Une base citoyenne plus critique à l'égard des partis politiques a pris forme lors des municipales. Ce qu'il doit advenir de cette dynamique reste tributaire des capacités de ses acteurs à transformer ses contestations en alternatives politiques cohérentes et systématisées.
Dans l'immédiat, les partis politiques sont mis au défi de consolider leurs cohésions internes et de revoir leurs rapports réciproques, en prenant en compte ce qui est admis comme un passage obligé, à savoir la tenue des législatives en 2017.
La crise que traverse le leadership du courant du Futur est à lire sous l'angle de ces mutations.
Les résultats des municipales de Tripoli (la victoire de la liste soutenue par Achraf Rifi contre la liste consensuelle hétéroclite réunissant les autorités sunnites de la ville ainsi que des composantes alaouites et des factions sunnites associées directement au régime syrien) semblent avoir imposé au sein du courant du Futur une démarche d'autocritique. Un responsable du parti à Tripoli en révèle les prémisses à L'Orient-Le Jour : « La plus grande question pour nous est la dislocation du 14 Mars. Il nous semble nécessaire, pour y remédier, de revenir sur les candidatures anarchiques soutenues par ses composantes respectives, c'est-à-dire aussi bien la candidature du député Sleiman Frangié que celle du général Michel Aoun. » Cette approche pourrait faire l'objet d'une « initiative globale » de Saad Hariri, lors de l'iftar prévu jeudi prochain au Biel, affirme le responsable.
Une initiative qui pourrait en outre être motivée par un souci de resserrer les rangs du courant du Futur et du 14 Mars, c'est-à-dire d'intégrer le phénomène Achraf Rifi au lieu de le confronter. « M. Rifi a acquis le rôle d'une personnalité-clé au cœur de l'équation politique actuelle, mais c'est à lui de voir ce qu'il souhaite en faire », précise le responsable du courant du Futur.
Les déclarations récentes du ministre Nouhad Machnouk ne s'alignent qu'en partie sur cette démarche.
En renvoyant à la Grande-Bretagne, aux États-Unis et à l'Arabie saoudite la paternité de la candidature de Sleiman Frangié, il a peut-être pavé la voie à un éventuel renoncement par Saad Hariri de cette candidature, même si un tel renoncement à « une candidature déjà bloquée par le Hezbollah » n'a pas besoin de prélude, comme le relève une source du courant du Futur, même si la version de M. Machnouk sur la genèse de l'initiative Frangié est désavouée par d'autres cadres du courant.
( Lire aussi : À quel jeu joue donc Nouhad Machnouk ? )
En revanche – et c'est cela sans doute le plus significatif –, en s'acharnant à dédouaner Saad Hariri des compromis politiques concédés par son camp à la suite des accords de Doha (alors que le ministre en question est un acteur direct de l'assouplissement des rapports du courant du Futur avec le Hezbollah), M. Machnouk aurait péché par excès de zèle peu rentable pour le chef du courant du Futur : il aurait « envoyé à la base populaire un message selon lequel M. Hariri n'est pas maître de ses décisions », et il aurait « nui » à l'Arabie saoudite en mettant en cause l'entente avec elle, selon une source du courant du Futur. Même si, de sources concordantes, « l'appui de l'Arabie à Saad Hariri n'a pas disparu », des responsables chevronnés de ce courant sont loin de le considérer comme immuable.
D'autres milieux, surtout parmi les anciens proches de Rafic Hariri, qualifient les propos de M. Machnouk de « réactionnaires », en se référant à « sa rivalité » avec Achraf Rifi qui se serait exacerbée lors du scrutin de Tripoli (une rivalité pointée ouvertement d'ailleurs par le député Walid Joumblatt). Surtout que le ministère de l'Intérieur est taxé de « partialité contre Tripoli », selon une source de la ville qui revient sur le scandale de Roumieh, la mise en œuvre inégalitaire du plan de sécurité et de maigres recrutements, en nombre, de Tripolitains au sein des FSI, par rapport à d'autres bourgs sunnites beaucoup plus petits... Or en assortissant ses attaques contre M. Rifi de références au legs de l'ancien Premier ministre assassiné, M. Machnouk aurait tenté de faire endosser au courant du Futur dans son ensemble son hostilité personnelle à l'égard de M. Rifi, de l'avis de plusieurs cadres de ce courant.
(Lire aussi : Walid Joumblatt n'a plus de problème à voter Michel Aoun)
Cet avis est appuyé par un constat simple : les propos de Nouhad Machnouk (et avec lui le camp haririen) sont loués par les milieux du 8 Mars. Le député Talal Arslane a ainsi qualifié hier M. Machnouk d'homme « franc et courageux ». Ce qui signifie que le consensus entre le courant du Futur et des factions associées au régime syrien (comme les Ahbache à Tripoli) est désormais synonyme de modération, dans l'entendement du 8 Mars.
La perversion de la modération longtemps véhiculée par le symbole de l'alliance du 14 Mars ne semble pas en revanche affecter outre mesure l'entente entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises (même si une source bien informée croit et dit le contraire, à savoir que les jours de cette alliance tactique sont comptés). Selon l'agence al-Markaziya, une rencontre prochaine serait prévue entre Samir Geagea et Michel Aoun afin de faire le point sur les municipales et de définir une feuille de route commune pour l'étape ultérieure. Alors que les milieux politiques s'entendent sur l'impossibilité de reporter une nouvelle fois les législatives, la crainte serait, pour ceux qui sont réfractaires à l'option d'une assemblée constituante, d'une tenue des législatives avant la présidentielle. La conséquence en serait un vide de l'exécutif et de la magistrature suprême.
C'est notamment afin de parer à cette hypothèse que Walid Joumblatt se serait dit disposé à soutenir la candidature de Michel Aoun. C'est aussi dans une ultime tentative de se faire élire que ce dernier aurait décidé de revenir sur ses précédentes positions et de plaider pour la présidentielle avant les législatives, comme l'a rapporté hier le président de la Ligue maronite à l'issue de sa visite à Rabieh. La réticence dans les milieux du courant du Futur à soutenir la candidature de Michel Aoun et le scepticisme, dans des milieux du Parti socialiste progressiste, sur le sérieux de la proposition de Walid Joumblatt laissent penser à une issue nouvelle qui pointe en faveur d'un troisième candidat, une fois les deux ténors chrétiens du 8 Mars hors course.
Pour mémoire
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Non seulement de la Moawad du Nord, mais de "l’intellectuelle" Maktabé surtout....
19 h 43, le 08 juin 2016