudence dans les relations extérieures, le respect absolu du document de
Baabda 11/6/2012.
b. Tout régime constitutionnel dans une situation d'occupation, hostile ou «fraternelle», est perturbé. Accuser à tout bout de champ l'édifice constitutionnel libanais en extrapolant l'occupation témoigne d'un aveuglement flagrant. On peut énumérer toutes les techniques de manipulations pratiquées par l'occupant, dont l'abus de minorité, pour rendre le système constitutionnel libanais ingouvernable sans le recours à une nouvelle Sublime porte.
c. Le tragique de la condition libanaise découle de l'importance même du Liban, à propos duquel, Metternich (1773-1859) disait: «Ce petit pays si important!» Important au point que tout État qui veut se positionner dans la politique régionale utilise, avec certes le soutien de collaborateurs internes, l'arène (sâha) pluraliste et ouverte du Liban.
d. Faire assumer toute la responsabilité des guerres au Liban (1975-1990) au système constitutionnel libanais témoigne d'un autre aveuglement. Ce qui s'est passé au Liban durant ces années, ce sont des guerres (au pluriel) dont une partie est civile.
e. L'édifice constitutionnel libanais, dans ses fondements, n'est pas un problème libanais, mais régional dans un environnement sioniste d'espace identitaire et un autre environnement arabe qui souffre de problèmes chroniques d'égalité et de participation. En outre, tout a été essayé au Liban, par les acteurs internes et externes, lesquels ont, durant les années 1975-1990, pratiqué un jeu solde, comme dans une partie de pocker. Il en découle que le débat national identitaire (hiwâr watanî kiyâni) est clos et qu'il faudra désormais s'engager dans des débats de politique publique.
Dire que les attributions du chef de l'État au Liban ont été réduites témoigne d'un autre aveuglement par rapport à toute la genèse de l'accord d'entente nationale de Taëf et du nouveau rôle, au-dessus des attributions, du président de la République qui «veille au respect de la Constitution» (art. 49 amendé).
2. Les libanologues ou la culture de libanité. Les libanologues, en dépit de la douloureuse, riche et exaltante histoire du Liban, sont moins nombreux qu'on ne le pense. Le cheikh du village et l'épouse illétrée peuvent être de meilleurs connaisseurs du Liban que des intellos programmés qui ruminent une idéologie aliénée et aliénante. Ce qu'on appelle «confessionnalisme» est devenu un fourre-tout de ce qu'on ne comprend pas.
Le «confessionnalisme» n'est pas une notion, ni un concept, ni une catégorie juridique. Ce terme comporte en effet trois notions distinctes, tant pour le diagnostic que pour la thérapie: la discrimination positive ou règle du quota (art. 95), l'autonomie personnelle ou fédéralisme personnel (art. 9 et 10) et l'exploitation de la religion en politique et réciproquement.
3. Que faire? Trois perspectives sont prioritaires pour se libérer d'un lourd héritage de plus de trente ans de guerres et d'occupation:
a. réhabiliter et revitaliser, à tous les niveaux, les institutions;
b. œuvrer pour l'édification d'une mémoire collective et partagée, surtout pour la nouvelle génération, afin de l'immuniser contre des guerres «pour les autres » ;
c. revitaliser le plan de rénovation pédagogique entrepris sous la direction du professeur Mounir Abou Asly dans les années 1996-2002, en vue surtout d'une citoyenneté constructive d'État et de la sauvegarde des valeurs fondatrices du Liban.
Ces valeurs, à propos desquelles l'association Gladic (Groupement libanais d'amitié et de dialogue islamo-chrétien), en partenariat avec le Master en relations islamo-chrétiennes à l'USJ, entreprend depuis trois ans un programme interscolaire qui couvre plus de 30 écoles publiques et privées de tout le Liban, ont surtout émergé durant les deux périodes charnières du Grand-Liban en 1920 et du pacte national de 1943.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel
Titulaire de la Chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, USJ

Il faudrait appréhender le Liban avec compassion. Ce n'est pas la pitié qui est une sensibilité aux malheurs d'autrui. La compassion, compassio, c'est souffrir avec. C'est donc l'autre face à l'amour. Il peut y avoir dans la pitié de la condescendance, peut-être une attitude un peu hautaine et extérieure. Compatir, c'est à la fois souffrir avec et aimer.Pourquoi la compassion pour le...

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