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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le rôle de Wilhelm Fliess dans la théorisation freudienne 3

L'analyse de Freud avec Fliess, «L'analyse originelle», s'arrêtera au moment de la rupture entre les deux hommes, en 1904, la dernière lettre de Freud datant du 27 juillet 1904. Mais l'amour de transfert de Freud à Fliess ne se terminera pas avec leur rupture. Cet amour de transfert trouvera d'autres supports, notamment Carl Gustave Jung (1875-1961) et Sandor Ferenczi (1873-1933), avec lesquels Freud continuera à s'analyser comme un autre. Ce fait sera nié par Ernest Jones (1879-1958), biographe, hagiographe de Freud et principal censeur de l'histoire du mouvement psychanalytique. Il soutiendra que Freud a fini son autoanalyse avec Fliess et n'a plus jamais été dans la répétition transférentielle. À ses yeux, ce sont les élèves qui étaient dans le transfert à Freud et non l'inverse, voulant ainsi leur faire endosser le poids des conflits et des scissions. Or le 17 octobre 1909, Freud écrivait bien à Jung: «Excusez la longue lettre; c'est en l'écrivant seulement que je suis arrivé à la conscience de moi.» C'est la preuve que l'analyse originelle continue et que, vis-à-vis de ses élèves, Jung et Ferenczi en tout cas, Freud était dans la position de l'analysant, du patient, comme il l'était avec Fliess. Et comme avec Fliess, dès le début de sa relation à Jung, Freud était dans l'attente de la reconnaissance. Le 26 mai 1907, peu de temps après le début de leur relation, il écrit à Jung: «Une profession de foi comme la vôtre m'est d'ailleurs plus précieuse que l'approbation d'un congrès entier, aussi parce qu'elle m'assure en passant que de futurs congrès me donneront leur approbation.» L'approbation de Jung est aussi importante pour Freud que celle de Fliess, au point qu'il n'hésite pas à nommer cette reconnaissance «congrès».
Comme on le voit, il n'y a donc pas d'autoanalyse et l'analyse de Freud avec Fliess ne s'est pas terminée avec lui: «L'autoanalyse est réellement impossible, écrit Freud à Fliess le 14 novembre 1897. Je peux seulement m'analyser au moyen de ce que j'apprends du dehors (comme si j'étais un autre). S'il en était autrement, il n'y aurait pas de maladie.» Ce qui veut dire que nul ne peut connaître son propre inconscient, inconscient qui est à l'origine du symptôme, de la maladie. Cet inconscient se manifeste dans les rêves, l'humour, les actes manqués et les symptômes, mais il ne se met en acte qu'avec un interlocuteur déterminé, l'analyste.
L'inconscient est donc inaccessible directement. Freud n'a pu faire son analyse que parce qu'il s'adressait à Fliess, même à travers des lettres. Par la suite, Jung prendra la place de Fliess puis Ferenczi la place de Jung. D'autres correspondants occuperont ponctuellement la fonction de l'analyste de Freud, Romain Roland entre autres. Ce dernier permettra à Freud d'analyser correctement son trouble de mémoire sur l'Acropole, trente-deux ans après.
«Le trouble de mémoire sur l'Acropole», titre donné à la lettre de Freud à Romain Roland en 1936, est un léger sentiment de dépersonnalisation qui frappa Freud en 1904 sur l'Acropole, alors qu'il était avec son frère Alexandre et qu'il venait de rompre sa relation avec Fliess. Il a fallu trente-deux ans à Freud pour donner une interprétation correcte de ce malaise. Ce malaise se répéta deux fois après celui de 1904, lié à Fliess. En 1909 face à Jung, avant le départ de Freud, Jung et Ferenczi pour les États-Unis, et en 1912 à Munich, toujours face à Jung, lors de la réunion des chefs du mouvement analytique. Jusqu'en 1936 dans la lettre à Romain Roland, il a toujours donné de ces évanouissements une interprétation par l'homosexualité non résolue, dont l'objet était Fliess au départ, puis Jung par la suite. Alors qu'à chaque fois, la question du père est centrale et nettement évoquée. Ainsi en 1904, il se rappelle la phrase de Napoléon I le jour de son couronnement: «Que dirait Monsieur notre père s'il pouvait être ici maintenant?» Et en 1912, il s'évanouit au moment où il est question d'Amenhotep, le pharaon qui ordonna d'effacer le nom de son père des places publiques.
Dans la lettre à Romain Roland, il comprend enfin: «Tout se passe comme si le principal, dans le succès, était d'aller plus loin que le père, et comme s'il était toujours interdit que le père fût surpassé.» Cela provoque un sentiment de culpabilité lié au mépris qui a remplacé l'ancienne surestimation infantile de la personne du père. C'est ainsi que se terminent les analyses. «Le sujet supposé savoir», moteur initial de l'amour de transfert, se transforme en sujet dé supposé savoir, qui fait tomber l'analyste de l'idéalisation dont il a été l'objet. L'analyste ne sait rien, son savoir lui est supposé par le patient.
Mais pour Freud, dans son rapport à Fliess, il a fallu trente-deux ans pour en finir. Pourquoi?
Nous verrons la prochaine fois comment, entre Freud et Fliess le savoir qui s'est dégagé dans l'analyse a pris les dimensions publiques d'un plagiat, plagiat qui a précipité leur rupture sous une forme paranoïaque.

Chawki AZOURI

L'analyse de Freud avec Fliess, «L'analyse originelle», s'arrêtera au moment de la rupture entre les deux hommes, en 1904, la dernière lettre de Freud datant du 27 juillet 1904. Mais l'amour de transfert de Freud à Fliess ne se terminera pas avec leur rupture. Cet amour de transfert trouvera d'autres supports, notamment Carl Gustave Jung (1875-1961) et Sandor Ferenczi (1873-1933),...

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