Le Liban croule sous les ordures. Mais c'est sur le mécanisme de décision du gouvernement que se penchera aujourd'hui en premier lieu le Conseil des ministres, selon l'ordre du jour établi par le Premier ministre, Tammam Salam. Et ce, suite au houleux débat du 9 juillet, qui avait vu une vive altercation entre M. Salam et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, membre du Courant patriotique libre.
Le brûlant dossier des déchets sera-t-il abordé ? Nul ne le sait encore, vu la grande réticence du bloc du Changement et de la Réforme à évoquer la question, estimant qu'il revient au ministre de l'Environnement de traiter désormais le dossier. « La séance sera consacrée au mécanisme de décision du gouvernement. Quant au dossier des ordures, toutes les décisions nécessaires ont déjà été prises et le gouvernement n'a rien de nouveau à proposer. C'est au niveau des appels d'offres qu'il faut trouver la solution », affirme le député du CPL, Alain Aoun, donnant ainsi le ton. Une position qui indispose le 14 Mars, qui craint une implosion du Conseil. En même temps, on ne voit pas comment le dossier des ordures pourrait ne pas être abordé, vu le ras-le-bol de la population.
Les refus du Premier ministre
Le Premier ministre n'a pas l'intention de se laisser faire. « Pessimiste et se sentant délaissé par ses alliés, Tammam Salam brandit carrément la menace de sa démission, s'il n'obtient pas gain de cause sur les points suivants », rapporte à L'Orient-Le Jour une source informée. « Il refuse catégoriquement l'atteinte aux prérogatives du Premier ministre. Il refuse la paralysie du Conseil des ministres. Il insiste enfin pour que soit soulevée la question des déchets aujourd'hui, même si la discussion sur le mécanisme de décision n'aboutit pas à un accord », poursuit cette source. C'est donc fort du soutien de ses alliés haririens, à l'issue d'une visite que doit lui rendre ce matin la députée Bahia Hariri, que le Premier ministre se rendra au Grand Sérail.
Il semble aussi, selon une source ministérielle, que les ministres du CPL « n'ont nullement l'intention de paralyser le gouvernement, tout juste envisagent-ils de placer la barre haut pour obtenir un droit de veto, au cas où ils auraient une sérieuse objection ». Le chef du CPL lui-même, Michel Aoun, a également affirmé qu'il « ne voulait pas que le gouvernement démissionne », précise la source informée. Quant à son proche allié, le Hezbollah, soucieux d'avoir la couverture de l'État, il a un seul mot d'ordre : « Contrôler la situation pour empêcher la chute du gouvernement. » Une position rejointe par le président du Parlement, Nabih Berry, qui a « donné ses instructions pour que son bloc se range du côté du Premier ministre ».
C'est dans ce contexte que des ministres du 14 et du 8 Mars ont fait part à L'Orient-Le Jour de leurs attentes et de leurs craintes sur le déroulement de la séance ministérielle. « Il est interdit d'aborder le dossier des déchets en Conseil des ministres. Ils ne veulent pas nous permettre d'ouvrir la question », déplore le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, montrant du doigt ses adversaires du CPL. « Je suis désespéré. J'ai honte d'être ministre. Si nous ne parvenons pas à une solution, je présenterai ma démission au sein d'un groupe de huit ministres », promet-il. « Nous avons atteint la ligne rouge », déplore-t-il, en écho aux propos du Premier ministre, Tammam Salam. M. Derbas ne manque pas d'évoquer le blocage et dénonce ce « moyen sans précédent » auquel a recours le bloc du Changement et de la Réforme.
Pessimisme ambiant
Même pessimisme de la part du ministre d'État pour la Réforme administrative, Nabil de Freige, concernant le bon déroulement de la séance ministérielle. « Les ministres aounistes n'ont nullement l'intention de passer aux autres points de l'ordre du jour si aucun accord n'est trouvé sur la question du mécanisme de décision du gouvernement », assure-t-il. Le ministre envisage toutefois d'insister : « J'aborderai le dossier des déchets, qu'ils le veuillent ou non. » Il qualifie les idées de ses adversaires politiques sur « les prérogatives des chrétiens » de « très dangereuses », et se prononce plutôt en faveur d'« un consensus pour le bien du pays ». « Nous ne pouvons accepter d'être au sein d'un gouvernement qui soit paralysé. C'est un genre de coup d'État », martèle-t-il.
De son côté, le ministre de l'Éducation, Élias Bou Saab, persiste et signe. « Le Conseil des ministres portera sur les mécanismes de décision du gouvernement, selon l'ordre du jour du Premier ministre. Nous devons obtenir au plus tôt un accord sur la question », affirme-t-il. Le membre du CPL souligne toutefois que « cet accord ne peut être imposé par la force, mais doit faire l'effet d'un consensus ». Quant au dossier des déchets, M. Bou Saab assure que le gouvernement a déjà pris toutes les décisions. « Je vais en revanche demander pourquoi nous en sommes arrivés là, pourquoi ils ont échoué dans la gestion du dossier et pourquoi ils n'ont trouvé aucune solution en six mois », lance-t-il, rappelant les réserves émises par le CPL et les Kataëb sur le cahier des charges et sur les modalités de gestion des appels d'offres.
Les accusations de part et d'autre, ainsi que les menaces de démission ne présagent rien de bon. La séance du Conseil des ministres s'annonce pour le moins compliquée. « Mais cela ne veut rien dire », assure une source proche du 8 Mars. Les choses pourraient se dérouler mieux que prévu. « Car si le gouvernement n'a théoriquement aucune décision à prendre concernant le dossier des déchets, il serait logique qu'il l'examine, en cas de complication. »
Lire aussi
La République-poubelle
Beyrouth dans l'impasse, à la recherche d'une décharge
Le PDG de Sukleen fait porter au gouvernement la responsabilité de trouver une décharge
Pharaon déplore « une image peu encourageante pour la saison touristique »
Samy Gemayel se déchaîne contre Sukleen, accusée de « vol » et d'« extorsion »
Le 14 Mars appelle le gouvernement à trouver des solutions sans tarder
commentaires (4)
Un Premier-ministre dans un pays civilisé a des prérogatives accordées par la Constitution. Il doit les appliquer intégralement dans tous les cas de figure qui lui seraient présentés. Si un ministre n'est pas d'accord sur la politique de son chef, soit il démissionne, soit il est démis et remplacé par un autre. Un leader politique Français, ancien ministre, Jean-Pierre Chevènement a dit : Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. Point final.
Un Libanais
12 h 50, le 23 juillet 2015