En tant que nouveau président de la LTA, quelles vont être les grandes lignes et priorité de votre mandat ?
En tant que président du nouveau conseil d'administration*, mon rôle est de définir les grandes lignes de la nouvelle stratégie de la LTA. Depuis la création de l'association, sa priorité était de sensibiliser le citoyen libanais à la corruption et à la transparence. Mais aujourd'hui, l'environnement a beaucoup évolué, car les Libanais ont réellement pris conscience de ces enjeux. Il est très encourageant de voir d'autres associations qui partagent nos objectifs, comme Sakker el-Dekkené par exemple, ou certains collectifs de la société civile qui ont émergé lors de la crise des déchets, comme « Vous puez ! » ou « Nous réclamons des comptes ».
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Nous avons donc l'opportunité de tirer profit de ce qui s'est manifesté sur le terrain, pour mettre en place une nouvelle stratégie permettant de coordonner une action collective avec la société civile, selon les buts définis par ses acteurs. Nous pouvons également travailler avec le secteur privé et les médias. Car la seule façon de faire du lobbying c'est à travers une action collective, notamment pour le vote de projets de lois importants comme le texte sur l'accès à l'information, déposé en 2009, ou la proposition de loi sur les lanceurs d'alertes, déposée en 2010. En attendant, la loi déposée en 2012 sur les partenariats public-privé est débattue en commission parlementaire des Finances et du Budget. Si elle est adoptée, elle permettra de rendre ces procédures les plus transparentes possibles.
Et, si cette initiative d'action collective ne trouve aucune réaction de la part des dirigeants politiques, il faudra alors réfléchir à un mécanisme qui permettrait à un nouveau parti d'entrer au Parlement. Ce parti devra représenter tous les citoyens libanais et penser selon les lignes de réforme de bonne gouvernance et de transparence. Mais, cela est bien plus compliqué...
Nous allons également commencer à travailler avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) qui va entamer un programme anticorruption au Liban concentré sur les secteurs des douanes, la justice et la santé. Pour l'instant, les axes d'actions n'ont pas encore été définis dans les détails.
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Quels sont les actes de corruption les plus répandus au Liban ?
Il existe deux catégories de corruption : la petite corruption et la grande corruption. Le citoyen est le plus souvent confronté au premier type, c'est-à-dire le paiement de pots-de-vin auprès d'une administration publique afin d'obtenir un service public. Ces pratiques font tellement partie du quotidien des Libanais qu'ils pensent que s'ils ne paient pas, ils ne recevront pas ce service. Mais la grande corruption, qui peut, elle, concerner plusieurs milliers de dollars, est moins visible. Comment peut-on demander à un fonctionnaire qui est au bas de la hiérarchie de l'administration publique de ne pas accepter de pots-de-vin lorsqu'il voit ce qui se passe au-dessus de lui ? C'est pourquoi la lutte contre la corruption doit commencer par le haut, sinon l'action manquerait de crédibilité. Pour cela, il faut qu'il y ait une volonté politique qui n'existe pas encore aujourd'hui, mais qui peut se développer grâce à une action collective.
De même, pour les conflits d'intérêts, au Liban, il n'existe pas de véritable arsenal législatif qui empêche réellement ce type de pratiques. Mais lorsqu'une personne est nommée ministre, elle doit déclarer son patrimoine dans une enveloppe (NDLR : déposée au Conseil constitutionnel), et c'est seulement si des accusations sont portées contre elle que cette enveloppe est ouverte. Jusqu'à présent cela n'a jamais été fait...
Dans ce cas, pourquoi n'avez-vous jamais dénoncé publiquement les politiciens corrompus ?
C'est l'une des grandes questions à laquelle il faudra répondre lors de la définition de la stratégie de l'association. Jusqu'à maintenant, nous avions une stratégie de « No naming, no shaming », mais c'était dans un contexte établi lors de la création de l'association en 1999. Ces deux prochains mois, nous allons réfléchir à la nouvelle orientation de notre stratégie, et voir jusqu'où nous irons. Le « Naming and shaming » n'est pas une mauvaise idée en soi, mais pour cela il faut avoir des preuves tangibles, ce qui n'est pas toujours facile, car la corruption est par définition cachée. Tant que nous n'aurons pas de mécanismes de protection pour les lanceurs d'alertes ce sera difficile à réaliser.
* Le 18 juin, la LTA a élu pour deux ans le nouveau conseil d'administration suivant : Badri el-Méouchi (président), Mosbah Majzoub (vice-président), Rania Uwaydah Mardini (trésorière), Fida Jadayel Turk (secrétaire), Fadi Makki et Charles Adwan (membres).
Pour mémoire
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Courage !
14 h 21, le 27 juin 2016