Jusqu'où ira l'Arabie saoudite dans son escalade contre le Hezbollah et le Liban officiel en général, accusé de protéger ou en tout cas de ne rien faire contre ce parti qu'elle qualifie de terroriste ? C'est la question qui se pose aujourd'hui dans tous les milieux politiques sans que nul n'ait de réponse précise. Même les alliés du royaume wahhabite au courant du Futur, et au sein du 14 Mars en général, ne sont pas en mesure d'expliquer ce que veulent réellement les dirigeants saoudiens au Liban, sachant que les attaques verbales contre le Hezbollah de la part de nombreuses figures politiques ainsi que « la pétition de solidarité avec le royaume » et le communiqué du gouvernement n'ont pas réussi à calmer leur colère. Au contraire, des sources proches du courant du Futur ne cachent pas une certaine inquiétude face aux intentions réelles des dirigeants saoudiens qui semblent vouloir aller encore plus loin dans leur mise en cause du Hezbollah et dans l'incitation à la confrontation avec lui.
Il y a eu d'abord un premier scénario d'affrontement dans la région de Saadiyate entre des membres du courant du Futur et des membres des Brigades de la résistance dans la région (des unités non chiites affiliées au Hezbollah), il y a quelques jours. Cet incident a été rapidement circonscrit et placé officiellement dans le cadre d'un conflit entre deux familles habitant le coin également sunnites mais appartenant à des courants politiques différents. Toutefois, selon les témoignages de résidents à Saadiyate, la tension est palpable entre les deux courants et le moindre incident pourrait provoquer un dérapage, d'autant que la route menant à la localité est vitale pour le Hezbollah et sa base populaire, puisqu'elle relie la banlieue sud de la capitale au sud du pays. Il y a eu ensuite samedi soir la diffusion sur une chaîne saoudienne de grande audience au Liban d'un sketch satirique et désobligeant contre le secrétaire général du Hezbollah joué par un acteur saoudien. Ce sketch qui a rapidement circulé sur les réseaux sociaux a provoqué une grande colère chez le public du Hezbollah. Ce qui a entraîné des frictions à Saadiyate, mais aussi dans d'autres régions du pays. L'armée a certes rapidement réagi et elle a pris le contrôle du terrain, alors que les appels au calme se sont multipliés, mais des sources de sécurité craignent que de tels incidents ne se reproduisent.
Le gouvernement apparaît de plus en plus affaibli et débordé, incapable d'adopter une condamnation ferme des agissements du Hezbollah, ou de décider d'une mise à l'écart du ministre des Affaires étrangères, comme l'exigent les dirigeants saoudiens. Selon une personnalité sunnite proche des Saoudiens, l'ère de l'indulgence des dirigeants du royaume à l'égard du Liban est révolue. L'homme fort actuel, le prince Mohammad ben Salmane, n'a pas connu le Liban d'avant-guerre et ce qu'il pouvait représenter pour ses aînés. Pour lui, il n'y a pas de spécificité libanaise et il considère que Riyad a beaucoup donné à ce pays, sans rien recevoir en contrepartie. Il s'agirait en quelque sorte d'un investissement à fonds perdus qui a duré pendant de longues années et il est temps que cela s'arrête.
Selon la personnalité précitée qui affirme bien connaître les Saoudiens, le royaume s'est toujours tenu aux côtés du Liban pendant les périodes de crises. C'est le royaume qui a contribué à la reconstruction du Liban après l'invasion israélienne de 1982 et il n'a cessé d'envoyer des aides à la population libanaise sans distinction, par le biais de l'ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri. En 1989, c'était encore le royaume qui avait parrainé l'accord mettant fin à la guerre, qui est devenu l'accord de Taëf. Pendant toute la durée de la tutelle syrienne, le royaume tentait de faire le contrepoids des exigences syriennes ou de les atténuer pour aider les Libanais. Malgré cette aide constante, les Libanais ont laissé le Hezbollah prendre de l'importance au sein de leurs institutions politiques et au sein de la population. Ils ont conclu des accords et noué des dialogues avec lui, sous prétexte de l'amadouer ou de réduire ainsi son influence, mais le résultat est que ce parti se permet de critiquer le royaume et même d'aider ses ennemis dans la région, sans que les alliés de l'Arabie fassent quelque chose. Selon la même personnalité sunnite, les dirigeants du royaume pourraient donc décider désormais d'utiliser toutes les cartes dont ils disposent pour mettre en difficulté le Hezbollah et, par la même occasion, pousser l'Iran à négocier, en jouant contre lui une carte qui lui fait mal.
C'est pour cela que l'Arabie compte soumettre lors de la prochaine réunion des ministres arabes une proposition pour mettre le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Ce qui rendrait plus facile la possibilité de le considérer comme tel en Syrie et d'exiger par la suite soit son retrait de ce territoire, soit la possibilité de le bombarder à l'instar des autres organisations terroristes, comme Daech et al-Nosra. Mais pour parvenir à un tel résultat, il faudrait d'abord discréditer le ministre libanais des Affaires étrangères ou faire en sorte de créer un tel chaos politique que le Liban ne puisse pas participer à cette réunion. En même temps, les tensions confessionnelles sur le terrain et l'existence de foyers incontrôlables, comme le camp palestinien de Aïn el-Héloué, ne peuvent qu'embarrasser le Hezbollah et peut-être le pousser à une réaction musclée qui justifierait une condamnation unanime de la part des pays arabes.
Après cet exposé, la personnalité sunnite s'empresse de préciser qu'il s'agit de spéculations et que rien n'indique que les choses pourraient aller jusque-là. D'abord parce que l'Arabie saoudite a d'autres problèmes plus importants à régler que de s'occuper de la scène libanaise et ensuite parce que la sécurité au Liban reste une ligne rouge, que les services de sécurité font leur travail avec efficacité, et enfin parce que le Hezbollah sait que toute action inconsidérée pourrait se retourner contre lui.
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madame Haddad bel article un qui est un peu moins partisan a mo avis !! mais arretez de dire que la faute n'arrive que de l'arabie saoudite, car les iraniens ma byechko men chi on a pas oublier les speechs incendiaire de ses allies !!
19 h 15, le 29 février 2016