Libanais sous Influenza

Janvier est arrivé et avec lui la pluie. Quand on entend les gens parler, et le ministre de l'Éducation en l'occurrence, on a l'impression que les Libanais ne savent plus ce qu'est l'hiver. La moindre goutte, le moindre flocon prend des proportions de déluge, de tempête. Comme si le ciel nous tombait sur la tête.
Ce n'est pas le ciel, c'est juste que ça tombe. Et ça fait du bien. Parce qu'après la frénésie des fêtes, des soirées imbibées, de nos foies trop gras, des hypoglycémies dues aux chocolats et aux marrons glacés offerts ici et là (chilé tante taybin), on avait sacrément besoin d'une pause. D'une pause maison. Et ce temps-là tombe très bien.

Aucun sentiment de culpabilité de rester chez-soi en pyjama quand le seul plaisir est de se lover dans un plaid à regarder la pluie s'abattre sur les fenêtres ou mater un film qu'on s'était promis de regarder, de lire un bouquin poussiéreux à force d'être resté fermé sur notre table de chevet. Et ça tombe bien, parce que tout le monde, quasiment tout le monde, a chopé la crève. Pour une fois qu'on est en accord sur quelque chose, fallait pas rater ça. Rhume, gorge qui gratte, fièvre, nez rougi qui coule, lèvres gercées, yeux gonflés et les enrhubés qui barlent comme ça ; vaut mieux pas s'exhiber quand on ressemble à un mannequin pour Panadol cold and flu. Moins glam que nos tenues du 31 au soir.

Ah cette grippe. Panique à bord. Pollution, virus, contamination, toutes les théories ont été lancées. L'air est pourri, le temps est pourri. Et chacun en a eu pour son argent niveau hypocondrie. C'est drôle comment chaque personne réagit différemment en cas de petite maladie. Il y a d'abord ceux qui savent gérer. Se soignent comme il faut grâce aux conseils de leur médecin. Tisane, Physiomer, Panadol (khod Panadol) et repos. Il y a ceux qui paniquent au premier éternuement. Antibio direct en automédication. Inutile quand c'est viral. On aura beau l'expliquer (les antibiotiques, c'est pas automatique), il y en aura toujours quelques-uns pour carburer à coups d'Augmentin. Il y a également ceux qui se plaignent, gémissent, geignent du fond de leur lit où allongés comme des drama queen en puissance font croire à leur entourage qu'ils sont au seuil de la mort. Le dos de la main posé sur le front, ils ne parlent plus qu'en alexandrins, le drap jeté derrière l'épaule comme une tragédienne grecque. Et il y a ceux qui en profitent et qui se font porter malade puisque tout le monde l'est au bureau. Un peu comme ces conducteurs qui tracent derrière une ambulance quand elle s'est frayée son chemin dans un embouteillage, tout en prenant une mine de circonstance alors qu'ils ne connaissent ni d'Adam ni d'Ève le malheureux étendu sur le brancard.

C'est fou, même la grippe frappe comme une mode au Liban. Du même genre que le kale, le quinoa, le single malt, Mykonos. Machin est malade, moi aussi. Moi aussi, j'ai mal à la tête, moi aussi je prends du Mucosolvan, moi aussi j'ai le dos cassé, les os qui font mal de dedans. Sa2atit el-grippe (force est de constater le nombre de choses d'ailleurs yallé bi sa2to au Liban). Une mode dont on se serait bien passé, évidemment. Une mode un peu has been. Une mode so 2004 et sa H1N1. Une mode qui partira, on l'espère, avec les déchets. Ces déchets dont on souhaite vraiment la désuétude.
Reste à espérer surtout qu'on ne va pas choper un rhume de cerveau, il paraît que c'est une grippe politique et que c'est gravement contagieux. Salémetkon.