C’est un monstre sacré du cinéma. Dans l’inconscient collectif, Gérard Depardieu incarne ces héros hexagonaux aussi romanesques que révolutionnaires. Avec plus de 200 longs-métrages à son actif, l’acteur multirécompensé est, a l’international, considéré comme la personnification d’un patrimoine français grisant, intellectuel et accessible à la fois. Du moins jusqu’en 2020 où il devient monstre déchu.
Accusé de viols et d’agressions sexuelles par la comédienne Charlotte Arnould et empêtré dans la récente vague du MeToo français, il est depuis également la cible de quatre autres plaintes portées par une ancienne assistante de tournage, une décoratrice, une actrice débutante et une journaliste espagnole.
Au total, une vingtaine de femmes ont pris la parole dans la presse pour dénoncer les agissements du septuagénaire dans une enquête publiée dans Mediapart en avril 2023 d’abord puis à la suite de la diffusion d’un numéro de Complément d'enquête sur France 2, où des propos déplacés et polémiques de Gérard Depardieu sont dévoilés. Ce dernier dément formellement toutes les accusations visant sa personne et clame son innocence dans un entretien qu’il donne au Figaro en octobre 2023, le seul qu’il accordera.
Convoqué le 29 avril pour une audition dans des locaux de la police judiciaire parisienne, il a été placé en garde à vue à la suite de la plainte de deux femmes qui auraient été victimes d'agressions sexuelles lors du tournage des Volets verts du réalisateur Jean Becker en 2021…
Géant du 7e art devenu paria d’un milieu mis à mal par ces nouvelles déflagrations, celui qui a campé les personnages les plus sombres de Bruno Nuytten comme les plus burlesques de Claude Zidi se mure aujourd’hui dans un silence forcé, loin du circuit médiatique qui a contribué à l’édification d’un homme se pensant invincible.
Pour L’Orient-Le Jour, Raphaëlle Bacqué, grand reporter au quotidien Le Monde et coautrice avec Samuel Blumenfeld de Depardieu : une affaire très française (éd. Albin Michel, 2024), explique la descente aux enfers de l'un des acteurs les plus célébrés au monde.
Avant la sortie de votre livre, vous avez coréalisé une série d’été pour « Le Monde » retraçant l’itinéraire cabossé de Gérard Depardieu. Comment avez-vous procédé à cette enquête ?
L’idée initiale était de retranscrire le parcours d’un personnage incarnant parfaitement une partie de la société française. Depardieu a tout de suite été une évidence, parce qu’il en avait joué les plus grands personnages. Danton, le héros de la Révolution, Cyrano, le rôle le plus joué dans le monde, Obélix, tout droit sorti des bandes dessinées qui ont bercé des générations d’enfants…
Mais plus on approfondissait nos recherches, plus on s’est aperçu que les démences de l’acteur n'étaient pas uniquement liées aux effets de la vieillesse et de l’alcool. Sa personnalité a toujours été similaire à celle de ces dernières années. Le génie de l'artiste et les dérives de l’homme ont été étroitement liés de manière continuelle depuis des décennies.
Les rumeurs autour des attitudes problématiques de Gérard Depardieu circulent depuis au moins le début des années 1990. Pourquoi les médias ont-ils attendu si longtemps pour enquêter ou en parler ?
Personnellement, je ne suis pas journaliste cinéma. Il faut savoir que les rumeurs autour des comportements de Depardieu n'étaient pas spécialement répandues dans les rédactions parisiennes. Elles étaient restreintes aux plateaux de cinéma où elles étaient apparemment bien connues de tous. On l'excusait à l'époque parce qu’il avait du pouvoir mais aussi parce qu’on l’admirait !
Les producteurs, agents et autres grandes têtes ont fermé les yeux malgré ses comportements inadmissibles parce qu’ils pouvaient financer des films sur son seul nom. N’oublions pas qu’il a été le parrain du cinéma français pendant très longtemps et qu’il en est probablement la dernière grande star.
Le monde du cinéma s’est-il montré réticent à l'idée de témoigner ?
Oui, on a eu beaucoup de refus et tout autant de témoignages exigeant l’anonymat. Ce n’est pas tellement parce qu’il suscite la peur, mais parce qu’il a rendu complice tout le monde autour de lui. Il ne s’est jamais caché et a toujours manié les obscénités publiquement et mis des mains aux fesses des femmes… Pour ceux qui l’ont entouré et vu faire toutes ces années, il est aujourd’hui difficile d’assumer cette complicité.
Vous vous êtes toujours intéressée aux hommes de pouvoir. Comment expliquer que malgré les témoignages et les accusations, le président Macron, et avant lui de nombreuses personnalités politiques et artistiques, continue de défendre Gérard Depardieu ?
Quand Emmanuel Macron dit qu’il rend « fier les Français », il le dit à contretemps. S’il l’avait dit il y a un an, ça serait passé sans vague. Pourtant, Gérard Depardieu était déjà exilé fiscalement et brandissait les passeports de toutes les dictatures de la planète ! À Moscou ou à La Havane, il est accueilli comme un chef d’État conscient de son instrumentalisation et ça ne dérangeait pas grand monde…
Cela dit, quand il s’est exprimé en décembre 2023 (au lendemain de la diffusion de Complément d'enquête, NDLR), je pense que le président Macron n’a pas mesuré le basculement qui s’est effectué depuis ses récentes révélations. Il est resté dans l’admiration de l’acteur, qui est révolue désormais.
Pensez-vous que la position de l’ancienne ministre de la Culture Rima Abdul Malak vis-à-vis de Depardieu lui a coûté sa place au sein du gouvernement ?
Ça a certainement joué, mais ce n’est sans doute pas l’unique raison. Elle a pris position sans en référer au président, ce qui a été considéré comme une forme de lèse-majesté. C’est le fait d’avoir exprimé une divergence publique avec Emmanuel Macron qui a dérangé l’Élysée, pas ce qu’elle a pu dire sur le fond de l’affaire…
Vous revenez longuement dans votre livre sur le film aussi décrié que violent de Bertrand Blier, « Les Valseuses » (1974), dans lequel Depardieu disait se retrouver parfaitement. Que dit cette œuvre de lui ?
Gérard Depardieu a fait en sorte que ce personnage de Jean-Claude lui construise sa légende. Je pense qu’il y a des choses qui ressemblent à ce qu’il était, une enfance de petit voyou sorti du système, entre autres.
Mais ce serait une erreur de faire un anachronisme. Les Valseuses a été un film culte dans les années 1970. C’est quand même 5 millions d’entrées dans les salles alors qu’il est interdit aux moins de 18 ans ! Mais avec le recul et le temps qui passe, on se rend compte qu’il ne raconte que l’émancipation masculine dangereuse des hommes, puisque toutes les femmes y sont systématiquement violées. Ça raconte une époque. Et c’est intéressant de constater que Depardieu l’a incarnée, cette époque. À vrai dire, pendant longtemps, il ne cessait d’incarner ce que faisaient les époques successives de la société française.
Avant 2020, une seule actrice a osé briser l’omerta autour du comportement de Gérard Depardieu : Sophie Marceau. Comment le monde du cinéma l’a-t-elle traitée après sa prise de parole en 1985 ?
Très mal. J’ai longuement interviewé Sophie Marceau et j’ai retrouvé des entretiens télévisés ahurissants de l’époque. Pour contextualiser, dans les années 1980, elle est le symbole du cinéma populaire et quand elle tourne avec Depardieu, elle n’a que 18 ans.
En exprimant sa colère face aux gestes très déplacés de son collègue bien plus âgé et protégé par Maurice Pialat, le réalisateur, elle est traitée avec beaucoup de mépris. Elle est quand même traitée de « grosse conne » sur un plateau de télévision, devant un public de marbre, sans que ça ne choque personne. Elle ose dire que Depardieu mettait ses mains partout dans les scènes où ils étaient dans un lit ensemble, cela relevait d’un grand courage et d’une maturité étonnante à un moment où la loi du silence régnait.
Vous expliquez que Depardieu n'agit pas de la même manière en fonction des femmes autour de lui. Il n’avait pas le même comportement avec des Catherine Deneuve et des Carole Bouquet qu’avec des jeunes figurantes ou maquilleuses par exemple…
Quand vous regardez toutes les affaires d’agressions sexuelles, c’est frappant. Les hommes s’attaquent rarement à des femmes fortes. Ça peut bien sûr arriver, mais les agressions les plus courantes, ce sont celles sur des personnes qui n’ont pas le pouvoir, qui sont démunies. Depardieu n’échappe pas à la règle. Il profite systématiquement du pouvoir qu’on lui confère.
Chez lui, ce double visage est intéressant parce que sur les plateaux de cinéma, il a souvent été face à des partenaires féminines fortes, descendantes de la bourgeoisie intellectuelle. Des femmes qui le dominaient. Et on est frappé de constater qu’avec elles, il paraissait attentif et attentionné, poétique, merveilleux. Avec les femmes qui n’ont pas le pouvoir, au contraire, il est absolument ignoble, obscène, agressif.
Dans le cas Depardieu, peut-on encore séparer l’homme de l’artiste ?
C’est un sujet artificiel. Je comprends parfaitement que l'on puisse continuer d’admirer un comédien à l'écran, dans un rôle, et que l'on condamne son comportement dans la vie courante. La réalité est que Depardieu a été un très grand acteur, mais qu’il a construit son mythe en faisant beaucoup de dégâts autour de lui. Est-ce qu’il aurait été aussi bon sans tout ce chaos ? On peut se poser la question.
Mais pourquoi la France spécifiquement a-t-elle autant de mal à déboulonner ses icônes ?
C’est difficile de désavouer quelqu’un dans lequel tout le monde s’est reconnu. Depardieu, c’est 50 ans de cinéma. Il y a un Depardieu pour chacun. Une vision du personnage par chacun. Quand une célébrité imprègne à ce point les mémoires, c’est compliqué de la mettre à terre.
Au cours de notre enquête, on passait du ravissement de voir tous ses films, dont beaucoup sont des chefs-d'œuvre, au dégoût en écoutant les récits et les accusations contre sa personne.
Sa carrière est-elle bel et bien terminée aujourd’hui ?
C’est certain. On a interrogé de nombreux producteurs et réalisateurs, et personne n’oserait prendre le risque de le remettre à l'affiche, en tout cas en France et dans les pays démocratiques. Il va être obligé de s’acclimater à sa nouvelle réalité. Celle qu’il a lui-même semé.
Il faut attendre la fin du procès avant de lyncher mR Depardieu. Ras- le -bol de ce type de féminisme castrant et victimisant !
05 h 39, le 07 mai 2024