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Lifestyle - La mode

Aïshti, 25 ans de résistance festive

La chaîne de luxe sera bientôt enrichie d'un nouveau complexe commercial, Aïshti By The Sea, abritant une fondation d'art contemporain.

La première enseigne Aïshti créée en 1989 à Jal el-Dib.

La chaîne de luxe Aïshti célébrera en octobre prochain ses 25 ans d'existence. Créée en 1990, dans un petit dépôt de Jal el-Dib, l'enseigne a traversé crises et guerres sans jamais cesser de prospérer. Elle sera bientôt enrichie d'un nouveau complexe commercial, Aïshti By The Sea, abritant une fondation d'art contemporain, la Aïshti Foundation. Conçu par l'architecte star David Adjaye dans l'esprit d'une expérience globale jumelant culture, mode et art de vivre, cet espace, dont l'ouverture, le 25 octobre, coïncide avec l'anniversaire symbolique de l'enseigne, offrira au public un lieu de rencontre, d'échanges et de détente, par-delà son intention commerciale.
Tony Salamé, jeans et tee-shirt marine, demande qu'on arrête les camions pour faire visiter le chantier de la fondation. Allergique à la poussière, c'est presque en apnée, mais avec de grands gestes enthousiastes, qu'il court d'un étage à l'autre de cet espace de 30 000m2 et vous invite à imaginer ici le musée avec ses 7m sous plafond, là les restaurants, là encore telle ou telle des 80 boutiques de luxe dont certaines bénéficieront en première mondiale des nouveaux concepts de leurs marques, là l'étage entier consacré au jeans, là aussi, l'esplanade destinée au bien-être qui sera gérée par l'équipe Urban Retreat de Harrods, Londres, et puis là, le grand espace paysager face à la mer, animé de sculptures monumentales, dont un arbre de Penone, sélectionnées par la commissaire d'art public Cecilia Alemani.
Pendant ce temps, le Liban traverse une énième crise existentielle et l'on murmure que ce projet représenterait un investissement de plusieurs dizaines de millions de dollars. Des questions ?

À la fin des années 80, quand vous avez ouvert la première boutique Aïshti, vous aviez tout juste 20 ans et le Liban était ravagé par un ultime, mais phénoménal, épisode de sa très longue guerre. Qu'est-ce qui vous a fait croire que c'était le bon moment ?
Je ne me suis pas vraiment posé de questions. J'ai toujours cru d'instinct, étant moi-même passionné par la mode, que les gens, en toutes circonstances, et surtout dans les moments où tout va mal, avaient besoin de se sentir bien dans leur peau pour continuer à avancer. La mode a le pouvoir de donner de l'assurance, de mettre de la beauté et surtout une impression de normalité et de prospérité dans le paysage. J'ai commencé ma carrière en rachetant les commandes que les grands commerçants libanais avaient annulées à la veille de la guerre de « libération ». Et j'ai recommencé avec les commandes koweitiennes laissées en plan lors de la première guerre du Golfe. Depuis le départ, Aïshti a la guerre dans ses gènes.

Si jeune, à la tête d'un capital plutôt solide, vous faisiez déjà jaser. Héritage, blanchiment d'argent ou simple culot ?
Les fournisseurs milanais que j'ai approchés à mes débuts m'appelaient « le marteau » à cause de ma ténacité. J'avais la réputation de ne pas lâcher le morceau pour obtenir des marques, des exclusivités, des prix préférentiels. J'ai obtenu mon premier capital en sollicitant un crédit de 25 000 dollars à la British Bank of the Middle East (actuelle HSBC). Le directeur a choisi de me faire confiance, mais avec des conditions draconiennes et une exigence de transparence qui ont posé ma discipline comptable pour le restant de ma carrière. J'ai remboursé rubis sur l'ongle, et de nouveaux crédits, de plus en plus importants, ont suivi. En 2002, Aïshti réalisait déjà un chiffre d'affaires de 40 millions de dollars. Pour blanchir de l'argent, il faut des commerces plus discrets, des adresses moins visibles, du « petit cash ». Chez nous, près de 90 % des paiements se font par carte de crédit et les achats par lettres de crédit. Nous travaillons pour des marques qui ont une crédibilité à défendre sur le plan international. Si leur image est entachée, elles sont fichues.
De toute façon, le succès n'est jamais pardonné. J'ai souvent rencontré des gens qui me disaient tout le mal qu'ils pensaient de Tony Salamé sans savoir que c'était moi, sans même me connaître. Aujourd'hui, alors que même le MoMa nous demande de lui prêter des œuvres (il montre un e-mail), alors que nous aidons la Biennale de Venise et tous les musées modernes du monde, il se trouve des gens pour critiquer notre légitimité dans le secteur de l'art. Je ne me suis jamais arrêté à ces détails.
Le succès de Aïshti, c'est d'abord de l'exigence. Nous avons toujours cherché à créer le meilleur environnement possible et à un niveau international, pour les marques que nous représentons, tant pour la localisation que pour l'aménagement des magasins et la communication, notamment avec nos campagnes et notre bimestriel A-Mag. Pour chaque marque, nous proposons un choix d'articles parmi les plus vastes. J'ai la chance d'avoir à mes côtés Elham, mon épouse, qui a un sens avant-gardiste de la mode. À tel point que quand elle dirige les achats, les directeurs des marques donnent ses sélections en exemple. Dès le succès des premières années, je n'ai plus jamais eu à approcher une marque. Ce sont toujours les marques qui sont venues à nous. Même au niveau des magazines, Juergen Teller, l'un des plus grands photographes de mode, nous a proposé un shoot de lui-même pour les 25 ans de Aïshti. Nous avons avec les fournisseurs des relations privilégiées depuis des années. Nous arrivons à leur faire consentir de nous offrir les meilleurs prix et les premières sélections, et nous continuons à faire de grands chiffres avec le seul marché local.

 

(Pour mémoire : La Fondation Aïshti place Beyrouth au cœur de l’art contemporain et de l’art de vivre)

 

De l'enseigne Aïshti en caractères japonais à trois sous des débuts à celle minimaliste et élégante des années 2000, et aujourd'hui Aïshti By The Sea et Aïshti Foundation, que pouvez-vous dire du chemin parcouru en 25 ans ?
À mes débuts, je m'étais fait le raisonnement qu'on s'habille pour séduire. Une des grandes motivations, c'est d'être amoureux. Je voulais une enseigne qui dise « je t'aime » sans que ce ne soit galvaudé. Comme on était en plein dans la grande vague japonisante de la mode, j'ai choisi « Aïshti » qui signifie « j'aime » en japonais. Naïvement, j'avais opté pour un graphisme un peu littéral qui rappelait le côté japonais de cette inspiration. Dans les années 2000, j'ai fait appel à Stephan Sagmeister, un immense artiste graphique new-yorkais d'origine autrichienne, célèbre pour ses expériences extrêmes et pour les pochettes de disques qu'il a réalisées notamment pour Lou Reed. C'est à cette période qu'est né le sac orange, illustré, plus tard, à l'intérieur, de personnages qui s'envoient des baisers. Ce sac orange est devenu un status symbol et nos campagnes surprennent par leur modernité intuitive, décalée et pointue.

En 2009 justement, vous annonciez que « Beyrouth allait devenir une destination de choix et retrouver son statut de plateforme de la mode et de l'art de vivre du Moyen-Orient dans les deux années à venir. Y croyez vous toujours ?
Il ne s'agit pas de croire, il s'agit d'agir et de réaliser. Il n'y a pas de miracles. Nous travaillons dans un pays à l'instabilité légendaire. À chaque crise, Aïshti se fait un devoir, presque une hygiène, de faire bouger les choses pour sortir le marché de la morosité. Avec l'aide des commerçants de Beyrouth, nous avons inventé la « résistance festive ». Tant que nous sommes dans cet esprit, tant que nous allons de l'avant, nous pouvons croire et transmettre aux jeunes cette foi en notre pays. Il faut se souvenir qu'Aïshti est né en pleine guerre dans un petit local de banlieue avant de devenir l'une des premières chaînes de luxe de la région. Les guerres et les crises, et on en a connu au cours de ces 25 années, sont les dernières choses qui me feraient reculer, malgré les difficultés.

Le 25e anniversaire de la création de Aïshti coïncide avec l'inauguration de la Aïshti Foundation. Le grand public découvre en vous un collectionneur clé de l'art contemporain. Il se demande si vous allez fermer les magasins du centre-ville pour tout concentrer à Antélias, à la fondation. Il se demande aussi comment vous allez jongler entre la mode et l'art, et à qui cette fondation sera accessible.
J'ai toujours été collectionneur dans l'âme, depuis l'enfance, de timbres, de tout et de n'importe quoi. J'ai été initié à l'art contemporain par mon ami Dino Facchini, propriétaire de la marque Byblos et du Byblos Art Hotel à Vérone. Facchini m'a transmis le virus de l'Arte Povera. J'ai commencé à acheter à crédit des œuvres de Fontana, Manzoni, Pistoletto, Penone et d'autres. Ça ne m'a plus quitté. Je me suis mis à écumer les grandes foires mondiales de l'art, les Salons, les galeries, les ateliers d'artistes. Parallèlement, la mode est devenue inséparable de l'art. Elle est l'expression quotidienne et familière de ce qui se passe dans le secret des ateliers. La Fondation Aïshti servira d'écrin pour une collection de plus de 2 000 œuvres, y compris de grands artistes libanais et moyen-orientaux. L'architecte David Adjaye a imaginé un concept qui rend hommage à l'architecture traditionnelle et met en valeur la beauté du site de la fondation en bord de mer. Il a fait communiquer le côté muséal avec un complexe intégré où les boutiques de mode décorées par Christian Lahoude, l'espace bien-être, les restaurants et le bar à ciel ouvert font de Beyrouth une nouvelle destination pour un art de vivre global. La fondation est évidemment ouverte à tous, malgré ce côté luxe qui la rend un peu élitiste. Mais notre but est aussi de créer une interaction entre les artistes locaux et internationaux. Les curateurs ne souhaitent pas que l'accès à la fondation soit totalement gratuit, car tout ce qui est gratuit n'est malheureusement pas pris au sérieux. Il y aura donc un prix d'entrée, mais nous prendrons en compte le budget des écoliers, des étudiants, des personnes âgées et des catégories professionnelles. La fondation prévoit des ateliers d'art pour les enfants.
Au centre-ville, sur le site du Khan Antoun Bey, un autre complexe Aïshti du même type, réalisé par Zaha Hadid, est également en construction. Donc tout ne sera sûrement pas concentré à Antélias, et pour le moment aucune fermeture n'est prévue.
Je voudrais ajouter qu'à l'occasion de cet anniversaire, Aïshti a revu tous ses prix à la baisse en sacrifiant ses marges avec l'aide de ses fournisseurs et marques, solidaires de notre projet et des difficultés de notre marché. De nombreuses autres surprises seront annoncées en temps voulu.

Aïshti By The Sea et la Aïshti Foundation attendent en octobre les plus grandes personnalités internationales du monde de l'art et de la mode. Serez-vous prêts le 25 ?
Bien obligés, quitte à travailler jour et nuit. C'est un projet qui aurait nécessité cinq ans d'exécution et que nous réalisons en exactement deux ans et trois mois. Seule l'ouverture de l'espace Urban Retreat et peut-être celle du restaurant People seront ajournées à décembre. Sinon le musée et les boutiques seront sûrement prêts. Le musée sera inauguré en présence du commissaire Massimiliano Gioni, curateur de la 66e Biennale de Venise et directeur du New Museum de New York. C'est lui qui dirige l'exposition inaugurale sous le thème « New Skin ». C'est une exposition en miroir avec l'architecture du complexe réalisée par Adjaye, et qui comprendra des œuvres d'artistes contemporains internationaux et libanais de la collection de la fondation. Parmi les artistes les plus éminents, nous attendons Daniel Buren, Glenn Ligon et Wade Guyton.

 

 

Pour mémoire
« Beirut’s Nouvelle Vague » chez Aïshti

La chaîne de luxe Aïshti célébrera en octobre prochain ses 25 ans d'existence. Créée en 1990, dans un petit dépôt de Jal el-Dib, l'enseigne a traversé crises et guerres sans jamais cesser de prospérer. Elle sera bientôt enrichie d'un nouveau complexe commercial, Aïshti By The Sea, abritant une fondation d'art contemporain, la Aïshti Foundation. Conçu par l'architecte star David...

commentaires (1)

beaucoup beaucoup de rumeurs autour de sa fortune mais ca reste des paroles. Chapeau et merci d'offrir au Liban ce musee. Mais svp, un peu plus d'art Libanais et moins d'art Europeen.

George Khoury

07 h 58, le 26 août 2015

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Commentaires (1)

  • beaucoup beaucoup de rumeurs autour de sa fortune mais ca reste des paroles. Chapeau et merci d'offrir au Liban ce musee. Mais svp, un peu plus d'art Libanais et moins d'art Europeen.

    George Khoury

    07 h 58, le 26 août 2015

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