Les bombardements russes éloignent encore les perspectives de sortie du chaos en Syrie, où de multiples acteurs, sous la bannière consensuelle de la lutte antiterroriste, cherchent surtout à servir leurs propres intérêts, selon des experts.
"Nous avons vu des conflits incroyablement compliqués dans le passé", note Shashank Joshi, chercheur au Royal United Services Institute (Rusi), basé à Londres, en citant entre autres la Bosnie. "Mais les pays impliqués cette fois sont bien plus puissants et les enjeux bien plus importants".
Même si tous les acteurs impliqués en Syrie se disent opposés au groupe Etat islamique (EI), ils se répartissent en deux camps : les partisans du régime de Bachar el-Assad, à commencer par la Russie et l'Iran, contre ses détracteurs occidentaux, arabes et turcs.
Les premiers soutiennent financièrement et militairement le président syrien depuis le début de l'insurrection en 2011. L'Iran a notamment envoyé des milliers de Gardiens de la révolution en Syrie. Depuis mercredi, Moscou mène aussi des frappes aériennes.
"Sous le grand slogan de la lutte contre le terrorisme, les Russes ciblent les forces qui sont les plus efficaces contre le régime" syrien, souligne Ziyad Majed, professeur à l'Université américaine de Paris. Ils ont ainsi bombardé des zones du centre et de l'ouest de la Syrie, où le régime "a subi d'importants revers ces derniers mois", précise-t-il.
S'ils ont le même allié, Moscou et Téhéran ont aussi des "intérêts différents", relève Shashank Joshi.
"La Russie se concentre sur le nord-ouest, pour protéger sa base navale de Tartous et la région autour de Lattaquié", où ils sont installés à l'aéroport, explique-t-il. L'Iran chiite, comme le président Assad, "cherche surtout à protéger une voie de passage pour le Hezbollah, dans les régions proches de la frontière du Liban et d'Israël".
Téhéran veut aussi sécuriser un lieu saint chiite en banlieue de Damas, le mausolée de Zaynab, et une zone de peuplement chiite dans la province d'Idleb (nord-ouest).
Pour les deux pays, les enjeux sont énormes, ajoute Shashank Joshi. "Si l'Iran perd la Syrie, il perd de loin son principal allié au Proche-Orient. Si la Russie perd la Syrie, ce sera un camouflet géopolitique".
(Lire aussi : Peut-on trouver un compromis avec l’Iran en Syrie ?)
"Catastrophe"
De l'autre côté, les opposants d'Assad se sont regroupés il y a un an au sein d'une coalition menée par les Etats-Unis pour frapper les jihadistes de l'EI sans coopérer avec le régime syrien. Depuis, ils ont réalisé environ 2.500 frappes sur des cibles jihadistes en Syrie.
Mais, là encore, les motivations sont diverses.
L'Arabie saoudite et le Qatar, des pays sunnites, considèrent la Syrie comme un terrain de bataille dans le cadre de leur conflit plus large avec l'Iran. Ils n'hésitent pas à armer des rebelles islamistes.
Dans le camp occidental, la détermination semble plus faible. "Les Etats-Unis sont contre Assad, mais c'est clair qu'ils ne sont pas désireux de prendre trop de risque", selon Shashank Joshi.
Et il y a la Turquie, qui joue un rôle ambigü. Longtemps soupçonné de complaisance envers l'EI, Ankara a finalement rejoint la coalition cet été, mais en frappant surtout les bases arrières de la guérilla kurde, un enjeu national.
Sans parler d'Israël qui, selon des sources étrangères, aurait mené plus d'une dizaine d'attaques aériennes en Syrie depuis 2013, notamment contre des transports d'armes destinés au Hezbollah.
Au final, ces acteurs étrangers qui soutiennent chacun des groupes rebelles différents sont voués à se gêner, relève Colum Strack, du centre de réflexion londonien IHS.
Pour éviter tout incident entre leurs forces armées, les autorités militaires russes et américaines ont entamé jeudi des discussions, mais, selon cet expert, l'imbrication des groupes rebelles au sol entraînera inévitablement des frictions.
"Les groupes rebelles sont tellement mélangés. Avec des rebelles soutenus par les Américains qui travaillent avec d'autres rebelles, c'est dur de frapper les uns sans toucher les autres", dit-il, alors que les Américains ont reproché aux Russes d'avoir touché un groupe formé par la CIA.
Au final, "l'escalade russe en Syrie est à bien des égards catastrophique", résume Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris pour qui ces raids "ne feront que renforcer Daech (acronyme arabe du groupe EI) et amplifier l'imapct du recrutement jihadiste".
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commentaires (6)
Tout à fait comme au Liban entre 75 et 90. KhâââÏ, comme il est bon, cet excellent retour de bâton.... éhhh, éhhh libanais !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 50, le 04 octobre 2015