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Liban - Municipales 2016

Jounieh : l’âpreté de la bataille a tenu toutes ses promesses

Les accusations d'achat de voix se sont multipliées toute la journée ; le flot d'électeurs est resté pratiquement ininterrompu ; les rumeurs allaient bon train, mais le calme n'a pas été rompu.

Une ambiance conviviale malgré tout : à Haret Sakhr, Fadi Fayad (à gauche), candidat au poste de vice-président dans la liste « du renouveau », bavarde avec l’ancien ministre Nicolas Sehnaoui, cadre du CPL, venu appuyer la liste adverse.

Dans les jours qui ont précédé les élections municipales du Mont-Liban, hier, on aura tout prêté à la bataille qui devait avoir lieu dans le chef-lieu du Kesrouan : de l'argent qui coule à flots, des visées politiques qui vont bien au-delà d'une simple compétition municipale, des discours en rapport avec l'identité et le devenir... Rien d'étonnant, donc, que les électeurs aient été au rendez-vous dès le matin pour soutenir l'une des deux listes en lice, ou les candidats de leur choix dans chacune d'entre elles (une moyenne de 58 % de vote dans la ville, supérieure à celle de 2010). Même s'ils ne sont pas dupes du fait que le développement n'avait qu'une place modeste dans ce scrutin très politique, comme le prouvent plusieurs de leurs témoignages.

Les deux listes qui s'affrontaient étaient celle de la « dignité », présidée par Juan Hobeiche, lui-même ancien président du conseil de la ville, soutenue par le Courant patriotique libre (CPL), les Kataëb et d'autres partis, et celle du « renouveau », présidée par Fouad Bouéri, soutenue par Neemat Frem, président de la Fondation maronite dans le monde, les anciens députés Farid Haïkal el-Khazen et Mansour Ghanem el-Bone, et par les Forces libanaises (FL). Même si ce dernier parti a donné officiellement la liberté de vote à ses partisans, il avait quatre candidats sur la liste du renouveau, et a renié son appui à un candidat qui se présentait sur la liste adverse de Juan Hobeiche.

(Voir aussi : Le scrutin au Mont-Liban, en images)

Fidèle à sa tradition, Jounieh a gardé son calme le jour des élections. L'atmosphère était globalement conviviale dans les différents bureaux. Et pourtant, les propos des uns et des autres étaient toujours aussi acerbes, et l'argent est resté au centre des accusations réciproques. N'oublions pas que Juan Hobeiche avait reconnu la semaine dernière que de l'argent était versé par les deux parties « pour neutraliser les voix des naturalisés », ce qui avait été démenti par son principal rival Neemat Frem. La veille du scrutin, le fondateur du CPL, le député Michel Aoun, avait fait personnellement le déplacement à Jounieh pour dénoncer « l'ingérence de personnalités d'en dehors la ville, une source d'Afrique qui verse de l'argent ».
Rencontré à Sarba, Farid Haïkal el-Khazen a ironisé, en réponse à une question sur les déclarations du général Aoun : « Je crois que ses informations sont correctes, mais qu'il a dû se tromper de liste ! » Il a ajouté qu'il aurait « préféré que le développement reste au centre de cette bataille, loin de la politisation à outrance du scrutin ». Pour sa part, Juan Hobeiche, rencontré dans le même centre de vote, s'est plaint « d'un achat de voix pas normal (par ses adversaires, selon lui), malgré les mesures prises par le ministère de l'Intérieur ». Il a estimé que son équipe « est plus homogène que celle de la liste adverse, étant donné qu'elle n'est pas formée de composantes qui se sont déjà disputées entre elles ».

Témoignage accablant

À noter qu'une journaliste, de la chaîne al-Jadeed, Layale Bou Moussa, a raconté à L'OLJ avoir été abordée, dans l'un des quartiers de Jounieh, par deux hommes qui, la prenant pour une électrice, lui ont proposé 600 dollars (qu'elle a effectivement pris pour preuve) moyennant trois votes supposés en faveur de la liste « de la dignité » de Juan Hobeiche. Layale a filmé une vidéo clandestine comme preuve de l'incident. Mais elle s'est énergiquement défendue de vouloir accabler une seule liste, assurant qu'elle s'est trouvée au bon endroit pour démasquer ces deux contrevenants. Pour sa part, Joseph Bassil, un candidat sur la liste « de la dignité », a affirmé à L'OLJ avoir visionné la vidéo et estimé que « ces deux hommes ne travaillent pas pour la liste, ils ont probablement pour objectif de nous piéger pour faire circuler des rumeurs ». Par ailleurs, un délégué du parti Kataëb, Rami Achkar, membre de la machine électorale « de la dignité », a raconté à L'OLJ « avoir surpris un homme qui voulait acheter des voix pour le compte de la liste adverse à Sahel Alma, mais il a fui avant d'être rattrapé ».

(Lire aussi : La canicule n’a pas réussi à refroidir l’enthousiasme des électeurs dans les régions de Baabda-Aley)

Sur le terrain, chacune des deux parties avait une armée de délégués. À part de rares incidents dus aux tensions dans les couloirs étroits et excessivement chauds, le calme a été maintenu dans les relations entre les deux machines électorales. Quelques plaintes seulement concernant des listes truquées – notamment de jeunes délégués de la liste « du renouveau » à Haret Sakhr – ou alors concernant l'utilisation aléatoire de l'isoloir et la distribution de listes à l'intérieur du centre de vote – des critiques formulées par des délégués de la liste « de la dignité ».

Du côté des électeurs, l'enthousiasme était palpable. Beaucoup déclaraient « voter pour une liste entière parce qu'il est important d'avoir une équipe homogène au pouvoir », comme nous l'a affirmé Walid, la cinquantaine, producteur, à Sarba. Pour bien d'autres, comme Marie à Sarba ou encore Wajdi à Sahel Alma, « il est important d'exercer son droit de vote quand on en a l'occasion ». Par ailleurs, le panachage n'était pas absent de l'exercice de la démocratie hier à Jounieh, mais pas nécessairement d'une manière systématique et pour des raisons politiques. Comme l'expliquent deux électeurs qui attendaient d'entrer au bureau de vote à Ghadir, « chacun a des amis dans les deux listes, nous sommes nombreux à former nos propres listes ».

L'enthousiasme était palpable, mais pas nécessairement accompagné d'espoir. De nombreux témoignages, dont celui de Sara, une jeune styliste rencontrée à la porte d'un bureau de vote à Haret Sakhr, font état d'une certaine lassitude par rapport à la stagnation ambiante. « Je veux le changement sans vraiment espérer que mon vote va y aboutir, reconnaît la jeune femme. Jounieh aurait pu être la plus grande ville touristique du Liban. Or la situation y va de mal en pis. »

(Lire aussi : Au Metn central, quelques batailles acharnées, en toute courtoisie)

Par ailleurs, un candidat indépendant, Jalal Khoury, au nom « des citoyens et citoyennes dans un État » (mouvement initié par l'ancien ministre Charbel Nahas) a déploré que « les défenseurs du système électoral proportionnel aient préféré s'abstenir de le mentionner au cours de ce scrutin, ce qui consacre la domination d'une partie par une autre ». Il a estimé qu'il s'agit « d'une tentative, par un régime politique moribond, de montrer qu'il est toujours vibrant, mais sans succès ».

À Zouk, la succession après 54 ans

Malgré un incident en début de soirée entre les délégués de deux listes rivales à Zouk Mikaël, l'ambiance dans ce beau village du Kesrouan était assez courtoise au cours des élections d'hier. Après 54 ans de présidence de Nouhad Naufal, ces élections sont marquées par la compétition entre deux têtes de listes qui étaient vice-présidents par alternance au cours des quinze dernières années, Élie Beaïno et Wafic Trad. À une différence près : Élie Beaïno aime se placer dans la continuité de Naufal alors que Trad adopte une approche plus critique de cette longue présidence (voir L'Orient-Le Jour du samedi 14 mai). Par ailleurs, les deux listes déclarent jouir d'un soutien du CPL, sachant que le parti a donné aux électeurs la liberté de vote.

Hier, dans des bureaux de vote climatisés (contrairement à Jounieh), autant Élie Beaïno que Jean Tabet, candidat au poste de vice-président sur la liste de Wafic Trad, ont assuré à L'OLJ que « les élections se déroulent de manière très démocratique, sans incident à signaler ». L'affluence a atteint les 55 %.
Dans l'unique centre de vote de Zouk Mikaël, parmi de très nombreux délégués, les électeurs ont simplement déclaré « vouloir exercer leur droit de vote ». Mais peut-être qu'une jeune femme, Gaël, travaillant dans le commerce et votant pour la première fois de sa vie, exprimait le souhait de très nombreux Libanais : « Ces élections sont importantes, mais plus encore celles qui devraient suivre. Je viens voter aujourd'hui pour prouver qu'il n'y a pas d'obstacle aux élections législatives. Il faut que les choses bougent parce que la vie économique est très affectée par ce marasme politique. »


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La Dignité sera refusée aux votes abrutis.

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

13 h 21, le 16 mai 2016

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Commentaires (1)

  • La Dignité sera refusée aux votes abrutis.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 21, le 16 mai 2016

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