Des rumeurs et des ailes

Non, ce n'est pas le titre de la prochaine émission de TV5. Remarquez, il y a bien là matière à documentaire. Voici pour vous.
Tsé-tsé, domestique, drosophile à vinaigre ou à merde, on les côtoie tous les jours. On en trouve partout. Dans tous les pays, toutes les villes, tous les quartiers et presque dans toutes les maisons. Des poilues, petites ou grandes, des grosses aux yeux globuleux vert gazole ou des fines à taille de guêpe. Toujours est-il que, jeunes ou âgées, mâles ou femelles, elles sont à gazer au Baygon, à écrabouiller à la tapette. Mais ces derniers temps, évoluant dans la dégueulasserie de l'air que l'on respire à Beyrouth, on assiste à la prolifération d'une espèce pourtant bien connue, mais que chacun se garde d'écraser. Elle ferait même peur à celui-dont-on-ne-peut-pas-prononcer-le-nom.
L'été, elle aime à se rafraîchir autour d'un point d'eau avec ses copines. S'y dégage alors un bourdonnement prospère qui distrait les unes et avise les autres. L'hiver, plutôt que ragoûts, ce sont des ragots qu'elle mitonne. Elle est en général mal aimée, car peut apporter des souillures dans les foyers et très souvent est une cause de dérangement. Insecte abject à l'odorat très développé, il peut détecter une frêle rumeur à des kilomètres. C'est lui qui collecte, déforme, invente parfois et transmet les rumeurs nocives comme il transmettrait des germes mortels – je l'appelle la « mouche-à-oreille ».
Pierre Desproges disait : « La rumeur, c'est le glaive merdeux souillé de germes épidémiques que brandissent dans l'ombre les impuissants honteux. » Impuissante, c'est bien ce qu'elle est. Honteuse, il y a de quoi. Animée par la jalousie, c'est un autre postulat. Inutile de perdre son temps à essayer de comprendre. Avoir l'air con peut parfois être utile, mais l'être vraiment est sans doute plus facile pour réussir à vivre au pays du Cèdre en bonne harmonie avec ces insectes.
Quoi qu'il en soit, « mouche-à-oreille » ou « bouche-à-merde », elle n'a rien d'autre, la malheureuse, que des rumeurs et des ailes.

Caroline TORBEY