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Liban - crise

Au Liban-Nord, pas de cimetière pour les réfugiés syriens

Plus d'un million et demi de ressortissants syriens au Liban depuis 2011, soit un peu plus que le quart de la population libanaise. Des personnes qui vivent, qui se marient, qui font des enfants et qui meurent sur le sol libanais.

Parfois, il faut attendre 36 heures pour trouver une place à un mort syrien dans un cimetière du Liban-Nord.

Depuis quatre ans, chaque année, on compte environ 50 000 naissances au sein de la population de réfugiés syriens alors que les naissances annuelles au niveau de la population libanaise se chiffrent chaque année, sur tout le territoire, à environ 25 000.

On ne dispose pas de chiffres concernant les décès auprès de la population syrienne qui s'est réfugiée au Liban, mais, depuis des mois, au Liban-Nord, notamment au Akkar, les ressortissants syriens ont du mal à enterrer leurs morts, faute de place dans les cimetières libanais.
Les membres du Comité des ulémas syriens, qui siège à Halba, dans le Akkar, racontent les péripéties que les familles de réfugiés traversent quand elles perdent un de leurs membres.
Avant la crise en Syrie et jusqu'à l'année dernière, un cimetière de Tripoli consacré aux étrangers accueillait les cadavres de tous ceux qui mourraient au Liban-Nord, hors de leur pays, notamment des Égyptiens, des Pakistanais, des Soudanais, et, certes, des Syriens.
« Le cimetière a fermé il y a presque un an. Les réfugiés syriens l'ont utilisé jusqu'à l'année dernière. Comme il n'y avait plus de place, il a fermé ses portes », rapporte Ahmad, membre du Comité des ulémas syriens.
« Il faut payer 600 dollars par mort pour enterrer nos défunts dans les cimetières tripolitains utilisés par les Libanais. D'ailleurs, c'est le prix que les Libanais eux-mêmes paient. Nous n'avons pas les moyens de le faire », ajoute-t-il.

Depuis donc un peu moins d'un an, la mort d'un réfugié syrien pose un problème logistique à sa famille. Où peut-on l'enterrer le plus rapidement possible ? Rappelons dans ce cadre que, conformément aux us et coutumes de la communauté musulmane, un mort devrait être enterré rapidement après le décès – sauf exception –, idéalement au moment de la prière qui succède le décès.


(Lire aussi : Les chrétiens d'Alep, des morts (presque) sans sépulture...)

 

Une camionnette en guise de corbillard
« Avec le manque d'espace, parfois nous gardons les morts sans enterrement plus de 36 heures. Nous les mettons dans une camionnette, en guise de corbillard, et parfois nous tournons d'un village à l'autre pour trouver un cimetière », indique Ahmad. « Nous n'avons pas les moyens de placer le défunt à la morgue. Il est déjà difficile aux réfugiés syriens d'être admis à l'hôpital au Liban... avoir une place gratuite dans une morgue relève de l'impossible », poursuit-il, notant que « souvent l'état du cadavre se détériore avant son enterrement ».

Le Comité des ulémas syriens effectue également – à chaque décès – des appels téléphoniques auprès des municipalités du Akkar pour tenter de trouver une place au cimetière...Très rares sont les municipalités qui répondent par l'affirmative. C'est que les cimetières des villages sont petits et les habitants ne veulent pas créer un précédent de peur de voir tous les réfugiés syriens décédés au Liban être enterrés dans leur petite localité.
« À chaque décès, nous effectuons une dizaine de coups de fil, nous faisons le tour des villages. Parfois quelques bonnes âmes répondent par l'affirmative, nous indiquent un petit cimetière oublié. Parfois même, mais cela arrive plus rarement, certains mettent à notre disposition le cimetière de leur famille », raconte encore Ahmad.

Mais les histoires positives sont moins nombreuses que les déboires assumés par ceux qui perdent un bien-aimé.
Deux grandes mésaventures ont été retenues à Kawachra, village du Akkar habité de Turkmènes et disposant d'un grand cimetière.
Une fois, les habitants ont tiré en l'air pour disperser le cortège funèbre. Une balle perdue a atteint la civière où le mort gisait. Les musulmans enterrent leurs morts dans des linceuls, et les cadavres sont transportés sur des civières jusqu'au cimetière. « Nous avons pris la fuite, laissant le mort par terre... » indique Ahmad.
Plus d'un évoque l'histoire d'un petit garçon de trois ans mort et enterré à Kawachra. Sa tombe a été profanée deux jours plus tard et son corps sorti de la terre. Les photos prises, qui montrent le linceul blanc, déterré mais intact, prouvent que l'acte n'est pas celui d'un chien ou d'un loup.
Le père du garçon et le cheikh appartenant au Comité des ulémas syriens ayant procédé à l'enterrement du petit ont été arrêtés pour quelques heures. « Le président du conseil municipal de Kawachra entretient de très bons contacts avec la gendarmerie... Les deux hommes ont été accusés d'avoir eux-mêmes profané la tombe, emprisonnés quelques heures et cela pour les dissuader de porter plainte », raconte encore Ahmad.

Suite à ces deux affaires, le Comité des ulémas musulmans a trouvé une solution en enterrant de nombreux réfugiés syriens qui meurent au Liban-Nord, notamment à Tripoli et Denniyé, et dans le Akkar, à Wadi Khaled, dans des cimetières proches de la frontière syrienne. Mais là aussi un problème, et non des moindres, se pose.

(Lire aussi : « J'aimerais avoir dix enfants, mais pas dans ces conditions »)

 

Membres du cortège funèbre arrêtés
Suite à la décision du gouvernement libanais de faire payer à chaque réfugié syrien 200 dollars par an pour renouveler sa carte de séjour au Liban, et suite à sa décision, prise en septembre 2014, d'obliger les hommes syriens à avoir un sponsor pour pouvoir renouveler leurs papiers et ceux de leurs familles, un grand nombre de réfugiés syriens, voire 90 % d'entre eux, n'ont pas de papiers en règle. Ces réfugiés syriens peuvent être arrêtés aux barrages et emprisonnés.

Quand ils enterrent leurs morts à Wadi Khaled, les Syriens habitant Tripoli, Denniyé et le Akkar doivent inévitablement passer le barrage de l'armée à Chadra. Or les militaires postés à ce barrage vérifient minutieusement les papiers officiels des Libanais, des étrangers et des réfugiés syriens. À plusieurs reprises, des réfugiés dont les papiers n'étaient pas en règle et accompagnant le cadavre de leur camarade et bien-aimé à Wadi Khaled ont été arrêtés au barrage et emprisonnés. « Souvent, nous étions une vingtaine et il ne restait plus que cinq ou six à revenir à Tripoli... Le reste ayant été arrêté au barrage de Chadra », raconte Ahmad.
« Nous avons trouvé une solution. Le cadavre est conduit en camionnette par une personne dont les papiers sont en règle. Souvent, le corps du défunt est envoyé sans être accompagné des membres de sa famille », ajoute-t-il.

Après avoir effectué des pourparlers avec Dar el-Fatwa à Beyrouth, au Liban-Nord et à Tripoli, le Comité des ulémas syriens a décidé d'acheter un terrain au Liban-Nord. Le terrain sera mis sous la tutelle de Dar el-Fatwa et sera transformé en cimetière où seront enterrés les Syriens qui meurent au Liban.
« Le moindre terrain coûte 60 000 dollars. Nous avons repéré quelques-uns. Mais nous n'avons pas les moyens de le payer. Nous espérons pouvoir collecter l'argent nécessaire », souligne Ahmad.
En attendant, à chaque décès d'un réfugié syrien, c'est le branle-bas pour trouver un cimetière où l'enterrer.

 

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« Pas le temps de pleurer ma mère »

Mahmoud Charrouf, réfugié syrien du district de Homs, est âgé de 65 ans. Il a perdu sa mère le 3 janvier dernier et il lui a fallu plus de 18 heures pour lui trouver un cimetière.
Mahmoud était officier de l'armée syrienne jusqu'en 1975. Il a été emprisonné cette année-là pour avoir défié le régime et déclaré qu'il refusait la guerre contre l'Irak. La guerre entre les deux partis Baas, syrien et irakien, n'a jamais eu lieu, mais Mahmoud a passé 17 ans dans les geôles du régime syrien.
Libéré en 1991, il est rentré sans son village, s'est marié et a eu quatre enfants. Il vivait d'un grand terrain agricole que sa famille lui avait gardé.

Mahmoud Charrouf est arrivé en tant que réfugié au Liban il y a trois ans. Il est venu avec son épouse, ses enfants et sa mère, une femme handicapée suite à un anévrisme cérébral. Il habite dans un appartement à proximité de Halba. « Ma mère est morte le 3 janvier, peu avant la prière récitée au coucher du soleil. Si j'étais en Syrie, je l'aurais enterrée juste après la prière... Je ne savais que faire à son décès, où l'enterrer. Je suis entré en contact avec le Comité des ulémas. Ils ont effectué des contacts. Moi aussi. Cette nuit-là, je n'ai pas dormi. Pas parce que je pleurais ma mère, mais parce que je m'inquiétais pour lui trouver un cimetière. Ce n'est que le lendemain à midi qu'on lui a trouvé un petit cimetière, presque une fosse commune, où on nous a donné la permission de l'enterrer. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que je ne l'ai pas encore pleurée, que je n'ai pas pensé à ma perte. J'étais affairé à lui trouver un cimetière », raconte-t-il.

« Dans mon village en Syrie, des sunnites, des alaouites et des chrétiens sont enterrés dans le même cimetière. Au Liban, on refuse même d'enterrer des personnes de la même communauté, mais de nationalité différente dans le même cimetière... Mais peut-être que cela s'applique uniquement aux morts syriens », poursuit-il.

 

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Depuis quatre ans, chaque année, on compte environ 50 000 naissances au sein de la population de réfugiés syriens alors que les naissances annuelles au niveau de la population libanaise se chiffrent chaque année, sur tout le territoire, à environ 25 000.
On ne dispose pas de chiffres concernant les décès auprès de la population syrienne qui s'est réfugiée au Liban, mais, depuis des...

commentaires (2)

Aux inombrables et insolubles problèmes des réfugiés syriens, une seule et unique solution: leur retour chez eux!!!!!!! Il ne manque plus qu'à se faire du souci pour leurs morts: il faut les nourrir, les éduquer, les soigner, leur trouver du boulot, les consoler... Et maintenant, les enterrer... Au fond, pourquoi est-ce qu'on ne déterrerait par les morts libanais pour mettre les morts syriens à leur place? Qu'en pensez-vous??? Tant qu'à faire... On n'est plus à quelques mètres de plus ou de moins à leur concéder...

NAUFAL SORAYA

09 h 42, le 23 février 2016

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Commentaires (2)

  • Aux inombrables et insolubles problèmes des réfugiés syriens, une seule et unique solution: leur retour chez eux!!!!!!! Il ne manque plus qu'à se faire du souci pour leurs morts: il faut les nourrir, les éduquer, les soigner, leur trouver du boulot, les consoler... Et maintenant, les enterrer... Au fond, pourquoi est-ce qu'on ne déterrerait par les morts libanais pour mettre les morts syriens à leur place? Qu'en pensez-vous??? Tant qu'à faire... On n'est plus à quelques mètres de plus ou de moins à leur concéder...

    NAUFAL SORAYA

    09 h 42, le 23 février 2016

  • POURQUOI L,AMBASSADE SYRIENNE NE S,OCCUPE PAS DES SYRIENS REFUGIES AU LIBAN... COMME TOUTES LES AMBASSADES S,OCCUPENT DES RESSORTISSANTS DE LEURS PAYS A L,ETRANGER... ILS NOUS CHANTAIENT QUE TOUT CE MONDE VEUT RETOURNER AU PAYS CAR LE REGIME AVAIT RETABLI LA SECURITE... QU,ILS ENVOIENT AU MOINS LES DEPOUILLES DE LEURS MORTS POUR ETRE ENTERREES DANS LEUR PAYS... OU CE MILLION + SONT POUR EUX DES TERRORISTES AUSSI ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 57, le 23 février 2016

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