« Messieurs les européistes, vous avez déclenché un phénomène d'appel d'air que vous ne maîtrisez pas et qui va nous submerger. Vous en assumerez la responsabilité devant l'histoire », a déclaré mercredi dernier Marine Le Pen devant le Parlement européen.
Si la question des immigrés a toujours été le cheval de bataille de tous les partis d'extrême droite, la crise migratoire que subit en ce moment même l'Europe nourrit au plus haut point leurs discours et tend à séduire une grande partie de la population. Il se peut bien, dans ce cas, que cette crise s'avère être du pain bénit pour Marine Le Pen. Sa dernière allocution devant les parlementaires européens a mis l'accent sur l'actuelle confusion qui règne au sein de l'Union européenne (UE) et a fait ressurgir les fantômes du « tsunami migratoire », selon ses propres termes. Mais est-ce que surfer sur ce dossier brûlant peut réellement favoriser la présidente et candidate du Front national (FN), notamment à l'approche des élections régionales de décembre prochain et, dans une plus large mesure, pour la présidentielle de 2017 ?
« Quand la France ne va pas bien, Marine se porte plutôt bien », assène, depuis plusieurs années déjà, le politologue et professeur à Sciences Po Paris, Pascal Perrineau. Interrogé par L'Orient-Le Jour, il estime que la question migratoire et le caractère central qu'elle commence à prendre dans de très nombreux pays européens, et en France plus particulièrement, sont « plutôt une bonne nouvelle » pour la présidente du FN. Un récent sondage Ifop a d'ailleurs montré que la liste emmenée par Marine Le Pen arrive en tête au second tour dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, avec 35 % des intentions de vote, devant la liste de droite et du centre (33 %) et la liste du Parti socialiste et du Parti radical de gauche, soutenue par le Front de gauche et EELV (32 %).
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Républicains « fermes »
La dimension de crise que prend la question des réfugiés et les inquiétudes qu'elle suscite dans nombre de pays européens n'est pas « à lire entièrement en termes de xénophobie », explique aussi le politologue. « Il faut bien avoir conscience que de nombreux pays européens traversent depuis 2008-2009 une crise économique et sociale et que beaucoup d'Européens, et de Français en particulier, s'interrogent sur la capacité de leur système économique et social à gérer dans un premier temps, à accueillir et à accompagner des flux migratoires importants », poursuit-il. C'est pourquoi l'inquiétude grandissante des Français serait « captée par le FN ».
Par ailleurs, Marine Le Pen apparaît pour une partie de l'opinion publique comme la seule à mettre en garde contre le danger de ghettoïsation de l'Europe. Autrement dit, pour une partie de l'opinion française, l'Hexagone ferait face à de trop nombreux problèmes pour consentir davantage de sacrifices.
La droite, qui tient un discours de plus en plus ferme sur les questions migratoires, peut-elle aller chasser des électeurs sur les terres du FN ? Pour M. Perrineau, le discours des Républicains est « un discours ferme », mais « pas le discours du Front national ». Il y aurait la volonté chez nombre de responsables des Républicains de traiter la question avec « fermeté et humanité (...), alors qu'au FN, on se demande souvent où est la préoccupation humanitaire », rappelle-t-il.
En d'autres termes, même si les Républicains tendent à tenir un discours alarmiste, ils ne le pousseraient pas assez loin pour s'accaparer les électeurs du FN. Revoir Schengen ne serait d'ailleurs pas uniquement l'apanage de la droite et de l'extrême-droite, puisqu'elle agite la réflexion également à gauche. Dans certaines régions, telles que PACA ou Nord-Pas-de-Calais, une « course-poursuite » se jouerait entre la droite et le FN. Mais ailleurs, ce ne serait pas le cas.
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Politique « à l'australienne »
Après plusieurs tentatives de créer un groupe parlementaire au Parlement européen, Marine Le Pen y est enfin parvenue en juin dernier en fondant l'Europe des nations et des libertés (ENL). Depuis, elle semble jouer le rôle de porte-parole de l'extrême-droite européenne dans cette crise. Elle serait « en pole position », selon M. Perrineau, mais « n'aurait pas réussi à rallier tous les nationalistes des différents pays européens, qui restent chez les non-inscrits ou qui sont dans les groupes souverainistes. Marine Le Pen tente de se mettre à l'avant-garde de ces partis anti-immigrés qui fleurissent dans les pays européens, mais elle n'a pas réussi à les mettre tous dans son groupe parlementaire à Strasbourg », confirme-t-il.
Si le spectre des précédentes crises migratoires en France, telles que l'exode républicain espagnol de 1939 ou les douloureux souvenirs des camps de transit et de reclassement pour les harkis, pèse encore sur les consciences, les images de milliers de réfugiés culturellement éloignés du mode de vie des Français ont de quoi effrayer. « Cette folie doit cesser tout de suite par une politique ferme et claire à l'australienne », a déclaré Marine Le Pen devant le Parlement européen. Mais la politique d'immigration controversée de ce pays qui refuse tout asile aux réfugiés ne serait pas applicable en Europe, car elle romprait avec la Convention sur les réfugiés de 1951, sans parler des questions d'ordre moral qu'elle soulève.
(Repère : Crise migratoire en Europe : les chiffres et les principales routes)
L'Europe, débordée, ne fait pourtant face qu'à une première vague d'immigration. Quand d'autres surviendront, le discours sur les réfugiés viendra probablement à changer, alors que l'espace Schengen est d'ores et déjà remis en cause. À ce moment-là, Marine Le Pen se verra-t-elle couper l'herbe sous le pied ou au contraire confortée dans son rôle de « Pythie de Delphes » ?
« Beaucoup de Français inquiets ne sont pas encore convaincus par Marine Le Pen. Elle peut exprimer leurs inquiétudes, elle peut poser des questions qu'eux-mêmes se posent, mais ils ne sont pas toujours convaincus par les réponses qu'elle apporte », affirme M. Perrineau. Selon lui, ce ne serait que des réponses « d'exclusion », des réponses « démagogiques ». « Si du côté de la droite classique et du centre, comme du côté de la gauche, il y a une réflexion convaincante, pragmatique et sérieuse, sur la mise en place d'une nouvelle politique d'immigration, cela pourra contribuer non pas à faire disparaître le FN, mais à enrayer sa dynamique qui parfois semble quasi irrésistible », conclut le politologue.
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13 h 45, le 19 septembre 2015