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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le rôle de Wilhelm Fliess dans la théorisation freudienne - 2

La surestimation de Fliess, typique d'un amour de transfert est visible dès la deuxième lettre de leur correspondance : « Je ne sais toujours pas par quoi je vous ai conquis ; le peu d'anatomie cérébrale spéculative que je connais n'en a certainement pas imposé longtemps à votre sévère jugement. » C'était le 28 décembre 1887. Dès le début de leur relation Freud s'installe progressivement dans l'amour de transfert. Trois ans plus tard, le 1er août 1890 : « Notre conversation, la bonne opinion que vous sembliez avoir de moi m'ont redonné foi en moi-même. » Et encore six ans plus tard, le 1er janvier 1896 : « Des êtres comme toi ne devraient jamais disparaître, nous manquons trop, nous autres, d'hommes de ton espèce... C'est avant tout ton exemple qui m'a permis d'acquérir la force intellectuelle de me fier à mon propre jugement... »

Ces quelques exemples de lettres, surtout la dernière, sur un ensemble de 287 indiquent bien que ce transfert originel fut un « coup de foudre » comme l'a appelé Octave Mannoni dans « L'analyse originelle », ou un « envoûtement » comme le dit Marthe Robert (1914-1996) dans La Révolution psychanalytique, La vie et l'œuvre de Freud. Comme nous l'avons vu la dernière fois, l'amour de Freud pour Fliess est un amour pour le savoir de Fliess sur la sexualité et pour le rapport de Fliess à son propre savoir. Là où Freud doutait encore de l'importance de la sexualité comme cause de la névrose, doute entretenu par le silence gêné de Charcot et Breuer, Fliess était convaincu de son savoir. Et c'est bien cette certitude de Fliess dans son savoir, certitude qui rappelle la certitude du psychotique qui déclencha le premier amour de transfert de l'histoire de la psychanalyse, celui de Freud.
Cet amour de transfert est un vrai amour. Si comme le dit André Breton, « l'amour est la rencontre de quelqu'un qui vous donne de vos nouvelles », l'amour de transfert répond exactement à la même définition. Fliess a donné à Freud de ses nouvelles ce qui déclencha son amour pour lui. Cet amour n'est pas un amour homosexuel au sens où on l'entendrait aujourd'hui, c'est un amour platonique qui vise le savoir. C'est ce qui a amené Lacan à forger le concept de « Sujet supposé savoir », à partir de sa lecture du Banquet de Platon.

En reconnaissant les hypothèses cliniques et théoriques de Freud, Fliess lui permet de réaliser que ces hypothèses ne sont pas folles. Si le savoir analytique, enraciné dans la culture d'aujourd'hui permet à tous les patients allongés sur un divan d'exprimer les idées les plus saugrenues, celles refoulées dans leur inconscient, nous pouvons mesurer l'importance fondamentale de l'écoute et de la compréhension de Fliess à l'égard des idées de Freud. Ce dernier était pris pour un scandaleux théoricien qui utilisait l'hypnose, voire un charlatan. Ce n'est pas pour rien, comme on l'a déjà vu que les deux hommes appelaient leurs rencontres « Congrès ». Freud attendait ces congrès avec une grande avidité, il supportait mal les périodes qui les séparaient qu'il qualifiait de « périodes d'abstinence ». Nous retrouvons là encore le témoignage d'une dépendance telle qu'elle apparaît régulièrement chez tous les patients dans les cures analytiques. Les patients attendent les séances avec une grande impatience et retrouvent un sentiment de paix après parlé à qui sait les entendre.

« Après chacun de nos congrès, écrit Freud à Fliess, je me sens conforté pour plusieurs mois, de nouvelles idées ont jailli, mon dur travail m'a été une nouvelle joie, et mon espoir intermittent de me frayer un chemin dans la jungle s'est mis à luire... ». On voit bien comment Freud découvre, à travers ses lettres à Fliess, son propre savoir qui était refoulé en lui-même. L'importance de Fliess est telle qu'elle équivaut pour Freud à tout un public : « Sans public, je suis incapable d'écrire, mais je suis parfaitement satisfait de n'écrire que pour toi ». Cette fonction d'écoute qu'incarna Fliess pour Freud, ce « pôle de moindre résistance » qui permit à Freud de dépasser sa propre censure et de construire progressivement la théorie analytique de l'appareil psychique, ont fait que chaque analyste, depuis 115 ans incarne cette position du « sujet supposé savoir » pour son patient.
C'est pour cette raison que la formation de l'analyste passe obligatoirement par son analyse personnelle, celle qui va lui permettre de refaire le même chemin que Freud fit au départ avec Fliess, de passer par l'amour de transfert, par l'amour du « sujet supposé savoir » et surtout, à la fin de l'analyse, par dé supposer le savoir à son analyste et cesser ainsi de l'idéaliser. Nous verrons plus loin comment le savoir joua un rôle capital dans la rupture définitive entre les deux hommes.

 

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