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Moyen Orient et Monde - Éclairage

La justice française durcit sa réponse à la « déferlante » jihadiste

La répression judiciaire s'est durcie vis-à-vis de tous les publics, y compris les femmes et les mineurs.

Photo d’archives de l’arrestation le 18 mars 2016 à Bruxelles de Salah Abdeslam, l’un des cerveaux des attaques du 13 novembre à Paris. Capture d’écran

Le 30 septembre, Youssef L., 29 ans, a été condamné à Paris à quatre ans de prison dont deux ferme. Son délit : avoir incité un correspondant à commettre un attentat via Telegram et s'être abonné à une chaîne revendiquée par l'État islamique. Pourtant, Youssef se défend de toute radicalité et assure n'avoir fait que « jouer un rôle » sur la messagerie cryptée, pour se moquer de personnes qu'il juge « perchées ». À l'un de ses correspondants, il a en effet suggéré de « passer à l'action ». Mais peu de temps après, il lui proposait de lui vendre une bombe nucléaire, signe évident, dit-il, de la légèreté de sa démarche.

Reste que devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, où sont jugées toutes les affaires de terrorisme hors attentat ou tentative, la plaisanterie ne passe plus. Depuis janvier 2015, dans un contexte de menace maximale, les peines prononcées pour association terroriste de malfaiteurs, un délit qui réprime le projet criminel, notamment les départs sur zone de combat, se sont fortement alourdies. « Les échelles de peines ont complètement explosé », note Me Martin Pradel, qui défend actuellement une vingtaine de jihadistes présumés. « Auparavant, on essayait vraiment de comprendre si la personne avait commis des faits qui étaient graves en eux-mêmes, indépendamment du contexte. Maintenant, clairement, le contexte est pris en compte de manière très lourde », ajoute-t-il. « Il y a quelques années, un combattant de retour d'Irak pouvait être condamné à quatre ans de prison ferme », confirme Me Martin Méchin, qui représente Youssef L. « Aujourd'hui, c'est six à huit ans minimum avec la Syrie. »

 

(Lire aussi : Les attentats terroristes se suivent, mais ne se ressemblent pas)

 

Des peines à la mesure de la dangerosité
Dernier durcissement en date : le procureur de Paris, François Molins, a décidé fin avril de criminaliser certains dossiers traditionnellement jugés devant le tribunal correctionnel, où la peine maximale encourue est de dix ans. « On utilisait jusqu'ici la qualification criminelle en cas d'exactions, pour les individus vus par exemple sur une vidéo exécuter quelqu'un ou brandir une tête coupée. Pour tous les autres, les combattants, les candidats au départ, les femmes ou les soutiens logistiques, c'était de l'association de malfaiteurs correctionnelle », a-t-il expliqué en septembre dans Le Monde. « Face à l'évolution radicale créée par les appels au meurtre et les attentats répétés depuis janvier 2015, il fallait raisonner différemment. »

Désormais, tous les suspects partis en Syrie après janvier 2015, et ayant participé à des combats ou à des patrouilles, seront jugés aux assises, où la peine encourue a récemment été portée de 20 à 30 ans. « Il était absolument nécessaire d'aggraver le quantum des peines pour être à la hauteur des enjeux », juge le procureur général de la Cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault. « Ces sanctions sévères correspondent à la mesure de la dangerosité de certains individus particulièrement déterminés. » Protéger la société en enfermant plus longtemps ces personnes, tel est l'objectif affiché par le ministère public. « La prison a d'abord une fonction de réadaptation et de resocialisation », reconnaissait en septembre François Molins. « Mais on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. »

La répression judiciaire s'est durcie vis-à-vis de tous les publics, y compris ceux qui étaient plutôt considérés comme des victimes : les femmes et les mineurs. « Les femmes ont désormais vocation à être poursuivies et à être condamnées, le cas échéant aux assises », dit ainsi Catherine Champrenault. « Il faut être extrêmement lucide sur leur rôle prégnant dans la construction de la société islamiste et dans la glorification des actes terroristes. » Même constat en ce qui concerne les adolescents, après l'arrestation de nombreux jeunes ces derniers mois. 600 mineurs font l'objet d'un suivi par la protection judiciaire de la jeunesse pour radicalisation, selon la chancellerie. Le nombre d'enquêtes ouvertes pour jihadisme sur les neuf premiers mois de l'année 2016 a augmenté de 80,4 % par rapport à la même période en 2015, d'après la présidence du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris.

 

(Pour mémoire : Le mémorial spontané des attentats de Paris disparaît de la place de la République)

 

La prison, un no man's land total
« On peut s'attendre à ce que la Cour d'assises de Paris spécialement composée connaisse un afflux d'affaires », estime la procureure générale Catherine Champrenault. Selon elle, la cour devrait avoir à juger sept ou huit affaires d'associations de malfaiteurs terroristes dès 2017, et probablement le double en 2018. Pour se préparer à cette « déferlante », les magistrats amenés à siéger aux assises vont assister aux prochaines audiences correctionnelles, indique la présidence du TGI.

Mais alors que cette stratégie se précise, plusieurs avocats mettent en garde contre un alourdissement des poursuites et des peines qui s'applique à tous, de manière indifférenciée. « Il y en a qu'il faut enfermer et maintenir enfermés, mais ce qui est inquiétant c'est que la seule réponse qu'on apporte c'est la prison ferme », dit Martin Méchin, l'avocat de Youssef L. Devant le tribunal correctionnel, il a contesté la constitutionnalité du délit de consultation habituelle de sites jihadistes, pour lequel son client a notamment été condamné. Ce nouveau délit, puni de deux ans de prison ferme et 30 000 euros d'amende, établit selon lui une présomption de mauvaise foi. « C'est certain que c'est difficile de repérer chez qui ça va être le signe d'une vraie radicalisation », dit-il. Mais « l'incarcération de plusieurs années, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur moyen de permettre à ces gens de se réinsérer. » « On renforce un sentiment de persécution chez des jeunes déjà un peu fragiles, il n'y a rien de plus contre-productif. »

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