Ça se lit d’une traite comme un roman où les réparties, vives, alertes, émoustillantes et caustiques, sont en fait tout ce qui se dit et s’échange sous les feux de la rampe. Entre description de personnages, drôles et affairés et situations anodines ou cocasses, fusent des dialogues qui font mouche. Des dialogues pertinents et percutants qui ourdissent une trame captivante et inattendue.
D’abord Alex, cet acteur célèbre et célébré, parfait homme du monde qui séduit et se laisse séduire. Brusquement devant le miroir de sa loge, effaré, il se trouve nez à nez avec Alceste, ce personnage aux antipodes de son être qu’il doit interpréter et défendre sur scène. Qu’il est seul à percevoir et voir, tel un fantôme, insaisissable mais bien vivant...
Et la fabulation va plus loin. Les deux hommes se toisent, se mesurent, se querellent, ne se réconcilient jamais, se jaugent, se jugent... Voilà l’atrabilaire, ronchon, grognon, à cheval sur ses valeurs, qu’il veut sans compromis, face à un libertin, aimable, tolérant, agréable à vivre. L’homme aux rubans verts de Molière, qui voudrait changer le monde face à celui qui accepte volontiers ce monde et en jouit.
D’un côté un être étouffé par la colère et l’indignation, de l’autre un baba cool qui savoure la vie et se laisse aller. Entre les deux, enjeu d’une joute sans merci, la plus coquette des coquettes, Célimène.
Qui gagnera la bataille et le cœur de cette femme réputée pour être impitoyablement frivole, médisante et inconstante?
Par-delà ce trio aux caractères nettement opposés, Schmitt, avec une verve truculente, brode une brillante variation sur la plus énigmatique pièce de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Avec, en coulisses, des personnages, délicieux comparses, au verbe moins virulent et révélateur, mais qui boostent, pimentent et colorent l’action. Une camériste touchante de fidélité, son fils Raspoutine, un chtarbé échappé à la prison, Joséphine, la fille délurée et sympa de l’acteur, prototype de la jeunesse actuelle et surtout, morceau de bravoure, le portrait tout en ironie et raillerie d’Odon Fritz, un dramaturge grotesque, arrogant mégalo imbu de son talent...
Cocktail explosif, adroitement dosé et secoué pour une narration qui ne manque ni de suspense ni de piquant. Du théâtre certes, mais qui pourrait très bien s’apparenter à un récit savamment ourdi. Une charmante soirée chez-soi (à la plage ou sous dans un jardin en montagne, c’est la saison, non?), dans un fauteuil-baignoire, livre en main.
Et pourtant ce misanthrope si en vogue aujourd’hui (voir le film Alceste à Bicyclette de Philippe Le Guay avec Lambert Wilson et Fabrice Luchini) n’a pas manqué d’attirer le public dans sa version «schmittienne», depuis sa création en janvier dernier à la Gaîté-Montparnasse dans une mise de Christophe Lidon avec Roland Giraud et Jérôme Anger. Mais pas besoin d’aller à la ville lumière pour savourer ce texte «facile», tout comme son homme: le livre en donne amplement une belle et vibrante mesure...
QUAND L'ECRIVAIN FRANCOPHONE LE PLUS LU AU MONDE PARLE, IL FAUT L'ECOUTER AUSSI: REGARDEZ SVP CETTE VIDEO DE LUI SUR YOUTUBE. "IL Y A TROP DE FAUX ARTISTES" d'ERIC-EMMANUEL SCHMITT. c'est du bonbons.
13 h 13, le 17 juin 2013