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Culture - En librairie

« Mira », mirage cauchemardesque

Avec ce second roman futuriste, Tony Danayan invente le Liban des trois prochaines décennies. Si la corruption disparaît, son Éden est pourtant loin d'être parfait.

Il n'est pas donné à tout le monde d'être écrivain de science-fiction. Le respectable Tony Danayan – par ailleurs consultant en marketing – s'y essaie avec Mira et se prend les pieds dans le tapis. Fautes syntaxiques, formules incompréhensibles, ellipses maladroites, dialogues kitsch : un grand chelem en 192 pages.
L'histoire développée a pourtant de quoi accrocher l'attention du lecteur. En 2049, l'électricité et l'eau sont distribuées dans tout le Liban depuis plusieurs décennies, plus de taxis-services, mais des navettes et des trams, propres, qui desservent le pays à merveille. Aussi, plus de soucis à se faire côté santé ou éducation des enfants, l'État se charge de tout. Par quel miracle ? Les corrompus – surnommés Les Rouges – ont été mis dehors par la Révolution des Braves en 2020. Depuis, le monde entier jalouse le pays du Cèdre. Il faut dire qu'il est désormais la quatrième destination touristique au monde, ou encore la troisième pour les universités. Un vrai paradis. En surface ?

Pourtant, en 2020, le Liban est au bord de l'éclatement, proche du morcellement géographique. Les réflexes de la guerre civile reprennent et l'Onu opte, cette fois-ci, pour un partage confessionnel. Si rien n'est fait avant la fin de l'année, le Liban s'effrite. Le général Mehdi, un haut gradé de l'armée libanaise, fait alors la rencontre d'une jeune femme. À 25 ans, Mira a assez d'espoir pour entrevoir un avenir positif et pour sauver le pays du cataclysme annoncé. Tony Danayan imagine comment ce duo contre-nature va parvenir à sauver le pays tant aimé. L'auteur en profite pour tracer les lignes d'un « Nouveau Liban » qui aurait enfin compris l'intérêt de sauvegarder sa nature ; de l'aspect positif qu'apporterait une réelle neutralité diplomatique de l'armée, ou encore qu'un multiconfessionnalisme tolérant et éclairé peut devenir un atout fantastique pour le pays et un exemple pour le monde.

Le livre, comme la Révolution des Braves laissent pourtant perplexes sur plusieurs points. Et non des moindres. Comment peut-on insérer un extrait de la Déclaration universelle des droits de l'homme(1) au début du livre, puis faire tenir des propos justifiants un génocide par le narrateur à la fin du même ouvrage? Quel est le but d'aborder l'«esprit de fraternité» à la page 3 pour lire à la page 185 qu'une «période d'épuration était nécessaire» afin de faire le tri entre les collaborationnistes et les autres? Dans quel cadre peut-on noter que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignités et en droits»(1), puis suggérer que les Palestiniens et les Syriens sont des citoyens de seconde zone ? Enfin, pourquoi inscrire le Préambule de la Constitution libanaise («liberté d'opinion et de conscience») à la page 5, alors que la liberté de parole au sein de ce «Nouveau Liban » imaginaire ressemble à celle de la Russie actuelle? D'ailleurs, au cœur du programme politique proposé par l'héroïne Mira, la création d'un Conseil des sages du ministère de la Communication qui chapeauterait les médias publics et privés pour «préserver la grandeur de la Révolution ». Autrement dit, une censure en bonne et due forme.
Même s'il s'agit bien d'une œuvre de fiction, Mira (et sa Révolution des Braves) fait frissonner, car réconciliation nationale et prospérité économique côtoient torture à l'acide et médias bâillonnés. À travers ce livre, Tony Danayan pose donc l'éternelle question philosophique: la fin justifie-t-elle les moyens? Mais si son diagnostic sur les maux qui rongent le Liban depuis des siècles semble correct, ses prescriptions – heureusement imaginaires – se rapprochent davantage du cauchemar éveillé.

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« Je voulais que mes deux personnages fassent peur à l'establishment actuel »


Certaines propositions de votre héroïne Mira sont un peu étonnantes. Êtes-vous certain que contrôler les médias à outrance n'amoindrit pas les libertés ?
Tony Danayan : Mira ne se vante pas, elle ne dit pas que ses idées sont les meilleures. Elle n'a que 25 ans, n'est pas docteur en philosophie ou en droit. Ce sont simplement des pensées qu'elle partage. De toute manière, toutes ses propositions doivent être revues par le corps politique libanais avant d'être appliquées. Aussi, concernant le contrôle des médias, un Conseil des sages existerait pendant 5 ans afin de préserver les acquis de la révolution. Ce système ne me plaît pas personnellement, mais il faut tout de même rappeler que les médias seraient responsables de la guerre civile que j'ai imaginé en 2018. Chacun aurait participé à exacerber les tensions entre les communautés.

Supprimer la double nationalité ne paraît pas idéal non plus... Est-on vraiment contraint d'en passer par là pour créer un sentiment de nation libanaise ?
Si les Libanais de la diaspora étaient appelés à voter demain, seuls quelques milliers se déplaceraient sur les 12 millions. Dans la plupart des pays au monde, il est impossible d'avoir la double nationalité, de prendre deux drapeaux entre ses mains. Bien sûr avoir des racines dans deux pays existe, mais la loyauté existe pour un seul pays.

N'est-ce pas contradictoire d'afficher de bonnes intentions au début du livre (Déclaration universelle des droits de l'homme, Préambule de la Constitution libanaise) pour le terminer avec une loi du Talion qui s'abattrait sur l'establishment de sang, surnommé « Les Rouges » ?
Ces deux textes sont nés avec un lot de sang versé, que ce soit après la Seconde Guerre mondiale ou lors de l'indépendance. Ce sont des moments de renaissance qui suivent des périodes sombres et sanglantes. Je voulais que mes deux personnages aux positions extrêmes fassent peur à l'establishment actuel. Aussi, mes personnages font-ils cela car ils sont contraints, ils savent qu'une vraie révolution ne se fait pas qu'en parlant, en chantant et en dessinant.

 

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