Depuis plusieurs jours, l'éventualité d'une intervention militaire turco-saoudienne en Syrie se profile à l'horizon. Samedi dernier, 13 février, l'Arabie saoudite a déployé des avions de combat sur la base aérienne d'Incirlik en Turquie, selon le ministère saoudien de la Défense, alors que des avions de la coalition internationale menée par les États-Unis s'y trouvent déjà. Et hier, les forces aériennes turques et saoudiennes ont débuté des manœuvres conjointes au-dessus de la Turquie, exercices programmés de longue date, il est vrai, mais qui interviennent à point nommé. Ils confortent en effet les déclarations d'Ankara et Riyad quant à un envoi possible de troupes en Syrie pour intensifier la lutte contre l'État islamique (EI).
Parallèlement, la Turquie continue de bombarder les Kurdes présents à proximité de la frontière syro-turque dans la province d'Alep, sans pour autant réussir à freiner leur avancée. De leur côté, les troupes du régime syrien, aidées de ses alliés et de l'aviation russe, continuent de progresser dans cette même province, infligeant une cuisante défaite à l'opposition armée encore sur place.
Ces développements sur le terrain surviennent alors que les tentatives de régler diplomatiquement le conflit syrien sont au point mort. L'annonce d'un accord, vendredi 12 février, entre les 17 pays membres du Groupe international de soutien à la Syrie (ISSG), concernant une trêve supposé débuter vendredi et une aide humanitaire accrue à plusieurs villes assiégées, n'aura d'ailleurs pas suscité beaucoup d'espoirs.
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Vœu pieu
En termes de timing, Riyad et Ankara n'auraient donc pas pu faire mieux. Mais cette coopération entre les deux puissances sunnites, qui pour l'instant n'est qu'un vœu pieu et non une certitude, n'est-elle qu'un bluff ? Nombreux sont les observateurs qui s'accordent à le dire, jugeant que le royaume wahhabite est trop embourbé au Yémen depuis près d'un an, pour se permettre de risquer plus encore. De son côté, la Turquie est dans une position déjà assez délicate, avec la reprise des hostilités avec les Kurdes sur son sol, en Irak et en Syrie. Sa vie politique fragilisée par les scandales à répétition, notamment concernant son aide à Daech (acronyme arabe de l'EI), et ses relations exécrables avec la Russie dont elle a abattu un avion le 24 novembre dernier, ne lui permettent pas d'agir de manière inconséquente, ce qui lui vaudrait d'être encore plus isolée sur la scène internationale. D'autant que la Russie entretient des relations commerciales majeures avec l'Arabie saoudite et la Turquie.
Il serait illusoire de croire que ces deux pays, en cas d'intervention militaire en Syrie, ne viseraient que Daech. Il est évident que des affrontements entre Turcs et Kurdes sont difficilement évitables, comme le seraient des face-à-face entre les forces turques/saoudiennes, et celles du régime de Damas et leurs alliés. Ces derniers sont en outre particulièrement aguerris en matière de stratégies militaires sur le terrain, ce qui n'est pas le cas du royaume; les houthis yéménites, après tout, ne sont pas le Hezbollah, ou les pasdarans iraniens.
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Sur le terrain
Les conséquences d'une telle initiative seraient donc désastreuses, à plus d'un niveau. Matériellement et militairement, il n'est pas certain que l'Arabie saoudite et la Turquie puissent enregistrer des succès solides sans coordination parfaite avec le reste de la coalition internationale. Ce qui n'est pas acquis, la Turquie pilonnant sans relâche les Kurdes syriens, soutenus par Washington... et Moscou. Pendant ce temps, ces mêmes forces kurdes reprennent des territoires à certaines forces rebelles (soutenues par l'Arabie, la Turquie, les États-Unis) pour essayer de relier plusieurs cantons kurdes en un seul territoire uni qui longerait la frontière syro-turque. Cela couperait un axe de ravitaillement vital pour Daech, entre le nord syrien et la Turquie, sans oublier les dégâts que subirait le trafic de pétrole dont vit le groupe islamiste. Il est logique de s'attendre à ce que le gouvernement syrien – ou l'un de ses alliés – puisse donc riposter à ce qui représenterait une violation certaine de son territoire.
Les menaces de Riyad et Ankara pourraient donc n'être qu'un moyen parmi d'autres de faire pression sur ses alliés occidentaux, et plus particulièrement Washington, qui semble perdre le goût pour la confrontation dans la région. Son rapprochement avec l'Iran, depuis la signature d'un accord sur son programme nucléaire l'été dernier, et sa proximité, sinon son entente, avec Moscou ont de quoi susciter l'inquiétude de l'Arabie saoudite et de la Turquie. Depuis, ces dernières ont vu leurs relations avec l'allié américain traditionnel se distinguer fortement sur certains dossiers. Entre autres, le départ de Bachar el-Assad du pouvoir, éventualité qui n'est plus, aujourd'hui, une condition sine qua non imposée par l'Occident en vue d'une solution politique en Syrie.
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commentaires (5)
Voilà ce qu'on demande Mme Samia Medawar , des analyses réalistes , vraies , justes et pas faites pour faire plaisir ou faire du tort .Merci . La défaite du camp turco/saoudo est enclenchée , quoi qu'il advienne , au Yémen on a pas des pasdarans , des combattants du hezb et les armes sophistiquées des russes , en Syrie elles sont là , implantées , et prêtes à servir , la Syrie a déjà par le passé envoyé 2 avions turcs par les fonds marins , la Russie n'était pas encore présente . Enter en guerre est facile , mais en sortir sera plus difficile , et franchement analysons bien les choses , la Russie NPM et l'Iran NPR , par rapport à la Turquie et aux bensaouds , y a pas photo , les 1ers fabriquent eux mêmes leurs armes , les autres dépendent de fabricants qui voudront bien leur livrer ou pas ! Vous comprenez la différence sur un terrain d'opération militaire ?
FRIK-A-FRAK
12 h 50, le 16 février 2016