
En illustration de couverture, la maison où avait choisi de s’installer le général Fouad Chéhab au cours de son mandat présidentiel. Photo DR
Quelle est l’histoire de notre famille ? De quel terreau d’existences passées sommes-nous issus ? La biographie familiale, souvent fruit de ce questionnement, tente beaucoup de non-écrivains de profession. À l’instar de l’architecte d’intérieur et artiste peintre Térèse Khabsa, qui vient de publier Station Zouk* aux éditions Cariscript (236 pages). Une saga qui traverse deux siècles (presque trois) de l’histoire du Liban, en suivant les destins sur différentes époques de plusieurs protagonistes de sa lignée.
En illustration de couverture, l’auteure a choisi non pas la photo d’une gare (comme le laisserait présupposer le titre), mais celle d’une demeure ancienne, aux allures de petit château encadré de pins. Et pour cause, il s’agit de sa maison familiale. Située à Zouk Mosbeh, elle fut, à la fin des années cinquante, la résidence où avait choisi de s’installer le général Fouad Chéhab au cours de son mandat présidentiel (1958-1964). Les aînés parmi les lecteurs libanais s’en souviendront…
Sans doute est-ce ce lien avec l’histoire contemporaine du Liban qui aura constitué l’élément déclencheur de cet ouvrage à l’écriture mémorielle mêlant l’histoire de sa famille à celle du pays.
De la fresque familiale à l’historique politique...
Le livre s’ouvre sur un bref historique du parcours de l’émir Bachir II qui gouverna le Mont-Liban dans la première moitié du XIXe siècle, avant que le récit familial ne démarre véritablement en 1830, avec la trajectoire de l’aïeul de l’auteure, Youssef Amatoury, sous domination ottomane et en pleine guerre entre druzes et chrétiens. Il se poursuit avec celle de son fils Sélim, l’un des premiers « toubibs » libanais formés en Égypte, auprès du Dr Clot (le fondateur de la première grande école de médecine au Moyen-Orient), pour déboucher, enfin, sur la figure d’Antoun, le grand-père de Térèse Khabsa et héros central de ce roman.
Ce dernier, parfaite illustration du Libanais, aventurier et homme d’affaires dans l’âme, embarque le lecteur à sa suite sur un bateau à vapeur en direction de Paris, via Marseille. Nous sommes en 1877 et les pages relatant le quart de siècle qu’Antoun passera en France sont les plus romanesques de cette épopée familiale, tout en étant très (parfois même trop !) riches en descriptions de la vie artistique parisienne de l’époque.
Avec le retour du grand-père au pays natal pour y fonder une famille, c’est à nouveau l’histoire libanaise que déroule la narratrice, à grands coups de passages relatant l’atmosphère de la vie bourgeoise au début du XXe siècle. Dans les chapitres qui suivent, la saga familiale se poursuit, mais ce ne sont pas tant les personnages que les événements et les rebondissements socio-politiques d’un pays régulièrement pris dans la tourmente que Térèse Khabsa met en lumière. Avec des épisodes de guerre et de famine, de la proclamation de l’État du Grand Liban, des courants politiques fondateurs qui y sont détaillés…
Au fil des décennies, au fur et à mesure que l’on s’approche de la guerre civile, le récit familial s’estompe au profit d’une approche explicative des racines politiciennes de la déroute du pays du Cèdre. Le fil romanesque, ténu à l’origine, se rompt totalement. Et la narration, déjà fragmentée, de Station Zouk devient celle – aride, forcément – d’un ouvrage de documentation historique. Émaillé, qui plus est, d’une prolifération de dates écrites en toutes lettres plus difficiles à déchiffrer…
Bref, mettre dans un roman, qui commence en 1830 sous le règne de Bachir II et se termine en 2020 après l’explosion du port de Beyrouth, à la fois le récit d’une lignée familiale et l’historique des événements fondateurs puis destructeurs de ce pays aujourd’hui nommé Liban… L’entreprise est ambitieuse pour qui n’est pas auteur de romans historiques, genre difficile entre tous, car requérant un subtil maillage entre petite et grande histoire.
On peut toutefois reconnaître à ce livre l’intérêt de dessiner le maelstrom d’une histoire libanaise à travers une succession d’événements sur différentes époques, qui amènent forcément à réfléchir le passé.
Carte de visite de l’auteure
Architecte d’intérieur de formation, Thérèse Kabsa a enseigné le dessin publicitaire à l’Université libanaise et à l’Alba, a ouvert un cabinet d’architecture et une galerie d’ameublement à Beyrouth, avant de s’adonner totalement, une fois installée à Paris au début de la guerre civile, à son vieux rêve : la peinture. Elle a à son actif plusieurs expositions en France et un ouvrage personnel intitulé Cicatrices.
*Disponible à Beyrouth à la Librairie Antoine et en France à la Fnac.