Des rebelles syriens et un volontaire de la défense civile transportent le corps d'une victime d'une frappe aérienne syrienne à Alep, le 8 février 2016. AFP / Ameer al-Halbi
En portant un coup très dur aux rebelles syriens, le siège d'Alep (nord) par le régime syrien soutenu par Moscou met en échec le triple objectif affiché des Occidentaux: chasser Bachar el-Assad, tarir le flot des réfugiés et vaincre les jihadistes du groupe Etat islamique.
"Avec la puissance militaire russe, on entre dans une guerre asymétrique. Si le régime syrien, avec l'aide des Russes, reprend Alep, c'est la fin de la guerre classique", note la Syrienne Bassma Kodmani, ancienne porte-parole du Conseil national syrien (opposition).
Les forces du régime, soutenues par la Russie, l'Iran et le Hezbollah libanais, sont parvenues à quasiment encercler Alep, partiellement tenue par les rebelles. La perte totale de la deuxième ville du pays affaiblirait fortement les rebelles, déjà en difficulté sur d'autres fronts. L'offensive du régime sur Alep a fait fuir vers la frontière turque des dizaines de milliers de Syriens qui espèrent rejoindre les millions de leurs compatriotes réfugiés dans la région ou en Europe.
Si la ville tombe, "la résistance passera à une autre stratégie, probablement la guérilla", face à la "force d'occupation" que représentent les différentes milices qui soutiennent l'armée syrienne, prédit Bassma Kodmani. "La guerre civile nourrit une horrible crise humanitaire, avec des répercussions évidentes sur les deux grandes inquiétudes des Occidentaux, que sont les réfugiés et l'extrémisme", renchérit Julien Barnes-Dacey, expert au Conseil européen pour les relations extérieures.
Outre ces deux aspects, la reprise d'Alep par les forces gouvernementales mettra à mal la stratégie poursuivie par les Occidentaux. Donné en grande difficulté il y a un an, Bachar el-Assad se retrouvera à nouveau en position de force face à Washington, Paris, Ankara ou certains pays arabes comme l'Arabie saoudite qui avaient juré sa perte.
Si Alep tombe, les négociations intersyriennes, si elles reprennent un jour, "se feront sans l'opposition", estime Agnès Levallois, consultante et spécialiste du Moyen-Orient. Les négociations de Genève entre le régime et l'opposition dite "modérée", censées progresser vers une solution politique en Syrie, ont été ajournées début février après six journées d'attentes et de tractations non concluantes.
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Illusions sur une solution diplomatique
L'opposition a réclamé l'arrêt des bombardements russes et la levée des sièges d'une quinzaine de villes, où, selon l'Onu, près de 500.000 personnes vivent coupées d'aide humanitaire. Au même moment était annoncé le siège quasi complet d'Alep, qui place encore plus les rebelles en position d'infériorité.
L'évolution de la situation sur le terrain "pourrait permettre à Bachar de mettre en avant une opposition qu'il aurait lui-même choisie. Des gens pour lui acceptables, par exemple des opposants de l'intérieur, ou des gens comme Haytham Manna", un militant pour les droits de l'Homme, note Agnès Levallois.
"Le projet des Russes pourrait alors s'accomplir", qui est de faire de Bachar el-Assad, que Moscou et Téhéran soutiennent mais dont les Occidentaux demandent le départ, "le seul rempart contre l'Etat islamique" (EI).
Mais ce serait pourtant un mauvais calcul, poursuit-elle. Car cette bipolarisation "régime contre Daech" (acronyme arabe de l'Etat islamique) poussera la communauté sunnite dans les bras du groupe jihadiste, qui se posera alors comme "seul défenseur des Sunnites, face au régime syrien", proche des chiites. Maintenir Bachar el-Assad, c'est "fournir du carburant à Daech", insiste-t-on à Paris.
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L'erreur des Occidentaux a été de "soutenir les rebelles avec l'idée qu'ils allaient combattre Daech, et non le gouvernement. Mais cela n'a pas fonctionné", estime Columb Strack, expert pour le groupe IHS (Londres).
Une déroute des rebelles modérés pourrait aussi donner de l'espace à l'EI, avertit Hassan Hassan, du Tahrir Institute for Middle East Policy (Washington). "Les rebelles pensent qu'ils sont en train de perdre la guerre. Cela crée des opportunités pour de nouveaux groupes extrémistes. Si le régime prend le contrôle de certaines de ces zones, l'EI pourra y revenir plus facilement. Ce sera un des sujets majeurs, dans les mois qui viennent", estime-t-il, ajoutant que les Occidentaux se "bercent d'illusions" en pensant qu'une solution diplomatique est toujours possible.
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commentaires (8)
"L'armée syrienne" ! Quel oxymore ! Äâââl "armée", äâââl ! GANG de chabbîhâhs et de mercenaires va-nu-pieds, oui !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
16 h 09, le 10 février 2016