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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Les psychoses, la schizophrénie et la psychothérapie institutionnelle (suite)

Un jeune homme schizophrène est hospitalisé dans notre service de psychiatrie à l'Hôpital Mont-Liban. Il venait de passer huit mois au lit. Il n'en sortait pas, ne parlait pas, ne demandait rien, il y mangeait à peine et il y faisait ses besoins. Sa mère faisait office de nourrice, d'infirmière, d'aide-soignante, etc.

Dans le service, il avait le même comportement. Les infirmiers et aides-soignants l'avaient « à la bonne ». Mais très vite, devant son extrême passivité, l'équipe s'essouffla. Il fallait le laver trois fois par jour tellement il puait. Il ne demandait rien, ce qui était le plus difficile pour l'équipe. Et comme on le sait par Lacan, « toute demande est une demande d'amour », l'équipe était convaincue que ce jeune ne les aimait pas.

Malgré les médicaments qu'il prenait, aucun changement n'apparaissait au début de son hospitalisation.
Au bout de trois semaines, l'équipe manifestait des signes de découragement qui touchaient au désespoir. L'attitude chronique et passive du patient amena l'équipe à se demander s'il ne fallait pas l'orienter vers un autre hôpital psychiatrique où il aurait une meilleure place. Au moment où l'ensemble des membres de l'équipe acquiesçait à cette idée, une infirmière et un aide-soignant proposèrent de lui donner encore une chance.
Le soir même, comme cela se passe fréquemment avec les schizophrènes, à savoir une sorte de branchement inconscient avec leurs thérapeutes, le patient se met à parler, demande à manger et va seul aux toilettes. Aussitôt, émue jusqu'aux larmes, l'infirmière m'appelle pour m'annoncer la nouvelle.
Le patient passa encore un certain temps dans le service. Il sortait de sa chambre, allait au salon où il rencontrait les autres patients hospitalisés et devenait de plus en plus autonome.

Un événement banal mais d'une importance extrême eut lieu. Comme elle le faisait auparavant, la mère du patient vint le voir à midi, avec les plats qu'elle lui avait cuisinés. À cet instant précis, un aide-soignant entra dans sa chambre avec le plateau repas. D'un geste ferme et sans aucune hésitation, il écarta les plats présentés par sa mère et prit le plateau offert par l'hôpital. Cet exemple montre, avant toute explication, comment fonctionne la psychothérapie institutionnelle.

Il est évident pour tout le monde que lorsqu'un proche est hospitalisé, sa plus grande joie est de recevoir des plats cuisinés par sa famille. Là, il ne s'agissait ni de la qualité ni du goût de la nourriture, mais de là où elle vient. La nourriture, c'est la mère, on le sait. Pendant son hospitalisation, le patient fait l'expérience d'une sorte de mère adoptive, l'équipe. La première partie de son hospitalisation, aucun changement dans son comportement. Prostré dans son lit, il ne parlait pas, ne mangeait pas, buvait à peine, faisait ses besoins dans son lit. Comme pendant les 8 mois qu'il passa au lit, à la maison, avec sa mère qui jouait le rôle d'une infirmière. Qu'est-ce qui a alors changé?

Chez lui, avec sa mère qui était rivée à lui, il percevait la chronicité dans sa relation avec sa mère, une fusion. La mère ne pouvait pas se passer de lui et le fils répondait à cette demande inconsciente de la mère en se sacrifiant dans son autonomie, même la plus élémentaire, et dans son indépendance. Il était comme un nourrisson avant le sevrage, la mère ne voulant pas le sevrer pour le garder au sein et lui acceptant cela dans une fusion totale jouissive avec elle. En l'emmenant à l'hôpital, malgré elle, la mère acceptait une confrontation avec l'extérieur. Le service de psychiatrie fonctionna comme un tiers. Même si la mère l'a fait parce qu'elle n'en pouvait plus physiquement et qu'elle était épuisée. Commençait alors un début d'autonomie et d'indépendance.

Quant à l'équipe, au bout de quelques semaines, elle était elle aussi épuisée. Les membres de l'équipe se sont occupés de lui, comme une mère, mais lorsqu'ils se sont rendu compte qu'ils n'en pouvaient plus, ils ont proposé de l'envoyer ailleurs. Ce qui veut dire qu'ils ont accepté de se séparer de lui. C'est la différence majeure entre la mère et l'équipe qui remplit une fonction maternelle, mais qui accepte de se séparer du patient, pour son bien à lui.

Dans les hôpitaux psychiatriques, la chronicité est aussi la chronicité du lien entre le personnel et les patients. Les premiers acteurs de la psychothérapie institutionnelle, psychiatres, psychanalystes, psychologues, personnels soignant, se sont rendu compte de cette dimension-là de la chronicité : les soignants, sur un plan tout à fait inconscient, n'acceptaient pas facilement de se séparer des patients. Mais l'institution aussi puisque, sur le plan financier, cette dernière vit du prix de journées que lui versent les assurances maladies. Voilà pourquoi leur premier slogan était : « Il faut soigner l'hôpital avant de soigner les gens. »

Pour ces raisons, les expériences pilotes ont été menées dans le privé, notamment à l'École expérimentale de Bonneuil, fondée par Maud Mannoni dans les années 60, et la Clinique de Laborde, fondée par Jean Oury en 1953. Nous verrons cela la prochaine fois.


 

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Dans le service, il avait le même comportement. Les infirmiers et...

commentaires (3)

Merci pour cette précision: en effet, j'au pu retrouver dans la rubrique dossier et +, celle de la santé qui traîte en effet de certains des sujets médicaux que j'avais mentionné, mélangé à beaucoup de recettes gastronomiques et autres, mais encore très déficient sur beaucoup de domaines médicaux d'actualité et, surtout, difficiles d'accés sur internet, pour un lecteur qui va rarement dans tous ces dossiers par manque de temps! Or, comment se fait-il que certains sujets médicaux sont publiés sous la rubrique LIBAN, que nous parcourons tous les jours, et pas les autres? Seraient-ils plus importants?

Saliba Nouhad

23 h 46, le 01 décembre 2016

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Commentaires (3)

  • Merci pour cette précision: en effet, j'au pu retrouver dans la rubrique dossier et +, celle de la santé qui traîte en effet de certains des sujets médicaux que j'avais mentionné, mélangé à beaucoup de recettes gastronomiques et autres, mais encore très déficient sur beaucoup de domaines médicaux d'actualité et, surtout, difficiles d'accés sur internet, pour un lecteur qui va rarement dans tous ces dossiers par manque de temps! Or, comment se fait-il que certains sujets médicaux sont publiés sous la rubrique LIBAN, que nous parcourons tous les jours, et pas les autres? Seraient-ils plus importants?

    Saliba Nouhad

    23 h 46, le 01 décembre 2016

  • Bonjour, nous avons une page hebdomadaire santé. Vous pouvez la trouver en suivant ce lien : http://www.lorientlejour.com/rubrique/2016-11-29/30-sante Bien à vous

    L'Orient-Le Jour

    16 h 57, le 01 décembre 2016

  • Avec tout le respect que nous devons à Mr. Azouri, psychiatre émérite, mais depuis le temps que je lis ses articles sur les théories psychanalytiques des psychoses et névroses, et malgré mon back-ground medical, j'ai de la vraie difficulté à suivre le cheminement de sa pensée et ses explications dans un journal sensé éclairer un Mr. Tout-le-monde.... Sur des sujets qui frôlent la métaphysique, controversés, et avec différentes écoles de pensée! Je suis étonné que vous n'ayez pas, dans votre journal, une rubrique médicale plus diversifiée, sur des sujets vitaux qui touchent un peu tout le monde, comme les problèmes nutritionnels, l'obésité, les avancées de la médecine moderne dans les préventions cardio-vasculaires et du cancer etc... Des experts dans ces domaines, vous en avez plein, il s'agit de savoir choisir les meilleurs, et surtout ceux qui savent se mettre à la portée de leurs lecteurs tout en demeurant basés sur les évidences scientifiques!

    Saliba Nouhad

    15 h 28, le 01 décembre 2016

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