Le 7 octobre dernier, L’Orient-Le Jour a été l’un des rares médias dans le monde arabe à condamner, sans aucune ambiguïté, l’attaque du Hamas. Entendons-nous bien : nous ne l’avons pas fait dans une logique de neutralité. Nous ne prétendons pas être neutres dans ce conflit et ne l’avons jamais été : la cause palestinienne nous concerne au premier plan, avant tout parce qu’elle est fondamentalement juste, ensuite parce qu’elle a un impact direct sur le pays et la région dans laquelle nous vivons.
Nous avons condamné l’attaque du 7 octobre essentiellement pour deux raisons. La première, c’est que rien ne peut justifier à nos yeux le fait de massacrer des civils. Ni la violence de l’adversaire, ni l’occupation, ni le blocus, ni tout ce que les Palestiniens ont eu à subir depuis des décennies et que nous n’avons jamais manqué de rapporter. L’horreur des uns ne peut justifier celle des autres. La seconde, c’est qu’il était évident dès les premières heures qui ont suivi le Déluge d’al-Aqsa que la conséquence directe de cette attaque serait un déluge de feu sans précédent sur la bande de Gaza. Pouvions-nous faire mine d’ignorer que les Palestiniens de l’enclave allaient être les premiers à en payer le prix ? En admettant que chaque guerre nécessite des « sacrifices », pour quoi, pour qui, à part les intérêts du Hamas et de l’axe iranien, 15 000 enfants palestiniens ont-ils été sacrifiés ces sept derniers mois ? Pour prouver qu’Israël est capable du pire ? Nous le savions déjà. Et après ? En quoi cela change-t-il quelque chose au quotidien des Palestiniens ?
Depuis le début, nous sommes sur une ligne de crête. Comment soutenir la cause palestinienne sans faire le jeu du Hamas et sans participer à toute cette surenchère morbide qui a fait tant de mal à cette cause depuis des décennies ? Cette tâche était d’autant plus délicate que le Hezbollah s’est invité dans la partie dès le 8 octobre en attaquant des positions israéliennes dans les fermes occupées de Chebaa. Là aussi, il était pour nous essentiel de raconter cette guerre qui se déroule dans notre pays et qui touche nos compatriotes sans pour autant faire le jeu de la milice chiite.
Plus les mois passent et plus cet équilibre est difficile à tenir. D’abord parce que nous sommes (trop) seuls. Qui défend réellement la cause palestinienne aujourd’hui ? L’« axe de la résistance », qui a commis tous les massacres possibles dans la région ces quinze dernières années ? Les régimes arabes, qui n’ont aucune leçon à donner en matière de compassion et de respect des droits de l’homme et qui ont décidé de regarder Gaza brûler sans bouger le petit doigt ? Les États-Unis qui, malgré leurs menaces et avertissements, continuent de financer ce carnage, pourtant désastre humanitaire et stratégique ? Les Européens qui se réveillent beaucoup trop tard et beaucoup trop modérément, et qui ont tant de mal à dire l’évidence : aucun État au monde ne peut se permettre d’agir de la façon dont Israël agit aujourd’hui sans risquer, ne serait-ce que risquer, de se retrouver au ban de la communauté internationale ?
Ensuite, parce que Israël rend toute volonté de ne pas céder à la surenchère extrêmement difficile. Nous n’avons pas oublié le 7 octobre tout comme nous n’avions pas oublié que l’histoire n’a pas commencé ce jour-là. Nous sommes horrifiés par l’explosion de l’antisémitisme et nous ne voulons pas céder un millimètre à cette ignominie. Nous savons très bien que le Hamas et ses alliés sont prêts à voir des Palestiniens mourir par milliers et des quartiers entiers être dévastés au nom de la « Résistance ». Mais en quoi cela justifie-t-il la barbarie israélienne ? Combien d’enfants tués, combien d’hôpitaux détruits, combien de personnes déplacées, combien de convois humanitaires ciblés ou empêchés, combien de discours aux relents génocidaires faudra-t-il pour « compenser », aux yeux du gouvernement israélien, l’affront du 7 octobre ? Combien de bombardements comme celui qui a touché hier un camp situé dans une « zone sûre », faisant au moins 45 morts, dont des brûlés vifs, combien d’images « insoutenables » faudra-t-il encore pour que la communauté internationale dise enfin d’une seule et même voix aussi ferme que limpide : Assez ! Non seulement Israël est en train de détruire la vie, au sens littéral du terme, au sein de l’enclave, mais il le fait sans aucune perspective politique. Sur le plan militaire, il ne parvient pas jusqu’ici à détruire les Brigades al-Qassam et, à moyen et long terme, il n’offre pas la moindre possibilité de sortie de crise.
Nous ne savons pas si Israël est en train de commettre un génocide. La Cour internationale de justice a en tout cas estimé qu’il y avait un « risque plausible » que ce soit le cas, et rien n’a été fait depuis pour le réduire. C’est aux juristes de le dire – et nombreux d’entre eux l’ont déjà fait –, et l’important est surtout de le prévenir, tant qu’il en est encore temps. De mettre toutes les forces dans la balance pour arrêter au plus vite cette horreur absolument injustifiable. Oui, à l’heure qu’il est, cela signifierait une « victoire » de l’axe de la résistance. Mais que valent ces calculs face à la survie de plus de deux millions de personnes ?
Un exemple! Ce "papier", à lui seul, justifie mon récent abonnement à l'OLJ. "Chapeau" à ses auteurs...
17 h 39, le 02 juin 2024