Le maître d’œuvre des travaux des nouvelles centrales de Zouk et de Jiyeh réclame encore 130 millions d’euros d’indemnités de retard à l’État libanais. Joseph Eid/AFP
Le 10 septembre, le ministre de l'Énergie, Arthur Nazarian (bloc aouniste), convoque une conférence de presse « en réponse à la désinformation de la part du ministère des Finances dans le but de se soustraire de toute responsabilité quant aux paiements des indemnités de retard dont il est responsable ». « La déclaration du ministère de l'Énergie reflète son incapacité à assurer le courant électrique aux Libanais », rétorque aussitôt par communiqué son homologue des Finances, Ali Hassan Khalil (Amal). Depuis, les invectives entre les deux hommes se multiplient...
3 heures de courant en plus
Au-delà de ses soubassements politiques, la controverse porte sur l'augmentation des capacités de production des centrales de Zouk et de Jiyeh, afin de leur permettre de fournir 3 heures de courant supplémentaires par jour dès la fin des travaux, soit en août 2014 pour Jiyeh et en novembre 2014 pour Zouk.
Tout commence en juin 2010, lorsque le plan global sur l'électricité de l'ancien ministre de l'Énergie, Gebran Bassil, est approuvé en Conseil des ministres. Ce projet devait rétablir le courant 24 heures sur 24 à l'horizon 2015 moyennant des investissements de 4,8 milliards de dollars – dont 1,5 milliard pour l'État –, à travers sept projets relatifs à la production et au transport d'électricité.
Dans ce cadre, l'État signe un contrat de 348 millions de dollars avec un consortium entre la compagnie danoise BWSC et l'allemande MAN Diesel and Turbo. Il prévoit la construction de nouveaux générateurs diesel qui devraient augmenter la capacité de production des deux centrales de 272 mégawatts – la nouvelle centrale de Zouk aura également la capacité de fonctionner au gaz naturel en plus du fuel. Les fonds alloués à ce projet sont financés à 85 % par l'agence danoise pour le crédit à l'exportation (EKF) et par un prêt de la banque HSBC à 15 % pour des taux d'intérêt d'environ 4 %. Ces prêts doivent être remboursés deux ans après la livraison des deux centrales.
Mais les chantiers sont vite compromis. En mars 2014, après seulement un an de travaux, la société danoise BWSC suspend ses travaux. La raison ? « Nous n'avons pas été payés depuis six mois (...), et chaque jour de retard coûtera au Trésor libanais 270 000 dollars », avait menacé un représentant de BWSC dans un entretien publié par The Daily Star en septembre 2014. De son côté, le ministère des Finances a justifié cette suspension des paiements en accusant le ministère de l'Énergie d'avoir modifié les termes du contrat avec cette société. « Il n'y a eu aucun nouveau contrat entre le ministère de l'Énergie et de l'Eau et BWSC, comme évoqué par le ministre des Finances », a démenti jeudi son collègue, Arthur Nazarian, dans une conférence de presse. Contacté par L'Orient-Le Jour, le ministère des Finances n'a pas souhaité fournir davantage d'explications sur l'ensemble de ce dossier.
Une facture salée
Entre-temps, la société a recours au Club de Paris – un groupe informel de créanciers publics chargé de trouver des solutions aux difficultés de paiement de pays endettés – pour tenter de recouvrir ses créances. « Le ministère des Finances a alors négocié le paiement de sa dette avec BWSC, à la veille de la session au Club de Paris, et c'est seulement lors du Conseil des ministres que nous avons appris ces négociations », a déclaré le ministre de l'Énergie dans un communiqué. Contactée par L'Orient-Le Jour, BWSC n'a, elle non plus, voulu commenter ce dossier.
« La compagnie danoise, avec la suspension des paiements, avait démobilisé ses ressources, puis, entre son retour au Liban et leur remobilisation, le retard réel dans l'avancée des travaux est passé de 8 mois à un an. Elle a ensuite recommencé les travaux lorsqu'elle a obtenu le versement de ses factures impayées – et non des indemnités – en décembre 2014 », affirme à L'Orient-Le Jour Nada Boustani, conseillère du ministre de l'Énergie.
Reste à régler la question des indemnités de retard, dont devra peut-être s'acquitter le contribuable : ce sont plus de 130 millions d'euros qui sont réclamés par la société BWSC. Le ministre de l'Énergie a donc accusé le ministère des Finances d'en être responsable et d'avoir suspendu les paiements « sans raisons », avant d'ajouter : « Ces indemnités auraient pu être évitées si les paiements avaient été effectués à temps », lors d'une conférence de presse le 10 septembre. « Cela ne signifie pas encore que nous acceptons ces pénalités de retard, et leur montant n'est pas encore défini. Ces questions font encore l'objet de négociations », précise Nada Boustani.
En attendant que les autres protagonistes de cette affaire divulguent en détail leur version des faits, le contribuable, lui, devra encore patienter pour connaître la note de ce nouvel exemple de gabegie administrative. Idem pour le courant supplémentaire promis : selon le ministère de l'Énergie, les travaux de la centrale de Jiyeh sont achevés à 95 % pour Jiyeh et 85 % pour Zouk. Ils devraient désormais prendre fin vers mai 2016, soit plus d'un an et demi après la date prévue.
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commentaires (4)
Nous payons les pots cassés non seulement en matière de fourniture du courant électrique par l'EDL, mais aussi par les propriétaires de générateurs privés, les "distributeurs" d'eau, ceux qui fixent les tarifs des communications téléphoniques y compris les cellulaires, etc... Quels gâchis partout et la société civile dormante, silencieuse ne se réveille pas encore de sa torpeur! Jusqu'à présent, ce sont des moutons de panurge qui gâchent les honnêtes et jeunes manifestants qui, eux, savent bien ce qu'ils revendiquent. Et à juste titre!
Zaarour Beatriz
18 h 05, le 19 septembre 2015