Douze années de négociations ardues, douze années de tentatives de déstabilisation de l'intérieur et de l'extérieur ont été finalement couronnées par la conclusion d'un accord sur le dossier nucléaire iranien entre la République islamique et les six grands pays de la communauté internationale. En dépit des tentatives de certains médias de minimiser l'importance de cet accord, les protagonistes avaient conscience de vivre un moment historique. Pour le marquer, le président américain Barack Obama et le président iranien Hassan Rohani ont d'ailleurs choisi de s'adresser à leurs peuples respectifs, mais aussi au monde. De façon prévisible, chacun a tenté de tirer la couverture de son côté, présentant l'accord comme une victoire pour lui et pour son camp. Mais au-delà des détails techniques qui seront longuement analysés par les experts, l'évaluation de l'accord reflète la division politique dans la région et au Liban.
Alors que le 8 Mars annonçait depuis quelque temps déjà la conclusion de cet accord, le 14 Mars était réservé, et lorsqu'il laissait entendre que cet accord pourrait effectivement être signé, il s'empressait d'ajouter qu'il serait vidé de son contenu. Aujourd'hui, c'est fini, les dés sont jetés et les spéculations sur la signature sont terminées. Place à l'analyse des conséquences. Les médias du 14 Mars mettent désormais en avant les contraintes imposées à l'Iran sur son programme nucléaire pour faire croire qu'en définitive l'Iran a perdu dans cet accord puisqu'il a fait d'importantes concessions. En même temps, les analystes du 14 Mars affirment que, désormais, les choses sérieuses vont commencer. En d'autres termes, il va falloir ouvrir les dossiers régionaux brûlants et l'Iran va devoir passer à la caisse et faire de nouvelles concessions pour être accepté dans le concert des nations.
À leurs yeux, l'Iran d'après l'accord sur le nucléaire ne sera pas le même que celui d'avant l'accord, qui était considéré comme la tête de « l'axe du mal », comme le nommait George W. Bush. Pour intégrer la communauté internationale, il devrait donc cesser de brandir l'axe dit de la résistance et mettre un bémol à son appui au Hezbollah, à Ansarullah (les houthis) et d'autres formations du même genre. Les analystes du 14 Mars estiment ainsi que l'Iran devrait donc forcément jeter du lest au Yémen et au Liban.
Quant au dossier syrien, il continuera à brûler car l'heure de son règlement n'a pas encore sonné.
En même temps, les analystes du 14 Mars misent sur un affaiblissement en Iran même du courant conservateur représenté par les gardiens de la révolution et les ulémas ultrareligieux au profit des modérés et des réformateurs représentés aujourd'hui par le président Rohani. De même, l'ouverture du marché iranien et le flux d'investissements occidentaux dans ce pays devraient encourager la population à adopter les thèses les plus modérées. Dans cette optique, le 14 Mars est convaincu que ce que n'ont pas pu faire le printemps de Téhéran et les émeutes populaires de 2009, à la suite de la réélection de l'ancien président Ahmadinejad, l'accord nucléaire parviendrait à le réaliser en soulevant la population contre « le régime totalitaire des mollahs » au profit d'un régime plus libéral, et donc forcément moins impliqué dans « l'axe de la résistance » et auprès du Hezbollah en particulier.
De son côté, le 8 Mars a une approche totalement différente. Selon lui, les négociations sur le nucléaire ont abouti parce que l'Iran a décidé que le moment était venu de le faire, ayant mis à profit les années écoulées pour perfectionner son programme nucléaire et atteindre le dernier stade avant la fabrication de la bombe. Pour le 8 Mars, l'Iran ne veut pas cette bombe, puisque tout le monde sait qu'elle ne peut pas être utilisée, mais il veut être reconnu comme une puissance nucléaire et pouvoir développer la technologie et l'énergie. C'est désormais chose faite. En même temps, si l'Iran a pu tenir si longtemps dans des circonstances difficiles, face aux pressions occidentales, c'est parce qu'il a réussi à former un axe qui l'a soutenu dans toutes les étapes de la négociation et qui lui a permis de tenir entre ses mains des cartes fortes pour consolider sa position.
Le Hezbollah est la première de ces cartes, puisque, grâce à lui, l'Iran s'est introduit dans le monde arabe et s'est pratiquement placé à la frontière avec Israël, devenant un partenaire incontournable dans toute négociation israélo-arabe. L'Iran a ensuite développé son éventail de relations dans le monde arabe en s'ouvrant et en aidant les organisations palestiniennes, comme le Hamas et le Jihad islamique, au point de leur permettre d'enregistrer des victoires contre Israël, lors de ses deux dernières guerres contre Gaza et alors que les autres pays arabes les avaient totalement oubliées. Dans son dernier discours, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a d'ailleurs affirmé que l'Iran est aujourd'hui le seul pays qui aide les Arabes à lutter pour la Palestine.
De plus, l'Iran a étendu son influence en Irak, non seulement avec la composante chiite du pays, mais aussi avec les Kurdes, puisqu'il a été le premier à leur envoyer des armes pour qu'ils affrontent le groupe État islamique. Même chose au Yémen, où, grâce à l'appui de l'Iran, le groupe Ansarullah continue de progresser sur le terrain malgré les bombardements saoudiens qui durent depuis plus de cent jours. Enfin, en Syrie, et malgré les annonces répétées de la chute imminente du régime syrien, la dernière en date ayant été prévue pendant ce mois de ramadan, celui-ci tient bon et même consolide ses positions dans plusieurs régions du pays, grâce notamment à l'aide iranienne et russe.
Selon le 8 Mars, lorsqu'on regarde le paysage politique régional dans son ensemble, on ne peut que considérer que la signature de l'accord nucléaire, après de si longues négociations et toutes les tentatives de déstabiliser et d'affaiblir l'Iran de la part de l'Occident et des pays régionaux, n'aurait pas été possible sans les alliés de ce pays au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et peut-être ailleurs. À leurs yeux, l'Iran sort donc renforcé de cet accord et conforté dans ses options. S'il tend probablement la main aux Saoudiens, il ne sera pas pour autant prêt à faire d'importantes concessions, puisque rien ne l'y oblige. En tout cas, pas au sujet du Hezbollah, qui reste pour lui un élément de force.
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14 h 56, le 15 juillet 2015