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Liban - Éclairage

La « modération » de Zarif, un exercice formel plutôt qu’un signe de changement ?

Interrogés par « L'Orient-Le Jour », un homme politique, une chercheuse et un journaliste, chiites indépendants, se montrent sceptiques sur les intentions de Téhéran.

Caren Firouz/Reuters

Beaucoup ont employé le mot « modération » pour qualifier les propos du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, lors de sa dernière visite à Beyrouth, cette semaine. Le ton employé par le ministre serait-il un indicateur de changement dans la politique iranienne à l'égard du Liban ou bien un exercice de pure forme ? Plusieurs intellectuels interrogés semblent pencher pour la seconde réponse, et ils expliquent pourquoi.

Selon l'ancien ministre Mohammad Abdel Hamid Beydoun, « cette visite n'apporte rien au Liban, elle ne doit être perçue que comme une étape avant la visite en Syrie ». Il s'explique : « Le ministre iranien des Affaires étrangères n'a annoncé aucune initiative au Liban, il n'a abordé aucun sujet de ceux qui peuvent intéresser les Libanais, se contentant de propos sur un ton moraliste sans véritable fond politique. »
Plaçant cette visite dans un contexte plus général, M. Beydoun estime que « l'Iran paralyse l'élection présidentielle au Liban pour garder en main une carte puissante en perspective des négociations sur l'avenir du régime et de la présidence en Syrie », d'où le fait que, selon lui, « l'Iran ne lâchera le Liban que si la crise en Syrie est résolue ».
L'ancien ministre note que « M. Zarif est conscient que le dossier libanais, tout comme d'autres dossiers régionaux, relève directement du guide suprême de la révolution islamique plutôt que du ministère des Affaires étrangères, ce qu'il a exprimé très clairement à son homologue français, Laurent Fabius, lorsque celui-ci l'a interrogé sur la présidence libanaise ».
M. Beydoun n'a donc perçu aucun changement dans le ton du ministre iranien... « Pire encore, j'ai trouvé malvenue son insistance à affirmer que l'Iran ne s'ingère pas dans les affaires internes des autres États, poursuit-il. Comment peut-il dire cela quand son pays a investi plus de 20 milliards de dollars au Liban, plus de 35 milliards en Syrie, et encore davantage ailleurs ? C'est comme s'il insultait l'intelligence des Libanais. À mon avis, c'est simplement une visite pour embellir l'image de l'Iran, sans implications réelles pour l'équilibre interne au Liban. »
A-t-il vu dans les propos de M. Zarif des messages destinés à l'Occident, en marge du récent accord sur le nucléaire ? M. Beydoun répond par l'affirmative, même s'il est convaincu que le président américain sait pertinemment bien que les dossiers régionaux épineux ne sont pas de la responsabilité du ministère des Affaires étrangères en Iran.

(Lire aussi : Les propos de non-ingérence de Zarif « contredits par l'action du tandem CPL-Hezbollah »)

 

« L'accord sur le nucléaire, un jeu intelligent »
Mona Fayad, professeure universitaire et chercheuse, n'a vu dans les propos de Mohammad Javad Zarif qu'un simple changement de ton, plutôt qu'une modification des positions iraniennes en profondeur. « Les messages qu'il voulait faire passer ne concernaient pas le Liban, mais la région, dit-elle. Il faut garder à l'esprit que ce n'est pas lui qui décide des politiques iraniennes, mais l'ayatollah Ali Khamenei. À mon avis, il n'a rien dit de fondamentalement différent de ce qu'on entend des responsables iraniens d'habitude, il tenait au contraire à promouvoir la même position, celle de défendre le régime de Bachar el-Assad en Syrie. Et s'il a utilisé un autre vocabulaire, c'est peut-être une tentative de séduire ceux qui sont plus intéressés par la forme que par le fond. »
Mme Fayad pense que l'Iran a deux visages, celui de l'État et celui des activités plus ou moins secrètes. M. Zarif, en bon diplomate, a œuvré à promouvoir le visage de l'État par ses propos modérés, alors que tous les indicateurs montrent qu'il n'y a pas de véritable changement dans la politique iranienne, ni au Liban, ni en Irak, ni ailleurs, selon elle. « Quand le chef de la diplomatie iranienne déclare que les Libanais doivent régler leurs problèmes seuls, ce n'est, pour moi, que pure hypocrisie, souligne-t-elle. Le Hezbollah dépend étroitement et directement des gardiens de la révolution islamique, or c'est lui l'acteur qui paralyse tout sur la scène libanaise. Quand M. Zarif fait de pareilles déclarations, c'est comme s'il essayait de se disculper, de faire croire à des intentions différentes des autres. À mon avis, c'est tout au plus une supercherie. »
La chercheuse ne voit-elle donc aucune différence dans l'après-accord sur le nucléaire ? « Je crois que cet accord sur le nucléaire est un jeu très intelligent de la part de l'Iran, estime-t-elle. Qu'auraient-ils pu faire d'éventuelles armes nucléaires dans le contexte régional ? Rien du tout. Alors que leurs interventions actuelles dans les pays arabes sont beaucoup plus dévastatrices de par les conflits qu'elles font naître. » Suivant sa lecture, ce sont les intérêts économiques des uns et des autres qui expliquent les derniers développements dans la région : la course à l'armement prévue dans les pays arabes, tout comme la nécessité de reconstruction en Irak et en Syrie, sont des perspectives pour le moins lucratives, observe-t-elle.

 

(Pour mémoire : Zarif assure à Beyrouth le service après-vente de l’accord avec Téhéran)

 

« Un message puissant destiné aux Occidentaux »
La lecture du journaliste Ali el-Amine de la visite de M. Zarif à Beyrouth n'est pas très éloignée de celle des deux autres. Pour lui, et sans détour, « cette visite est plus dirigée vers la Syrie que vers le Liban, elle relève plutôt de la politique d'affichage, s'apparentant à la visite d'un responsable politique à l'une des colonies de son pays ». Il en retient surtout un aspect : le fait que le ministre iranien ait renoncé à la visite de la tombe de Imad Moghniyé (chef militaire du Hezbollah tué dans un attentat en Syrie en 2008).
« À mon avis, c'est un message puissant lancé à l'intention des Occidentaux, des États-Unis en particulier, dit M. Amine. C'est comme si M. Zarif tenait à montrer que pour l'Iran, le respect des règles diplomatiques est primordial. En effet, il n'est pas convenable, pour un diplomate, de se recueillir devant la tombe d'un personnage qui ne fait pas l'uninamité dans le pays qu'il visite, à moins de prévoir une autre activité de ce type face à un emblème national, comme la statue des Martyrs par exemple. Je crois qu'à travers cette abstention, il a voulu promouvoir un autre visage de l'Iran. Mais ce n'est pas tout. À un moment où la polémique autour de l'accord nucléaire fait rage au Congrès américain, il aurait été de mauvais ton, pour le ministre iranien des Affaires étrangères, de s'afficher devant la tombe d'un homme que les Américains accusent d'avoir tué leurs compatriotes. »
Mais dans l'ensemble, le journaliste ne voit pas, dans les propos de M. Zarif, d'autres indicateurs d'un résultat palpable de cette visite pour le Liban. « Les propos étaient modérés, il est vrai, ils n'ont provoqué personne, ce qui est la preuve d'un souci d'entretenir de bonnes relations avec toutes les parties libanaises, estime-t-il. Mais il n'était pas possible non plus d'y déceler la trace d'éventuelles tractations sous la table concernant une quelconque vision iranienne pour aider à débloquer des sujets d'intérêt libanais. »
« Il ne faut pas oublier que cette tournée libanaise a suivi de près l'annonce d'une initiative iranienne pour le règlement de la crise en Syrie », conclut-il.

 

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commentaires (2)

LES CHANGEMENTS DE ZARIF : QUI VA PIANO VA SANO ET VA LANTANO...

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 35, le 15 août 2015

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Commentaires (2)

  • LES CHANGEMENTS DE ZARIF : QUI VA PIANO VA SANO ET VA LANTANO...

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 35, le 15 août 2015

  • Évidemment. Non, peut-être !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 45, le 15 août 2015

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