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Culture - Cimaises

« Mes poches sont toujours remplies de croquis... »

À travers ces cinquante ans de travail exposés au musée Sursock, où tout se structure, se déstructure, se construit et se déconstruit, c'est tout l'esprit de Beyrouth qui est contenu dans l'œuvre d'Assadour. Une œuvre en mouvement.

Ordre et désordre. Alignement et éclatement. Mesure et démesure. On y voit, outre les débris et les objets, des espèces de chiffres qui traversent son univers.

Né à Beyrouth, Assadour réalise sa formation auprès de Paul Guiragossian et de Guvder ainsi que de Jean Khalifé, à l'Institut culturel italien. Il poursuit ses études à l'Académie Belle Arti Pietro Vannucci à Pérouse avant de s'installer à Paris et de fréquenter l'École supérieure des beaux-arts pour étudier la gravure, sous la direction de Lucien Coutaud. De la gravure à l'acrylique en passant par la peinture à l'huile, l'artiste est en perpétuelle quête. Inconsciemment ou volontairement, et même s'il n'aborde pas d'une manière directe et franche les événements du XXe siècle, l'artiste couche, sur la toile ou les papiers, ses tourments. « Dans mes poches, on trouve toujours des petits croquis car j'aime gribouiller », dira-t-il au cours d'une rencontre avec le commissaire d'exposition Joseph Tarrab. Sur les cimaises, une sélection d'œuvres faisant partie de la collection du musée et généreusement léguées en 1966 par Pierre Cardahi (un ami d'Assadour) côtoient de nouveaux tableaux et gravures ainsi que des œuvres sur papier et des livres d'artistes. Décryptage ? Plus que cela. Un plongeon dans l'esprit d'un artiste.

 

Années 60 – Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir ?
Les années 60 marquent l'errance chez Assadour. Il reçoit d'abord une bourse de l'ambassade d'Italie et s'installe à Pérouse et, plus tard, une seconde bourse du ministère libanais de l'Éducation pour aller à Paris. Son travail se caractérise par un style détaillé sur gravure à l'eau-forte, une monochromie, plutôt du noir sur blanc laissant voir un Gargantua en émulsion, sorte de grosse marionnette désarticulée. Ce personnage, estampillé Assadour, traversera ses toiles au fil des jours, tout en subissant certaines métamorphoses.

 

Années 70 – « Nous sommes menacés par deux périls : l'ordre et le désordre » (Paul Valéry)
« Qu'est-ce qu'un travail achevé ? » se demande Assadour. Et de poursuivre : « J'aime le terme work in progress. » Un travail qui évolue et qui grossit avec le temps comme un fleuve se chargeant d'alluvions avant d'arroser les rivages. Car, en effet, quel serait le but de l'artiste si son travail était achevé ? Pendant les années 70, Assadour commence à exposer à la galerie du Dragon, laquelle joue un rôle important sur la scène internationale de l'art à Paris. Assadour gribouille et reproduit ensuite. Bien qu'abhorrant les mathématiques sur les bancs de l'école, l'artiste, lui, lâche sur son espace pictural, qu'il fait sien, des cubes, des cercles et toutes sortes de formes géométriques qui se superposent et s'entreposent. Ordre et désordre, alignement et éclatement. Mesure et démesure. On y voit, outre les débris et les objets, des espèces de chiffres qui traversent son univers. Réminiscences d'un passé refoulé ?

 

Années 80 et 90 – Causa mentale et poésie en couleur
Comment parvient-il à mêler la logique à la poésie ?
Comment enchevêtrer les lignes afin qu'elles créent des images poétiques ? « Je suis un lyrique sans le savoir, dit Assadour. Mon cerveau pèche par la dichotomie. » Parfois, une part de ce cerveau prend le dessus sur l'autre. Son combat avec la toile est-il un combat entre lyrisme et logique ? Toujours est-il qu'il faut passer un temps fou à plonger dans les œuvres de l'artiste pour les déchiffrer. On y découvre toujours un petit détail inaperçu auparavant. Ce n'est pas tant l'esprit d'analyse qui triture l'observateur mais bien la curiosité, le désir de la découverte
et de l'enchantement.
Ces deux décennies (80-90) sont marquées par cette ouverture à la couleur. La monochromie laisse la place à une palette de teintes et d'harmonies. C'est l'époque de Matera, une ville souterraine en Italie où Assadour passe son temps à enseigner la gravure, mais aussi à expérimenter les autres possibilités techniques de son travail. Aquarelles et acryliques pointent leur nez. Les débris sont encore là, mais plus espacés, plus épars. Assadour travaille beaucoup, cela l'apaise et la vie reprend un sens. Même s'il avoue apprécier la lenteur, l'artiste prend son temps mais y goûte pleinement... et en couleurs.

 

Années 90 et 2000 – L'homme-robot réapparaît
Le corps humain qui avait disparu de sa toile revient, surdimensionné, toujours désarticulé, robotisé. La toile n'est plus que cette cité perdue parmi les décombres, régie par un humain déshumanisé. Ce travail, malgré les couleurs, présage-t-il une phase sombre dans l'histoire de l'humanité ? Assadour a-t-il vu venir cet appel du chaos ? L'a-t-il perçu ? Longtemps absent, cet homme renaît des cendres et occupe la toile. Libre mais coincé, vivant ou survivant, ce personnage assadourien annonce l'éclatement des années 2010 à nos jours. Dans ses toiles contemporaines, très nouvelles, l'artiste instaure un véritable dialogue entre les objets et les corps. Sur grand format, les fragmentations et les débris deviennent statiques, immobiles. À l'image du mécanisme d'une grande montre. Comme si le peintre voulait figer le temps avant une nouvelle désintégration.

 

 

Pour mémoire
« Du chaos à l’harmonie », avec Assadour à Paris

Aouad, Assadour et les autres... chez Alwane

Né à Beyrouth, Assadour réalise sa formation auprès de Paul Guiragossian et de Guvder ainsi que de Jean Khalifé, à l'Institut culturel italien. Il poursuit ses études à l'Académie Belle Arti Pietro Vannucci à Pérouse avant de s'installer à Paris et de fréquenter l'École supérieure des beaux-arts pour étudier la gravure, sous la direction de Lucien Coutaud. De la gravure...
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