Quelques jours après les bombardements de Douma par l'armée syrienne, fin août, l'autoroute qui permet de rejoindre Homs par le nord de Damas est plus dangereuse que jamais : des tireurs sont embusqués dans les immeubles déserts et détruits qui longent la route. Les voitures roulent à vive allure, inutile de s'attarder. Sur les bas-côtés, plusieurs véhicules abandonnés, après que leur chauffeur a été atteint par ces balles qui frappent au hasard. Au loin, la fumée des bombardements. Le spectacle d'une guerre qui ravage la Syrie depuis quatre ans et demi et dans laquelle des civils syriens ne cessent de mourir.
L'autoroute est ensuite plus sûre, mais les barrages nombreux. On ne rejoint plus Alep aussi facilement qu'il y a cinq ans. Il faut désormais compter au minimum sept heures au départ de la capitale syrienne, quand il n'en fallait que trois et demi avant la guerre.
Depuis 2012, la moitié est de la ville d'Alep est entre les mains de l'armée régulière, tandis que plusieurs groupes armés de l'opposition au régime syrien se partagent l'autre moitié. Dans la partie restée aux mains du gouvernement, les habitants sont régulièrement privés d'eau et d'électricité, sur des périodes plus ou moins longues (23 jours en août). Le liquide vital est devenu un moyen de pression : la pompe centrale est contrôlée par un Libyen, chef de l'un des groupes qui encerclent Alep. Un groupe de citoyens s'est constitué spontanément, loin de toute appartenance politique, pour tenter de négocier cette question vitale de l'eau, a fortiori au cœur d'un été particulièrement chaud.
(Pour mémoire : Damas déterminé à reprendre Alep coûte que coûte)
Plusieurs Aleppins se sentent abandonnés à leur triste sort. Ils comprennent l'indignation des pays étrangers lorsque des civils sont tués par des bombardements de l'armée syrienne, mais ils regrettent que ces puissances étrangères ne dénoncent pas de la même manière leur calvaire. « La mort de civils innocents est toujours atroce, mais nous sommes également des civils. Nous recevons depuis trois ans des obus jour et nuit et nous sommes régulièrement privés de denrées essentielles à notre survie », se lamente Manal, une jeune Aleppine engagée depuis le début de la guerre dans trois organisations caritatives.
Alep est défigurée, ses habitants épuisés par une guerre dont les enjeux sont bien obscurs et qui leur semble interminable. Des vendeurs sauvages s'installent partout, des enfants se baignent dans les quelques centimètres d'eau qui restent dans le fleuve et les adultes s'alignent derrière les citernes qui parcourent la ville pour distribuer le minimum vital d'eau aux habitants qui en sont privés. Malgré tout, beaucoup trouvent encore la force de venir en aide aux plus nécessiteux. Les communautés religieuses occupent une place indispensable dans l'aide distribuée aux chrétiens comme aux musulmans, malgré la baisse inquiétante du nombre de chrétiens dans la ville. Des distributions d'eau, de vivres, de couches, de lait, de matériel scolaire sont organisées aux quatre coins de la ville, des cours sont dispensés aux enfants déplacés et des aides financières sont attribuées aux étudiants.
Malgré tout ce qui est fait pour encourager la population à rester, beaucoup d'Aleppins fuient l'enfer. Proportionnellement, c'est l'hémorragie chrétienne qui est la plus importante. Une jeune cheftaine livre un chiffre significatif : son groupe comptait 150 jeunes filles avant la guerre, elles ne sont plus que 40. Un constat qui peine Walid, jeune musulman : « Nous avons toujours vécu ensemble, la Syrie ne serait plus la Syrie sans ses chrétiens »... Cette crainte d'une partition confessionnelle de la Syrie inquiète, beaucoup l'évoquent avec angoisse.
La nuit tombée, la ville est plongée dans le noir et les bombardements s'intensifient. Un commerçant ne s'en étonne plus : « Trois ans que nous les entendons jour et nuit, de part et d'autre de la ligne de front, mais rien ne change. » La paix est désormais le seul souhait des Aleppins, parce qu'elle seule pourrait permettre d'imaginer à nouveau « un avenir pour nos enfants », disent-ils.
Pour mémoire
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13 h 43, le 02 septembre 2015