Cela fait déjà une semaine que les déchets s'amoncellent partout au Liban, transformant en minidépotoirs les bennes à ordures, devenues quasiment invisibles sous des talus d'ordures. Déjà écrasées par une moite chaleur, les ruelles de Beyrouth sont assaillies par des effluves nauséabonds au fur et à mesure que s'y entassent poubelles et détritus. Alors que la grogne populaire commence à se faire ressentir de plus en plus, l'air en ville étant presque devenu irrespirable sous la chaleur de juillet, les Libanais sont au moins sûrs d'une chose : il n'y aura aucune percée dans la crise des déchets avant mardi, date à laquelle est prévue la prochaine réunion du Conseil des ministres, quand bien même elle aboutirait à une solution. Jeudi dernier, lors du Conseil des ministres, les responsables avaient en effet consacré, inutilement, quelques minutes seulement au dossier des déchets, relégué au second plan, malgré l'urgence du problème causé par la fermeture forcée du dépotoir de Naamé et la fin du contrat de la compagnie Sukleen, qui ramasse les déchets du Liban depuis plus de 17 ans.
Le ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk, a toutefois signalé hier avoir décidé de créer des dépotoirs temporaires, pour une durée qui ne dépasserait pas les neuf mois, conformément à la suggestion de son ministère qui devra choisir ces emplacements parmi une liste proposée. Le ministre s'est prononcé à l'issue d'une rencontre avec le député Samy Gemayel, portant sur la crise des déchets solides, en présence de figures municipales venues des régions du Metn et du Kesrouan. « Nous avons discuté des moyens de trouver des emplacements convenables afin de procéder à la compression des déchets – pour en réduire le volume – avant de les mettre en ballots, en attendant d'avoir décidé de l'emplacement des dépotoirs dont devrait se charger l'État », a ajouté le ministre, qui a également déclaré que l'adjudication de compagnies qui se chargeront du ramassage des déchets sera annoncée dans 15 jours. Il a enfin souhaité que les habitants des régions désignées pour accueillir temporairement les déchets « soient coopératifs ». « Nous ne recourrons pas à la force », a-t-il promis.
De son côté, Samy Gemayel a regretté que le pays connaisse pareille crise. « Certaines parties estiment que discuter du mécanisme de traitement de ce dossier est plus important que de le traiter effectivement », a-t-il ajouté, en référence aux ministres du bloc aouniste qui exigent que le cabinet s'entende sur un mécanisme de fonctionnement précis en l'absence d'un président, avant toute autre démarche. M. Gemayel a estimé que la réunion avec le ministre Machnouk, une initiative du parti Kataëb, devrait permettre de traiter la crise avant mardi. La rencontre a en effet réuni le ministre avec de nombreux responsables municipaux, notamment les présidents des unions municipales du Metn, du Kesrouan, du littoral du Metn-Nord et du Haut-Metn, à savoir Mirna el-Murr, Nouhad Naufal, Raymond Semaan et Karim Sarkis. Samy Gemayel a par ailleurs estimé que le cahier des charges proposé aux compagnies souhaitant participer à l'adjudication les a découragées, en raison de la clause qui stipule qu'elles se doivent de trouver elles-mêmes des emplacements pour déposer les déchets.
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« Le Akkar ne veut pas accueillir les ordures de la capitale »
Avant que le ministre de l'Environnement n'appelle les régions à coopérer si jamais elles étaient désignées pour accueillir temporairement certains déchets, les plaintes ont déjà commencé à fuser de partout. Le député Hadi Hobeiche a catégoriquement rejeté les propositions de transporter les déchets ménagers de Beyrouth au Akkar et « de transformer ce caza en dépotoir », comme l'a proposé le chef du conseil municipal de Beyrouth, Bilal Hamad. Il a rappelé que le Akkar souffrait de privations et faisait face à de nombreux problèmes, appelant le gouvernement à rendre justice à cette région et à contribuer à son développement, « au lieu de lui envoyer les ordures de la capitale ». M. Hobeiche a enfin signalé que la société civile, les députés et les municipalités du Akkar allaient entamer des mouvements de protestation si le gouvernement ne revenait pas sur sa décision. « Il est inadmissible que les problèmes des villes prospères soient résolus aux dépens des régions pauvres », a-t-il conclu. Le député Hobeiche a dans ce cadre été reçu hier par le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk accompagné du député Mouïne Merhebi. Au terme de la réunion, ce dernier a affirmé que les déchets ne seront pas envoyés au Akkar, sans l'acceptation des citoyens. « Les citoyens de Beyrouth devraient réclamer la démission du chef du conseil municipal de Beyrouth et du ministre de l'Environnement », a-t-il indiqué.
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Le président des waqfs islamiques au Akkar, le cheikh Malek Jdeidé, a également tenu des propos similaires. De son côté, le secteur de Choueifat au sein du Parti syrien national social (PSNS) a mis en garde contre « la transformation de la plage de Khaldé en dépotoir d'ordures, un copier-coller de la montagne de détritus de Saïda ». Quant au député Imad el-Hout, il a tenu à rappeler que Beyrouth accueille les Libanais de différentes régions, et que ces dernières devraient coopérer de façon que chaque caza ait son propre dépotoir, afin d'accueillir ses propres déchets et une partie de ceux de Beyrouth.
Pendant ce temps, l'Association pour le développement des forêts et leur conservation (AFDC) a mis en garde contre l'incinération des déchets dans les bennes à ordures, qui constitue un danger pour les forêts et la santé, en augmentant le risque de cancer et de maladies pulmonaires à cause des gaz toxiques. L'Association pour le développement municipal a, quant à elle, affirmé dans un communiqué que Sukleen n'est pas responsable de la crise actuelle, mais bien les dirigeants politiques, rejetant les mesures provisoires au profit de solutions durables.
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commentaires (5)
APPELER LES HABITANTS À COOPÉRER... C'EST PRESQUE LEUR DEMANDER DE MANGER LES DÉCHÊTS ! TROUVEZ DES SOLUTIONS VIABLES ET SI VIABLES... IMPOSEZ-LES !!!
LA LIBRE EXPRESSION
10 h 47, le 26 juillet 2015