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Lifestyle - Vient de paraître

La Maison Tarazi ? Une histoire si riche qu’elle pourrait servir de scénario à un film

Leur histoire commence à Urfa au XVIIIe siècle, continue à Damas avant de se poursuivre à Beyrouth, Jérusalem, Le Caire, Alexandrie, Rabat et Casablanca. À toutes les étapes et à toutes les époques, leurs « maisons » illustrent l'image d'un Orient fastueux.

L'histoire de ses aïeux, Camille Tarazi l'a retranscrite dans un magnifique ouvrage intitulé Vitrine de l'Orient, Maison Tarazi fondée à Beyrouth en 1862, qu'il signera demain mardi 20 octobre, au restaurant Liza, rue Trabaud, de 15 heures à 20 heures. Sur place, des artisans du bois et du cuivre feront une démonstration de leur savoir-faire.


Quatre cent dix pages en textes et images déroulent l'histoire de la famille et son aventure aux XIXe et XXe siècles. Cinq générations passionnées de textile et d'artisanat de luxe, galvanisées par les antiquités et l'ébénisterie, produit phare qui fera leur renommée dès le début du XXe siècle et les consacrera «Fournisseurs du sultan ottoman et de plusieurs cours d'Europe». Le trône en bois de cèdre réalisé pour le sultan Abdel Hamid II est exposé au palais Yldiz, à Istanbul. Et aujourd'hui, les boiseries peintes, le mobilier incrusté de nacre, les colonnes parées de mouqarnass, les calligraphies reproduites sur les murs, les plafonds et les portes ornent nombre de demeures anciennes, d'appartements modernes, de restaurants et d'établissements hôteliers au Liban et à l'étranger, dont le Grand Sérail, le ministère de l'Intérieur, le palais royal de Khobar et celui de Djeddah, l'hôtel Byblos à Saint-Tropez, le Grand Hôtel du Lac, Vevey, les hôtels Saint-Georges de Rabat et de Casablanca, les Four Seasons de Beyrouth, de Damas, du Caire et d'Alexandrie, Le Méridien de Khobar, ainsi que des villas privées à Abou Dhabi ou à Kephissia, en Grèce.


En parachevant l'arbre généalogique de la famille que son grand-père Émile Tarazi, décédé en 1995, avait débuté, Camille Tarazi s'est pris au jeu. Décidé à en savoir davantage, il se lance dans une quête obsessionnelle sur ses ancêtres. Durant 20 ans, il va recueillir les témoignages des doyens Tarazi, puiser dans les caisses des greniers, éplucher les archives des bibliothèques, des évêchés et des journaux, consulter des documents officiels et exhumer des séquences de vie. Il poursuivra leurs traces jusqu'à l'Empire ottoman et au-delà...
«Toutes les pièces, tous les documents amassés sont dans cet ouvrage qui resitue la saga d'une famille ayant fait de l'Orient son fonds de commerce», écrit dans son avant-propos Camille Tarazi.

 

Son nom est Dimitri...
Comme un chiffon doux passé sur des photos jaunies, les récits perdus se révèlent peu à peu et, à travers eux, en filigrane, l'histoire d'un siècle révolu. L'ancêtre Meguerditch Terzi, tailleur d'habits, avait gagné son titre de bâchi (maître) à Urfa. On ne connaît ni sa date de naissance ni celle de son décès, mais on sait qu'il a quitté Urfa vers 1796 pour s'établir à Damas et créer son entreprise de filature. Touma, un de ses petits-fils, épouse Élisabeth Khoury Hanna Lian qui lui donne dix enfants, dont Dimitri. En 1860, fuyant les massacres, la fratrie quitte Damas et se scinde en deux groupes : Dimitri et Nicolas s'installent à Beyrouth avec les deux sœurs Takla et Malaké, et les plus jeunes, dont André, dix ans, émigrent à Athènes où leur frère Constantin poursuivra ses études de théologie.
Il serait long et fastidieux d'aborder dans ces colonnes les tranches de vie de toute la fratrie. Nous suivrons donc les pas des personnages-clés de la lignée. Tout d'abord l'aîné, Dimitri (1837-1903), dont l'habit traditionnel, un kombaz ceinturé de brocard, lui a valu un jour un cinglant « Min hel abou kombaz », jeté par un membre d'une famille beyrouthine. Selon Camille Tarazi, la remarque aurait été faite sur fond de rivalité entre orthodoxes autochtones et orthodoxes immigrés lors d'une réunion entre notables au cours de laquelle Dimitri se serait montré favorable au partage du patriarcat de Beyrouth, afin de réduire son autorité au profit de celle de Damas. Il aurait lancé à l'assistance : Que celui qui vient de Damas me suive ! La moitié de la salle l'aurait aussitôt rejoint! Régulièrement cité dans la presse locale pour ses contributions charitables, il habitait une maison cossue à la rue Abdel Wahab. Vendue aux alentours de 1958, celle-ci est aujourd'hui une ruine abandonnée, où les traces des peintures murales et les effets en trompe-l'œil de marbre, bois et bambou subsistent encore.

 

Son empire, le commerce
Dimitri contracta deux mariages : le premier avec Marie Farès Abou-Halka, union de laquelle naîtront six enfants ; le second, avec Almaze Nicolas Tawa, verra la naissance de dix autres. En 1894, après avoir longtemps travaillé en duo avec son jeune frère André Terzis (1850-1953), il hisse en solo la première enseigne de son «Musée oriental», à Souk el-Jamil. Elle devient vite célèbre pour ses tapis et soieries, la qualité de finition de ses objets en cuivre et bronze et sa gamme de meubles incrustés de nacre, pour la plus grande partie estampillés «Dimitri Tarazi et Fils». Touma et Gebran, les fils aînés, tiendront le commerce.
Entre 1870 et 1914, l'entreprise fait sa place à Jérusalem. «C'est probablement dans ce magasin que la reine de Saba a acheté les habits qui rendirent le roi Salomon muet d'admiration», écrit l'historien Oscar Browning (1837-1923). Le lieu, dirigé par Nakhlé, est mentionné dans le fameux Manuel du voyageur de Karl Baedeker (édition 1898). Le livre d'or porte la signature de certains membres de la délégation accompagnant l'empereur Guillaume II lors de sa visite dans la Ville sainte. Certaines factures, émises en 1902 au nom de David Gordon Lyon, à Jérusalem et à Beyrouth, indiquent aussi que le conservateur du Semitic Museum de Harvard, à Boston, y avait sélectionné un nombre de tissus, de costumes de Bédouins et d'objets pour son musée. En 2007, le conservateur Joseph A. Green permettra à un ami de la famille Tarazi de les fixer sur objectif pour qu'ils puissent figurer dans ce livre.

 

Damas, Le Caire et Alexandrie
Dimitri Tarazi reprend également pied à Damas et ouvre, en 1899, une succursale dans le Souk el-Arouam (Bazar des Grecs) au numéro 99 de Souk el-Hamidiyé, un grand dépôt de soieries, broderies et meubles artistiques de style oriental, qui sera confiée à Georges. De l'union de ce dernier avec Alexandra Séraphin Khoury Haddad naîtront Alfred (1907-1990), Émile (1909-1995), le grand-père de l'auteur de cet ouvrage, et Édouard (1911-1946). Quant à Alexandre, qui sera suivi par son jeune frère Nicolas, il s'installe au Caire, face au mythique Shepheard's Hotel, rejoignant ainsi les boutiques luxueuses recommandées par le Guide Nilsson. Quelques années plus tard, il établit une succursale à Alexandrie, à la rue Chérif Pacha, l'une des artères les plus prestigieuses de la ville.
Et ce n'est pas tout. Grâce à une rencontre avec le collectionneur Fouad Debbas, l'auteur apprendra que Dimitri et André Terzis étaient également des éditeurs de cartes postales, entre 1902 et 1918. «Environ 876 cartes pour Dimitri Tarazi, et 510 pour André Terzis, et deux albums souvenirs, l'un sur Beyrouth et l'autre sur les 14 stations du Christ à Jérusalem sont recensés à ce jour ».

 

Honneurs et infortunes
En 1900, la notoriété de la Maison Dimitri Tarazi et Fils monte en flèche, notamment grâce au trône et à la série de meubles portant le «toghra» (monogramme du sultan), conçus pour le sultan Abdel Hamid II. Les commandes affluent. Des travaux sont exécutés pour la villa Michel et Linda Sursock : « La similitude des détails entre le cadre de l'escalier principal et le trône du sultan, notamment au niveau du motif mouqarnass, des encorbellements (...) est parlante.» Une porte monumentale recouverte de feuilles de cuivre ciselées de motifs en arabesques et gravées d'inscriptions calligraphiques d'une finesse extrême desservira l'entrée ouest du palais Alfred Sursock. Ce dernier passe également commande des boiseries intérieures et des vitraux pour le Cercle du Parc, future résidence du haut-commissaire français. Photos, maquettes, modèles de factures dévoilent l'accord conclu en 1916 entre Alfred Sursock et Gebran Tarazi. Les documents spécifient la nature du travail, le délai d'exécution, les modalités de paiement, les essences de bois et les épaisseurs des portes. Le projet achevé en 1916 ouvre de nouvelles perspectives: tous les notables de la ville voudraient une maison comme celle-ci. Parmi eux, les frères Daouk, Ahmad, Jamil et Youssef, et plus tard le palais Karamé, à Tripoli. Et c'est tant mieux. Car, la Grande Guerre a entraîné la faillite des magasins «Au Musée d'Orient» implantés à Jérusalem, au Caire et à Alexandrie. Gebran est dépêché en Égypte pour régler les litiges financiers. Les bijoux des femmes sont mis en gage. L'immeuble de l'Avenue des Français est vendu à la famille Sehnaoui. Cependant, Georges, de retour de Damas où son magasin a été ravagé par un incendie, résiste. Il continue à produire du mobilier et des éléments décoratifs sur mesure et aide à éponger les dettes de la famille. En 1921, il remporte le grand prix de la Foire de Beyrouth, et André Terzis la médaille d'argent. Leurs ateliers sont mentionnées dans l'annuaire de la Syrie et du Liban en 1922, 1923 et 1924, sous la rubrique «Curiosités orientales» et «Tapis d'Orient». Les années verront toutefois la dispersion des fils de Dimitri et l'émigration de ses petits-fils au Soudan, en Amérique du Sud mais aussi au Maroc où s'établissent les fils de Georges, Alfred et Émile. Les deux frères secondent dans son négoce leur oncle maternel Michel Khoury-Haddad et Hayek. En 1931, Alfred et Émile achètent les parts du magasin à Casablanca, et la même année, Georges Tarazi passe un accord avec sa fratrie pour devenir le seul et unique successeur de la Maison Dimitri Tarazi et Fils. Émile est donc rappelé à Damas pour aider son père. L'enseigne qui a fait figure de référence en matière d'art oriental va briller de nouveau.

 

Une nouvelle ère...
Le savoir-faire de la Maison Tarazi sera transmis par Georges à son fils qui, en 1955, réalise son premier salon arabe pour l'hôtel Bristol. «Un chef-d'œuvre dans sa conception et son exécution.» Émile va exceller à donner une seconde vie à l'entreprise et à faire fleurir des modèles somptueux pour le Casino du Liban (un diwan démonté après la guerre), le bureau de l'avocat Moussa Prince, des établissements hôteliers (l'Alcazar) et de nombreuses résidences dont une villa à Yarzé conçue pour un Koweïtien, achetée ensuite par le Cercle des officiers. Mais la liste est longue. Et logiquement, quand on a exploré son ascendance, essayé de faire revivre nos aînés, on a envie de revenir vers le présent. Pour ce faire, l'auteur consacre de longues plages à son père Michel Tarazi, qui porte avec panache le flambeau de ce patrimoine. S'immergeant au cœur des grands projets, Camille, architecte de formation, s'est lui aussi engagé aux côtés de son père et de l'équipe d'artisans de talent, apportant une précieuse contribution au développement de la marque. La famille poursuit ainsi sur cinq générations une même passion, toujours en évolution.

 

 

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L'histoire de ses aïeux, Camille Tarazi l'a retranscrite dans un magnifique ouvrage intitulé Vitrine de l'Orient, Maison Tarazi fondée à Beyrouth en 1862, qu'il signera demain mardi 20 octobre, au restaurant Liza, rue Trabaud, de 15 heures à 20 heures. Sur place, des artisans du bois et du cuivre feront une démonstration de leur savoir-faire.
Quatre cent dix pages en textes et images...

commentaires (1)

Quelle merveille!

Christine KHALIL

19 h 36, le 20 octobre 2015

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Commentaires (1)

  • Quelle merveille!

    Christine KHALIL

    19 h 36, le 20 octobre 2015

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