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Culture - Note de lecture

La deuxième naissance d’Éric-Emmanuel Schmitt

« La nuit de feu » de l'auteur français ou le récit d'un passage de l'absurde au mystère, par le désert.

Éric-Emmanuel Schmitt raconte sa nuit d’extase dans le désert algérien.

Le dernier livre d'Éric-Emmanuel Schmitt, La nuit de feu(*) n'est pas un roman, mais un récit. L'auteur à succès y rapporte les détails de l'extase qu'il a vécue, à 28 ans, dans le Hoggar algérien, au cours d'un voyage d'exploration; une expérience fulgurante qu'il a précieusement gardée secrète de longues années durant. « Je suis chrétien », confie-t-il aujourd'hui, candidement, à la fin d'un entretien télévisé consacré à son livre. Et pourquoi a-t-il attendu trente ans pour le déclarer publiquement ? « Par snobisme » répond-il, tout aussi candidement. Ce que l'on sait de son parcours, c'est qu'avant de s'affirmer chrétien, il a d'abord exploré certaines religions (l'islam soufi, le bouddhisme, le judaïsme, le shintoïsme), sans doute pour consolider ses repères de normalien jadis agnostique.

Le titre est emprunté à Pascal. C'est celui que la tradition a donné à un texte griffonné fiévreusement sur un papier, que Pascal avait cousu dans la doublure d'un vêtement, comme une relique, en souvenir de la nuit du 23 au 24 novembre 1654 où la présence du Christ s'était fait palpable. Blaise Pascal avait 31 ans. Le texte ne sera découvert qu'après sa mort par un serviteur qui rangeait ses habits.
Cette nuit de feu, ce moment de révélation et de conversion qui a changé Pascal, a changé aussi Éric Emmanuel Schmitt, qui l'a vécu à 28 ans. Dans son livre, il en rapporte le contexte (un voyage en Algérie sur les traces de Charles de Foucauld), les figurants (ses compagnons de voyage) et son moment (perdu et désorienté en plein désert au seuil d'une nuit glaciale de février, le corps enfoui dans le sable, pour se protéger du froid).

Tout témoignage de conversion est précieux pour l'homme en quête de sens. Celui d'Éric-Emmanuel Schmitt ne l'est pas moins que celui de Pascal. C'est parce que, dans ces moments, tout vient de la source. Ce que chacun fait ensuite de cette révélation relève d'un cheminement secret. Ce moment lui appartient, et il le fait fructifier dans sa propre vie et dans celle des autres, avec ses moyens et dans les limites de ces moyens.

La conversion d'Éric-Emmanuel Schmitt est considérable en soi. Elle l'est doublement en raison de sa notoriété littéraire. Avec des best-sellers rangés dans tous les kiosques d'aéroports (atout certain, mais pas une garantie de qualité en soi), prix Goncourt, prix de l'Académie française pour ses pièces de théâtre, dramaturge joué dans plus de cinquante-cinq pays du monde, scénariste et à l'occasion cinéaste, cet agrégé de philosophie n'est pas seulement un auteur à succès. Son visage rond et jovial, ses réparties choisies en font aussi une vedette littéraire, un écueil dont il est conscient et qu'il négocie très bien dans les entretiens qu'il accorde.

Habiller de mots l'indicible
Dans son ouvrage, Schmitt parle de son extraordinaire vécu tout à la fois sobrement et lyriquement, ainsi que philosophiquement. Sobrement mais lyriquement, c'est-à-dire avec la conscience d'une grande surprise dont il se demande, comme tout être raisonnable, pourquoi c'est à lui qu'elle est réservée. Il en rapporte quelques rares paroles à l'immense écho : « Tout a un sens, tout est justifié. » Il essaie d'habiller de mots l'indicible, mais ces derniers retombent à plat. Le jour même de la révélation, une phrase l'habite, venue d'on ne sait où : « Quelque part, mon vrai visage m'attend. »

Philosophiquement, l'agrégé rationaliste raconte comment, en une nuit extraordinaire, il va dépasser l'angoisse heideggérienne qui « le condamnait à la solitude (...) le propulsant comme seul pensant au milieu d'un univers qui ne pensait pas », et découvrir Dieu comme autre pensant (et pensant considérable) recevoir la paix des profondeurs et être conduit à l'humilité. Il dira aussi, dans un entretien : « Je suis passé cette nuit-là d'une logique de l'absurde à une logique du mystère. Maintenant, quand je ne comprends pas, je fais crédit. »
Du coup, E.-E. Schmitt découvre aussi, ou redécouvre, Charles de Foucauld, « ancien militaire de la France coloniale qui, une fois touché par la grâce, était parti en Algérie ni pour conquérir ni pour catéchiser, mais pour vivre auprès des touareg et nous fournir leurs poèmes, leurs légendes, leurs lois... ». Venu sur place en agnostique pour les besoins d'un film dont ils devaient, avec un ami, repérer les extérieurs, Schmitt voit en Charles de Foucauld un frère de conversion, lui aussi retourné par Dieu au même âge que lui. Troublante, étonnante coïncidence.

Pour centrales que soient les pages relatant sa nuit de feu, celles qui plantent le décor pour ce moment intense ne sont pas pour autant indifférentes. Elles décrivent en particulier quelque chose de ce lieu mystérieux qu'est le Hoggar, avec ses reliefs brûlants, ses rochers fantasmagoriques et convulsifs, sa nuit glaciale, ses étoiles et ses contrastes. Elles parlent aussi de ses compagnons de voyage, en particulier de Ségolène « la catho » qui a prié toute la nuit pour Éric-Emmanuel, ce dont il ne semble pas avoir fait grand cas. Il gardera son extase pour lui et n'en soufflera mot à aucun de ses compagnons de voyage, même à celle qui aurait pu la comprendre, une discrétion qui tient de la pudeur plus que de la honte ou de la lâcheté. Peut-être fallait-il sonder la profondeur de ce qui s'est passé, avant d'en parler ?

L'un des meilleurs commentaires possibles du livre d'Éric-Emmanuel Schmitt se trouve dans le livre de Jacques Maritain, Le Paysan de la Garonne, où on lit : La vérité de la foi est la vérité transcendante du mystère de Dieu (...) Les concepts et les mots qui nous transmettent la révélation sont à la fois vrais (ils nous font réellement connaître ce qui est caché en Dieu) et essentiellement mystérieux (« in aenigmate ») : ils restent disproportionnés à la réalité qu'ils atteignent sans la circonscrire ni la comprendre.
Nommer sans circonscrire ce qu'on nomme, communiquer l'indicible. Dans La nuit de feu, Éric-Emmanuel Schmitt s'y essaie à son tour. Contagieux.

Rappelons que lors de son passage au Salon du livre francophone de Beyrouth en 2002, l'auteur français avait confié en interview avec Zéna Zalzal les détails de cette expérience spirituelle.

(*) « La nuit de feu », Éric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel.

 

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Le dernier livre d'Éric-Emmanuel Schmitt, La nuit de feu(*) n'est pas un roman, mais un récit. L'auteur à succès y rapporte les détails de l'extase qu'il a vécue, à 28 ans, dans le Hoggar algérien, au cours d'un voyage d'exploration; une expérience fulgurante qu'il a précieusement gardée secrète de longues années durant. « Je suis chrétien », confie-t-il aujourd'hui,...

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IL EST INFATIGABLE, ON LE VOIT PARTOUT DANS LE MONDE, TOUJOURS AVEC LE BEAU SOURIRE. EN PLUS IL S'EXPRIME AVEC UNE FACILITÉ IMPRESSIONNANTE. J'ADORE IL DÉNONCE NOTAMMENT CE QUI SE PASSE DANS LES MUSÉES DE L'ART CONTEMPORAIN ET FAUX ARTISTES. UN GRAND NOM L'ÉCRIVAIN FRANCOPHONE LE PLUS LU AU MONDE.

Gebran Eid

12 h 50, le 01 décembre 2015

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Commentaires (1)

  • IL EST INFATIGABLE, ON LE VOIT PARTOUT DANS LE MONDE, TOUJOURS AVEC LE BEAU SOURIRE. EN PLUS IL S'EXPRIME AVEC UNE FACILITÉ IMPRESSIONNANTE. J'ADORE IL DÉNONCE NOTAMMENT CE QUI SE PASSE DANS LES MUSÉES DE L'ART CONTEMPORAIN ET FAUX ARTISTES. UN GRAND NOM L'ÉCRIVAIN FRANCOPHONE LE PLUS LU AU MONDE.

    Gebran Eid

    12 h 50, le 01 décembre 2015

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