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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Face à la psychose ambiante, l’urgence d’une nouvelle responsabilité collective

Le phénomène s’intensifie en Italie et en France : les communautés musulmanes se mobilisent contre le terrorisme et le jihadisme. Ici, l’imam Sami Salem prononçant son allocution hier dans l’église Santa Maria à Rome, lors d’une messe en hommage au père Jacques Hamel, tué lors d’une attaque dans son église à Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet. Tiziana Fabi/AFP

Les attentats en Europe se multiplient depuis quelques semaines, générant un climat de peur et de tensions. Malgré les appels au calme des politiques et des religieux, les discours de haine sont de plus en plus audibles à l'encontre de la communauté musulmane notamment, et les actes islamophobes se font plus nombreux. Le phénomène, inédit, semble aujourd'hui particulièrement difficile, sinon impossible, à endiguer. Plus perceptible, semble-t-il, en France qu'en Allemagne, le clivage social augmente. C'est d'ailleurs l'un des objectifs du groupe État islamique (EI), responsable de manière plus ou moins directe des attaques quasi hebdomadaires en Europe.

« On voit qu'il y a une volonté de semer la terreur, plus que la peur. Ce qui distingue ces deux notions, c'est que la peur a toujours un objet, contrairement à la terreur », explique Chawki Azouri, psychanalyste libanais, avant d'ajouter : « Quand on est terrifié, on met un nom sur ce qui nous attaque, pour rationaliser. Comme le disent les linguistes, quand on nomme l'innommable, on le tue. »

Parallèlement à l'impact psychologique de ces attaques sur les sociétés française et allemande, le contrecoup social et sociétal est bien entendu inévitable. La dualité entre les musulmans et le reste de la société occidentale, à laquelle ils appartiennent pourtant, est recherchée. Pour El-Yamine Soum, sociologue et enseignant à Paris III, il est étonnant que « les digues de la société française, l'une des plus multiculturelles d'Europe, tiennent encore, alors que cette série d'attaques touche la conscience collective et contribue à créer une psychose ».

La répétition très rapide d'un drame – une douzaine de jours entre le 14 juillet et l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray – pèse très lourd, et plusieurs réactions sont palpables après chaque attentat, souligne Michel Wieviorka, sociologue et auteur de Le séisme. Marine Le Pen présidente (éd. Robert Laffont). Différentes réactions et tentations sont vécues par les individus et les groupes, selon l'expert, qui les énumère. Certaines personnes se replient sur elles-mêmes. D'autres se durcissent, se radicalisent, cherchent des responsables. Une troisième réaction serait de se dire qu'il faut des mesures de plus en plus sévères, que le pouvoir actuel n'en est pas capable, etc. Face à cette radicalité politique, certains vont appeler à refuser la haine, la violence, reconstituer le lien social, afficher de la solidarité. À ce niveau, beaucoup de solidarité sociale concrète est également apparue, notamment depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hypercasher, qui ont servi de déclic à certains citoyens, lesquels, depuis, tentent de faire quelque chose d'utile.

Stratégies de divisions
Ce n'est pas un secret, l'un des objectifs de l'EI est de donner lieu à des représailles qui pousseraient à une guerre de religions, une guerre civile. Il s'agit pour l'EI, analyse Chawki Azouri, de prouver de cette manière les injustices dont sont victimes les musulmans, justifiant ainsi les actes du groupe. En outre, cette prolifération d'attaques décrédibilise les autorités, censées protéger les citoyens de telles violences. L'un des assaillants de l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray portait par exemple un bracelet électronique, mais qui n'a servi à rien. Ce discrédit est également l'un des objectifs recherchés de l'EI, juge le psychanalyste : « C'est un peu comme les adolescents qui se moquent de leurs parents, les défient. Il n'y a plus d'ordre ou d'autorité. »

Cette stratégie de division, qui est celle de l'EI, est une évidence aujourd'hui pour de plus en plus de personnes, d'après Michel Wieviorka, mais il s'agit de trouver les mesures appropriées pour y répondre. L'un des premiers problèmes qui se posent, pour le sociologue, est « le manque de responsabilité collective », soit le silence de certaines gens face aux dérapages, aux changements observés chez des proches.
En attendant, la multiplication des mesures sécuritaires ne semble rien donner, et des solutions se font de plus en plus pressantes pour faire baisser, sinon faire cesser dans l'immédiat ces attaques. « Une solution politique et militaire est nécessaire avant tout. Mais il y a un malaise mondial qui n'est pas près de se dissiper. Il empêche l'individu de se comporter comme un citoyen responsable de l'autre », estime Chawki Azouri. Et, face à un besoin clair d'assurer la sécurité des citoyens, il s'agit pour El-Yamine Soum, pour qui le volet « collectif » est crucial, de « renforcer les passerelles, de combattre les idéologies extrémistes, de les signaler ». Il faut prendre conscience qu'on est face à une menace différente, souligne le sociologue, qui appelle aussi au renforcement des renseignements.

Même son de cloche pour Michel Wieviorka, qui insiste également sur le fait que les rôles diplomatique et géopolitique français sont à revoir et appelle à des changements au sein même des sociétés occidentales. « Beaucoup de choses peuvent être faites pour endiguer cette logique de rupture totale. Une société qui rouvre certains débats, qui devient plus citoyenne, tout cela est très important, mais prend du temps. L'EI donne du sens à des gens qui ont le sentiment d'être sans perspective. C'est seulement lorsque c'est sur le fond que notre société sera plus responsable que ce phénomène commencera à régresser », affirme Michel Wieviorka.

 

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