En période de crise aiguë, il est parfois utile et salutaire de réaffirmer certaines évidences... Et de faire preuve de discernement. C'est ce à quoi se sont attelés hier soir tous les ténors et chefs de file du 14 Mars, par leur présence, leur comportement et leurs propos, lors de la cérémonie organisée au Biel pour la onzième commémoration de l'assassinat de Rafic Hariri. Cette participation unanime, au plus haut niveau de la hiérarchie, de l'ensemble des partis, composantes et personnalités de la coalition souverainiste, ainsi que les retrouvailles chaleureuses (du moins en apparence...) de certains leaders avec le chef du courant du Futur, Saad Hariri, ont permis aux différentes factions concernées de réaffirmer leur attachement ferme, et stratégique, aux fondamentaux de la révolution du Cèdre.
Fait particulièrement significatif : ce retour aux sources initié à la faveur de cette cérémonie commémorative a été marqué cette année par une présence notable du courant des Marada, du parti Tachnag, du Courant patriotique libre et du bloc de Nabih Berry. Le Hezbollah a dû se sentir bien seul hier soir à la vue du vaste rassemblement du Biel. Il faut dire que son centre d'intérêt est ailleurs, bien au-delà des frontières libanaises : il se situe en Syrie, en Irak, au Yémen, à Bahreïn, à Gaza et dans bien d'autres recoins de la terre.
C'est précisément à ce niveau qu'apparaît l'importance de la remise en selle, en grande pompe, des principes fondateurs de l'intifada de l'indépendance du printemps 2005. Une fois de plus, il est nécessaire à cet égard de rappeler que le 14 Mars représente beaucoup plus qu'un simple et traditionnel rassemblement de partis et de personnalités politiques. Il constitue plutôt, dans une perspective historique, l'expression d'une certaine vision de la vocation du Liban et de son rôle dans la région. Cette vision porte sur des options fondamentales ayant une portée nationale : le refus de tout ancrage à l'axe irano-syrien ; le rejet de la présence et du diktat des armes du Hezbollah ; l'attachement au monopole de la violence légitime ; la sauvegarde de la souveraineté et de l'indépendance réelles et bien comprises de l'État central ; la mise en pratique de la politique de distanciation par rapport aux conflits régionaux ; la préservation du vivre-ensemble sur des bases équilibrées garantissant le pluralisme et les spécificités du tissu social libanais...
Ces lignes directrices peuvent paraître des principes généraux, des lapalissades, et revêtir pour certains un caractère totalement banal, mais dans les faits, ils font toute la différence avec le projet politique du Hezbollah. La doctrine politique du parti chiite pro-iranien, telle qu'elle a été établie au milieu des années 80, est fondée en effet sur l'allégeance inconditionnelle au guide suprême de la révolution iranienne pour toutes les grandes décisions ayant une portée stratégique, dont notamment la décision de guerre et de paix. Dans cette optique, le Hezbollah prône un alignement total sur la politique régionale de Téhéran et n'épargne, par voie de conséquence, aucun moyen (fût-il violent) pour favoriser l'édification d'une société guerrière au Liban qui serait au service de la stratégie moyen-orientale du régime des mollahs. D'où sa participation aux combats en Syrie, parallèlement à son implication dans les conflits en Irak, au Yémen et à Bahreïn, sans compter son attachement obstiné au triptyque armée-peuple-résistance qui prend l'ensemble du pays en otage.
À la lumière de cet antagonisme radical entre les deux projets de la révolution du Cèdre et du Hezbollah, les divergences entre les composantes du 14 Mars revêtent un caractère conjoncturel et transitoire, voire dérisoire. Telle est, dans le fond, l'essence du meeting d'hier soir au Biel et la portée du discours de Saad Hariri. En affirmant haut et fort que le pays du Cèdre ne sera jamais une province iranienne et en insistant – dans un geste symbolique – pour que tous les leaders et ténors du 14 Mars prennent ensemble une photo souvenir pour réaffirmer leur solidarité dans le combat contre la politique hégémonique de l'axe irano-syrien, le chef du courant du Futur a voulu remettre les pendules à l'heure. Reste à espérer que l'autocritique à laquelle il a appelé au terme de son allocution permettra d'éviter à l'avenir les dérapages et, surtout, les initiatives unilatérales centrifuges qui, si elles se poursuivent, risquent, à terme, de saper pour de bon le mouvement fondateur transcommunautaire enclenché le 14 mars 2005.
Michel TOUMA
commentaires (8)
merci Mr Touma comme tjrs clair, net et precis !!
Bery tus
19 h 24, le 15 février 2016