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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’infirmière est l’avenir du médecin (suite)

Nous avons vu les deux dernières semaines que la technique médicale, dont l'évolution constitue un grand espoir pour l'humanité, a par ailleurs fini par hypothéquer la relation médecin/malade et par pousser le médecin à ne « croire » en rien d'autre. Il s'agit de croyance en effet, comme en témoigne le recours immédiat que fait le médecin à ces techniques, en qui il place toute sa confiance.
Répétons encore le constat du professeur Didier Sicard : « Les échographies, les scanners, les endoscopies, les scintigraphies ont confisqué la relation soignant/soigné à leur profit. » Auteur d'un ouvrage incontournable, La médecine sans le corps, Didier Sicard a été président du Comité consultatif national éthique français (CCNEF) entre 1999 et 2008 (voir LOLJ du 19 mai), son constat est sans appel. Le fait que les médecins fassent appel directement à ces techniques, avant même de recevoir les patients, met en évidence la dérive actuelle de la médecine. Qui d'entre nous n'a pas appelé son médecin et ne s'est pas entendu dire : « Passe à l'hôpital et fais-moi une radio. »
Il ne s'agit nullement de nier l'apport fantastique des nouvelles techniques, mais de rappeler que la relation médecin/malade est passée aux oubliettes. Une preuve parmi d'autres est l'enseignement de la médecine de famille comme une spécialité parmi d'autres. S'il faut enseigner à l'université la médecine de famille aujourd'hui comme spécialité alors qu'auparavant c'était l'affaire des médecins généralistes, c'est qu'elle a bel et bien disparu. Or, quand le médecin connaissait la famille, ses membres, son histoire, les problèmes étaient plus facilement résolus. Un exemple en donne toute la portée.

Il y a plus d'une soixantaine d'années, une mère enceinte de 9 mois est confrontée au cancer de sa propre mère. Cette mère meurt quelques jours avant la naissance de sa petite-fille. Au grand dam de la mère, la petite fille ne se développe pas, reste flasque et atone, alors qu'elle avait du lait en quantité. Les parents consultèrent tous les spécialistes connus, du pédiatre au neurologue, au neurochirurgien, au pédopsychiatre, rien n'y faisait. La petite était en danger de mort. Le médecin de famille, généraliste, ami de la famille, était en voyage. Dès son retour, il apprend la nouvelle de la mort de la mère de la mère et de la naissance de sa petite fille. Il se rend tout de suite près de la famille, avec un œil qui pleure et un œil qui rit. S'il a pensé à Hamlet, c'est pour le tragique de la situation et non pour la

similitude.
Arrivé dans cette famille qui ne savait pas s'il fallait être en deuil ou dans le bonheur de la naissance, la mère lui dit :
- « Vous tombez à pic docteur, regardez ma petite fille, elle dépérit. »
- « Vous avez du lait ? »
- « En quantité. »
Après avoir réfléchi, le médecin lui dit : « Arrêtez de l'allaiter tout de suite, qu'une nourrice le fasse, vous êtes en train de lui donner du poison. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès l'instant où la nourrice s'occupa d'elle, la fille se développa.

Cet exemple de flair clinique, de bon sens humain évita la mort à ce nourrisson. Cette mère en deuil ne pouvait pas être heureuse de la naissance de sa fille. En deuil, elle ne pouvait qu'être triste et ne pouvait que transmettre sa tristesse à sa nouvelle née.
Ce médecin n'avait aucune formation psychanalytique et ne pouvait compter que sur sa pratique de généraliste, sur son bon sens et sa connaissance de la famille. Quelle technique, même la plus développée, aurait-elle permis à ce nourrisson de retrouver la vie ? Encore une fois, il ne s'agit pas de méconnaître l'apport éminemment précieux des techniques modernes. Il s'agit de faire attention au rapport du médecin à ces techniques. S'il faut les utiliser, ne le faisons pas tout de suite, au dépens de la relation médecin/malade. Commençons par l'examen clinique habituel, par l'histoire du patient et de sa famille et, au cas où c'est nécessaire, prescrivons les examens complémentaires.

Dans le cas précédent, les examens qui ont été faits n'ont pas donné grand-chose. Et si le médecin de famille était resté en voyage et n'était pas rentré à temps, la vie de ce nourrisson aurait été compromise. Ce que nous enseigne cette histoire, c'est la nécessité d'un mot juste. Et ce mot juste ne peut pas s'inventer si déjà on a en tête les examens complémentaires sophistiqués. Si l'écoute du médecin est déjà orientée vers les examens techniques, il ne peut entendre une parole de souffrance subjective, celle des enfants ou celle des parents, à laquelle il répondrait par une parole pleine, un mot juste.
Avec cette course vers la technique, il ne reste à l'écoute, aujourd'hui, que le corps infirmier. Voilà pourquoi l'infirmière est l'avenir du médecin.

 

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