Il y a eu un fort pourcentage de violence morale et psychologique dans la crise des déchets que nous avons vécue toute une année durant : violence visuelle des montagnes de sacs amoncelés ; violence olfactive de la puanteur émanant des sacs mal fermés fermentant au soleil ou des miasmes des déchets en train de brûler, s'étirant le long de l'autoroute et dans les quartiers ; violence politique dans la mesure où cette crise fut également une crise d'imprévoyance et de corruption venue des plus hautes sphères de l'État, et souvent une succession de mensonges qui a épuisé la santé, la vigilance et la confiance de beaucoup.
Les déchets qui s'amoncellent ou serpentent aujourd'hui au soleil de septembre dans le Metn et le Kesrouan ne sont que le dernier épisode d'une imprévoyance chronique à laquelle est venue s'additionner une nouvelle irréflexion irresponsable.
Cette nouvelle crise est née de la fermeture, 23 jours durant, de la décharge de Dora – Bourj Hammoud par un Samy Gemayel rêvant d'activisme, qui croyait ainsi pouvoir imposer le tri des déchets. Elle a été réglée après une marche arrière de son parti et la réouverture de la décharge, mais elle n'a pu être résorbée complètement.
Les déchets stockés 23 jours durant n'ont plus leur place, assure-t-on, dans la zone de stockage de Dora, et les grands sacs blancs étanches dans lesquels ils sont progressivement empilés (ou les sacs de déchets brûlés par les municipalités qui n'ont pas de quoi payer des sacs blancs, ni des camions de transport) ne seront dégagés des rues que dans vingt jours, à partir du 7 octobre précisément, date prévue pour la fin de l'aménagement du premier bac géant et traité avec des bâches isolantes de la décharge de Dora qui pourra en contenir les miasmes et le jus.
(Pour mémoire : Déchets : les Kataëb lèvent le sit-in, mais poursuivent « la lutte contre la corruption »)
Le plus navrant, c'est que, refusant d'admettre l'échec, au moins partiel, de son mouvement, le parti de Samy Gemayel le présente comme une victoire, affirmant qu'il a aidé à la promotion de la décentralisation par les municipalités. On en reparlera dans un an ou deux. Et, en attendant, que l'on ne parle pas de succès là où il n'y en a pas. Que l'on n'imite pas une certaine organisation qui criait d'autant plus fort victoire qu'elle s'éloignait de son objectif initial.
Certains même engagent la responsabilité du parti Tachnag, qui règne sans partage sur la région de Dora, sa municipalité et le dépotoir qui existe dans son voisinage. Pour ces personnes, ce parti infligerait en ce moment au parti Kataëb une sorte de « leçon », qui s'avère malheureusement être une « punition collective », en interdisant le ramassage immédiat de tous les déchets, y compris des sacs en état de pourriture avancée, sous prétexte qu'il n'y a pas pour eux d'espace de stockage à Dora. Mais il est difficile de croire qu'un minimum de bonne volonté et de coordination n'aurait pas limité les dégâts que l'on voit.
Reste à savoir pourquoi les municipalités, qui ont sévi par moments contre les particuliers qui brûlaient les déchets, s'y mettent aujourd'hui de bon cœur, comme tous ceux qui ont circulé hier entre Tabarja et Dora ont pu le constater. En désespoir de cause ? Mais c'est la pire des solutions ! Les experts ont en effet multiplié les avertissements contre les émanations de dioxine cancérigène, de métaux lourds, de polluants organiques persistants, d'hydrocarbures aromatiques, de pluies acides et de particules de déchets provenant de la combustion de certaines matières plastiques ou de l'accumulation de déchets à l'air libre. Le taux de dioxine dangereuse a même été évalué à 300 % du taux jugé inoffensif, à l'intérieur des nuages toxiques qui envahissent les quartiers, s'infiltrent à travers portes et fenêtres, s'étirent le long des autoroutes et envahissent les voitures qui les traversent, avant de s'incruster dans nos alvéoles pulmonaires.
(Lire aussi : Les déchets de 45 municipalités seront à nouveau collectés)
Le ministre Akram Chehayeb, chargé de ce dossier, a lancé hier un appel afin de mettre fin à cette pratique, qui se perpétue cependant au nom justement de... la décentralisation. Qui l'entendra ? Ne faudrait-il pas commencer à surveiller les grands paramètres de la santé publique des Libanais, et la santé des éboueurs de Sukleen qui travaillent dans ces conditions épouvantables ? Quel est donc le taux de cancers des poumons dans cette population de travailleurs ? Quelqu'un a-t-il songé à le mesurer ?
Au fait, où donc en est le procès intenté à cette société? A-t-elle réellement honoré les contrats de traitement des déchets auxquels elle s'est engagée ? Dans de nombreuses municipalités, on explique l'insuffisance d'expérience dans le traitement des déchets, ainsi que la pauvreté de l'équipement par la centralisation, par Sukleen, de ce service public, de longues années durant ? Jugerons-nous un jour nos responsables pour tant d'imprévoyance criminelle ?
Voir aussi
"Nos poubelles sont plus propres que nos politiciens !" : paroles de Libanais excédés
Pour mémoire
Vers une réduction de la phase transitoire du plan gouvernemental de quatre à un an
Les municipalités du Metn et du Kesrouan dans la tourmente : à quand la collecte des déchets?
commentaires (10)
Il y a une poignée de gens qui font du bon travail de recyclage. Tergiverser est évidemment inutile. Si certains sont irresponsable cela ne doit pas empecher de nous sortir de notre situation d'autant plus que nous sommes tous bons consommateurs. C'est notre inertie qui est à remettre en question . Si on veut on peut;))
Cecile Noshie
20 h 55, le 20 septembre 2016