Comment une révolte populaire s'est transformée, cinq ans plus tard, en mini-guerre mondiale? Comment ce conflit syrien a réussi à modifier les plaques tectoniques d'une région, le Proche et le Moyen-Orient, déjà éminemment tellurique ? Comment ce conflit, au-delà d'une sur-méditerranéisation éminemment délétère de la planète, a réussi à impacter un continent dans sa globalité, cette si vieille Europe, des rivages de Lampedusa ou de l'île de Lesbos jusqu'aux centres d'hébergement de Stockholm, en passant par la frontière austro-hongroise ? Comment ces mille et une guerres de Syrie ont-elles fait, aussi, surtout, pour permettre l'envolée de l'AfD, un parti significativement fascisant dans un pays littéralement obsédé, depuis 1945, par son exemplarité morale après les atrocités nazies : l'Allemagne, que l'on croyait pourtant merkelisée jusqu'aux tréfonds de son ADN ?
Les réponses à cette question générique sont naturellement nombreuses. Sues et connues de tous. La guerre brûlante par procuration entre l'Iran et l'Arabie saoudite, théocraties insupportables dans un XXIe siècle affamé de lumière(s), entre ces deux branches de l'islam qui n'ont jamais voulu s'accepter. L'autotsarification d'un ex-barbouze du KGB, ivre de colonisations et d'effets de manche, infiniment coincé, finalement, au XVIe siècle et qui aurait adoré s'appeler Zmaragd. La monomanie jusqu'au-boutiste de Barack Obama, mû tout entier par une espèce de force centripète rarement observée chez un président américain (Obamacare, loi sur les armes, mariage pour tous...) et par un antibushisme primitif, inouï de myopie. Et enfin, le crachat à la face du monde d'une barbarie himalayenne, assumée, ordonnancée et brillamment marketisée : celle de l'État islamique, et de tous ses petits cousins d'ici ou d'ailleurs. Sauf que tout cela répond à peine à la question. L'essence du problème, ou de la solution, c'est idem, c'est cette hallucinante complaisance, complicité et collusion de la communauté internationale, toutes tendances confondues, avec cette Cosa nostra qu'aucun code d'honneur n'aura jamais su régir : le gang Assad.
Ils étaient pourtant prévenus, tous ; ils savaient : le père, Hafez el-Assad, avait donné le la, dès 1982, en rayant quasiment de la carte de Syrie la ville de Hama. Et en ordonnant l'assassinat à Beyrouth de l'ambassadeur de France de l'époque, Louis Delamare. Ils savaient : ils ont vu, des années durant, Assad Sr puis Jr écraser avec une minutie diabolique un Liban dont les institutions, palais présidentiel en tête, étaient pétainisées jusqu'à la moelle, et dont les rouages étaient hezbollahisés jusqu'à la métastase. Ils savaient : ils ont vu, tous, du Russe à l'Américain, en passant par l'Iranien, le Saoudien, le Turc, le Qatari, l'Allemande, le Chinois, le Britannique et, surtout, le Français, les images apocalyptiques après que ces 1 000 kilogrammes de TNT eurent déchiqueté l'un des pères du sunnisme modéré et victorieux : Rafic Hariri. Ils savaient, et en 2011, en 2012, et surtout en 2013, ils ont laissé faire – tous, pendant que, seul, François Hollande s'étouffait dans sa rage et son impuissance à manœuvrer en solo.
Ils savaient, tous : que le fils, ce bon docteur Bachar, ne montrait qu'une façade policée et so british que pour mieux cacher l'obsession qui le faisait (sur)vivre depuis ce 21 janvier 1994, lorsque son frère aîné Bassel, héritier du trône baassiste et chouchou de son père, est décédé d'un accident de voiture. L'obsession d'en finir avec ce lancinant papa m'aime pas, l'obsession de prouver à ce père, Hamlet à rebours, que non, il n'a pas usurpé son poste, que non, il n'est pas un troisième couteau, que non, il n'est pas plus Makhlouf qu'Assad, que oui, il peut être à la hauteur, que oui, il peut pousser la torture et le crime à des niveaux jamais atteints, que oui, il sait que la communauté alaouite doit survivre à n'importe quel prix, que oui, il est digne de lui.
L'occasion de désassadiser la Syrie et le Proche-Orient était à portée de doigts en 2011, 2012, et 2013. Tant pis.
P.S. : cette question, comment une révolte populaire s'est transformée, cinq ans plus tard, en mini-guerre mondiale, L'Orient-Le Jour tente, dans l'édition de ce 15 mars 2016, d'y répondre tous azimuts, entre analyse, décryptages, état des lieux, témoignages et récits, idées reçues à dynamiter et proposition de solution. Et une tribune, constat implacable, de Tarek Mitri. En espérant, pour l'an VI, ne plus avoir à réitérer l'exercice.
Comment une révolte populaire s'est transformée, cinq ans plus tard, en mini-guerre mondiale? Comment ce conflit syrien a réussi à modifier les plaques tectoniques d'une région, le Proche et le Moyen-Orient, déjà éminemment tellurique ? Comment ce conflit, au-delà d'une sur-méditerranéisation éminemment délétère de la planète, a réussi à impacter un continent dans sa...
commentaires (6)
Cette hallucinante complaisance, de la communauté internationale avec cette Cosa nostra qu'aucun code d'honneur n'aura jamais su régir : le gang Assad. A L’ERE DE LA MONDIALISATION DE LA REALPOLITIK ,DES ETATS ABATTOIRS ET DU GANGSTERISME POLITIQUE, CE N’EST PLUS LE CODE D’HONNEUR QUI DISTINGUE ET REGIT LES COSA NOSTRAS, MAIS BEL ET BIEN, LE CODE…..D’HORREUR MAFFIOCRATIQUE.
Henrik Yowakim
16 h 46, le 15 mars 2016