L'on savait depuis dimanche matin qu'il viendrait à Beyrouth, mais son entrée au Biel n'en a pas moins provoqué un grand émoi au sein d'un public acquis au courant du Futur. À la onzième commémoration de l'assassinat de son père Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre Saad Hariri a entamé la cérémonie par des accolades à ses alliés, même ceux avec lesquels la relation n'est pas au beau fixe, et l'a terminée par une photo de groupe des leaders du 14 Mars. Après les dissensions de ces derniers mois, les efforts de rassemblement des troupes semblent presque ostentatoires.
Presque tous les leaders de premier plan étaient présents ou, du moins, représentés : côté 14 Mars, le chef des Forces libanaises (FL) Samir Geagea et sa femme, la députée Sethrida Geagea, ont fait le déplacement, l'ancien président Amine Gemayel et son fils, le président du parti Kataëb Samy Gemayel, les ténors du courant du Futur, notamment le chef du bloc, Fouad Siniora, et la députée de Saïda Bahia Hariri, les députés et ministres indépendants tels Boutros Harb... Parmi les absents, le président du Parlement Nabih Berry était représenté par le député Abdel Latif Zein, le chef du bloc de la Lutte populaire, Walid Joumblatt, par son fils Taymour, le chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, par l'ancien député Edgar Maalouf – sans compter la présence du ministre de l'Éducation Élias Bou Saab – le député Sleiman Frangié par le ministre de la Culture Rony Araïji. Le secrétaire général du Tachnag, Hagop Pakradounian, était également là.
L'ambiance dans la salle, elle, est survoltée : les applaudissements du public semblent plus ou moins coordonnés, leur intensité s'élève surtout dès que le chef du Futur salue chaleureusement un leader du 14 Mars, notamment Samir Geagea ou Samy Gemayel, mais aussi certains « dissidents » du courant lui-même comme le député Khaled Daher, mis au ban suite à ses prises de position jugées extrémistes. Aucune autre personnalité ne partage le triomphe de M. Hariri autant que le ministre de la Justice Achraf Rifi, un des ténors du courant du Futur : les deux hommes se sont opposés récemment par tweets interposés sur fond d'une prise de position de M. Rifi en Conseil des ministres. L'arrivée de ce dernier au Biel n'en a pas moins soulevé un tonnerre d'applaudissements, même si c'est le nom de Saad Hariri qui est prononcé tout haut. La longue accolade entre les deux hommes est très applaudie.
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L'image du Premier ministre assassiné reste évidemment omniprésente, notamment par le biais d'un documentaire projeté pour l'occasion, où alternent habilement les images du père et du fils, montrés au cours de l'exercice de leur fonction. Comme on pouvait s'y attendre, les deux hommes sont présents aussi dans les slogans scandés : « Saad, Saad », ou « Abou Bahaa ». Un homme à la voix forte se lève régulièrement pour lancer à l'ancien Premier ministre un « Que Dieu te garde ! ». Le nom de Michel Aoun, ainsi que toute référence au Hezbollah (et elles sont nombreuses), sont systématiquement hués, ce qui pousse Saad Hariri à calmer le public à un certain moment de son discours.
La « vacance » laissée au public
S'exprimant d'un ton qui a pris de l'assurance, ne négligeant pas les pointes d'humour (comme avec un « c'est trop ! » prononcé en français pour s'indigner de certaines « exagérations » qu'il a relevées dans la politique du Hezbollah), Saad Hariri prononce un long discours au cours duquel il déclare « vouloir vider son sac ». « Ce n'est pas seulement le président (du Parlement) Nabih Berry qui a le droit de le faire », dit-il, s'attirant les rires complices du public. « On a trop souvent parlé pour moi ces derniers temps, il est temps que je parle pour moi-même », ajoute-t-il.
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Dans la première partie du discours, assez formelle, l'ancien Premier ministre relève abondamment ce qu'il présente comme la dichotomie entre l'influence iranienne et l'appartenance arabe, des références qui trouvent à chaque fois un écho, approbateur ou désapprobateur, auprès du public. « Nous sommes tous arabes et nous le clamons fort », lance-t-il notamment.
Arrivé au moment le plus attendu de son discours, quand il doit aborder son initiative pour mettre un terme à la vacance présidentielle, Saad Hariri passe de manière impromptue à l'arabe dialectal et prend un ton de confidence. Pour aborder son initiative qui visait à appuyer la candidature de l'ancien ministre Sleiman Frangié, il se réfère habilement au récit de leur rencontre qu'en a fait Frangié lui-même, lors d'un entretien télévisé. Quand il en arrive au point où il accuse le Hezbollah de n'avoir d'autre candidat que la vacance elle-même, c'est au public qu'il laisse le soin de prononcer le mot « vacance », comme pour souligner sa complicité avec lui.
Il fait par ailleurs des références très acclamées à la « démocratie libanaise qui permet à plusieurs candidats de se présenter », au fait qu'il est « inacceptable » de n'organiser des élections que si Michel Aoun est le seul candidat, etc. Tout au long de son discours, il se présente comme rassembleur dans les rangs du 14 Mars et de son propre parti, qu'il appelle à « une remise en question », et comme un défenseur des intérêts nationaux.
Après la photo des leaders du 14 Mars, le public se bouscule pour se rapprocher de Saad Hariri, provoquant une vive réaction des forces de sécurité, très présentes sur les lieux tout au cours de la cérémonie. Celui-ci s'éclipse aussitôt, après avoir fait son effet sur ses partisans. Pour le jeune Merhebi, 18 ans, venu de Tripoli avec ses amis dans l'un des nombreux bus qui ont fait le chemin du Biel, il ne fait aucun doute que « beaucoup de problèmes seraient résolus si (Saad Hariri) rentrait au pays ».
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c'est un jeu de role ne vous en faites pas et pour juste memoire nous preferons mille fois Aoun a Frangieh qui lui est le frere de l'assassin de Damas, bcp plus qu'Aoun !!
19 h 27, le 15 février 2016