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Nos Lecteurs ont la Parole - Impact et risques de l’exode massif des Syriens au Liban

II – Quelles politiques pourraient encore éviter l’abysse

Le Liban, en assumant ses responsabilités humanitaires de pays hôte, doit faire la distinction entre refugiés de guerre et migrants économiques. La politique du Liban qui offre les mêmes services aux réfugiés qu'aux citoyens ne pouvait que motiver l'exode économique, et non seulement sécuritaire, des Syriens vers le Liban voisin où le niveau de vie, mesuré par le revenu moyen par habitant, est maintenant dix fois plus élevé qu'en Syrie. La preuve en était l'afflux de migrants à un rythme indépendant des réalités du terrain en Syrie – violents combats ou accalmies, les entrées se poursuivaient sans relâche, y compris de zones (Alep) éloignées de la frontière Libanaise et des champs de bataille. La norme, de par le monde, intime au pays hôte d'assurer aux réfugiés les besoins essentiels dans l'hypothèse que leur séjour est temporaire, dans l'attente de la première occasion de rentrer chez eux. De ce fait, les droits et privilèges des citoyens libanais, qui déjà grèvent lourdement le budget, ne sauraient constituer la référence pour les programmes d'assistance aux réfugiés de guerre.
Les institutions étatiques libanaises doivent avoir l'exclusivité de la gestion du dossier des réfugiés, en coordination avec les donateurs. Pour aider les réfugiés et les communautés d'accueil, le gouvernement, en consultation avec les donateurs, avait élaboré en 2013 une « feuille de Route pour les interventions prioritaires » qui seraient financées par les parties externes sous la direction des institutions libanaises compétentes avec la supervision conjointe des donateurs. De plus, pour répondre aux attentes des donateurs sur les questions de gouvernance et transparence, le Liban avait proposé que le conduit de l'aide extérieure soit le « fonds d'affectation spéciale pour la Syrie » qui serait administré par la Banque mondiale suivant ses règles prudentielles. Cette approche n'a pas été observée. Mis en place il y a deux ans, les engagements en faveur du « fonds » se montent à la modique somme de US$75 millions, pour des besoins estimés à US$4 milliards.
Le Liban appelle à la répartition équitable des réfugiés entre pays d'accueil, alors que la communauté internationale veut les cantonner dans les pays du voisinage. La solution du problème des réfugiés réside dans une réponse globale à une tragédie qu'il faut cesser de considérer comme une affliction géographique ne concernant que les voisins de la Syrie. Les pays concernés par l'avenir de la Syrie, ou embarqués dans la guerre qui y fait rage – directement ou indirectement par le financement ou l'armement des factions en présence –, doivent partager la responsabilité des conséquences dévastatrices de ce conflit en donnant asile aux Syriens déplacés (en particulier le monde arabe dont la réponse à l'admission de réfugiés est des plus décevantes). La répartition se ferait selon des quotas par pays – concept proposé au sein même de l'Union européenne – sur base de la superficie, population, densité et économie du pays. Lorsque les réfugiés dépassent en nombre la limite établie, ils trouveraient accueil dans les pays où le plafond n'est pas atteint. Cette proposition est ignorée par les États influents qui se sont constamment opposés à toute politique d'entrée conditionnelle de réfugiés aux pays tiers, tout en limitant l'accès aux leurs. En vérité, la communauté internationale voit dans les pays voisins de la Syrie la seule muraille qui puisse endiguer le flux de migrants vers l'Ouest, et essaye d'ancrer les réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie, sans souci aucun quant aux coûts et autres conséquences d'une telle présence. Un moyen efficace pour atteindre cet objectif est d'absorber les Syriens dans le tissu économique, social et urbain des pays d'accueil, et en faire une partie intégrante de la main-d'œuvre nationale. Cela explique l'insistance de la communauté internationale sur les programmes dédiés à la création d'emplois pour réfugiés syriens, injonction que le Liban rejette fermement.
Pour le Liban, la question de fond est celle du nombre de réfugiés, plus que l'aide pécuniaire qui leur est accordée. Aussi dramatique que la situation en Syrie puisse être, le Liban a une capacité donnée quant au total de réfugiés qu'il peut accommoder en leur assurant un minimum de soins tout en maintenant la stabilité, la sécurité et les équilibres fragiles de la nation. Le Liban portera son juste lot, mais guère plus, dans le cadre du système de quota, d'ailleurs déjà largement franchi quelles que soient les normes de répartition – l'immigration syrienne ayant accru la densité de plus du tiers, à 600 habitants/km2, soit le cinquième rang mondial hormis les cités-nations (Une comparaison serait un afflux soudain de 24 millions de réfugiés en France... ce qui ne porterait la densité qu'à 135 personnes/km2). Dans ce cadre, le Liban devrait revoir les politiques et dispositions logistiques, y compris le regroupement de réfugiés pour améliorer la coordination et l'apport de l'aide, ainsi que la conduite, le cas échéant, de transferts entre pays observant les quotas. Dans ces zones de regroupement, et seulement là-dedans, des activités génératrices de travail pourraient être financées par les donateurs. Au Liban, l'option de regroupements mérite d'être considérée sur son propre mérite en dépit de la réticence à la notion même de « camps » que beaucoup de Libanais, du fait de l'expérience palestinienne, associent à des îlots retranchés de misère et de militantisme qui peuvent à terme saper les institutions de l'État et échapper à son autorité.
Le temps est propice à l'établissement de zones sécurisées en Syrie. L'évolution des positions sur le terrain des parties au conflit au cours des cinq années de guerre a délimité des régions relativement sûres qui ne sont plus sujet à dispute. La création de « zones sûres » pour réfugiés en ces lieux est une solution prometteuse, efficace et humaine, mais sans nul doute difficile. L'opposition à cette idée reposait sur l'argument qu'en l'absence de résolution du Conseil de sécurité de l'Onu autorisant le recours à la force, son application exigeait le consentement de toutes les parties au conflit pour assurer la protection de ces colonies. Cette hypothèse ne pouvait être retenue vu le doute de la communauté internationale sur la capacité ou volonté des parties en lice de garantir la sécurité de telles zones. Mais depuis que les puissances étrangères exerçant une influence sur le sort tragique de la Syrie ont rejoint la mêlée et, sans autre mandat que celui qu'elles se sont arrogé au nom de leurs intérêts, mènent à leur gré des frappes aériennes, elles seraient tout aussi capables (si elles ne sont moralement tenues) de délimiter des espaces sécurisés où elles assureraient une protection aérienne, alors que des troupes de pays choisis maintiendraient l'ordre sur le sol. En ces enclaves, les Syriens qui ont quitté de force les zones de conflit accéderaient à l'aide de manière plus efficiente sans souffrir l'indignité de l'exil. Les pays voisins, Liban en premier, se verraient aussi épargnées les incalculables retombées d'un exode insoutenable.
Le Liban doit contenir la crise des réfugiés avant qu'il ne soit trop tard, dans le cadre d'une politique soutenue, non déraillée, par la communauté internationale. Paquebot sans ancre ni gouvernail en dérive dans l'épais brouillard de la guerre de Syrie, le Liban, pour éviter le naufrage, doit redéfinir la politique des réfugiés sur la base d'un large consensus national. L'exode syrien, initialement perçu comme un nuage passager devant se dissiper avec l'éclosion du « printemps arabe » en Syrie, s'avère un problème existentiel qui appelle une réponse imminente et radicale. Alors que la communauté internationale appuie « virtuellement » la stabilité et la sécurité du Liban, sa politique réelle – en partie celle de l'autruche, en partie mue par ses intérêts propres dont l'arrêt du flux de migrants – néglige les dislocations et bouleversements potentiels que la marée, peut-être irréversible, d'immigration syrienne fait peser sur le Liban, compromettant sa stabilité, sa sécurité, son économie, sa paix sociale et cohésion nationale.

Samir EL-DAHER
Économiste, ingénieur des mines
Ancien conseiller à la Banque mondiale

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