Durant ces trois derniers jours, les tables d'écoute étaient en alerte au département d'État à Washington, jusqu'à Langley, siège de la CIA, en Virginie. Pour intercepter n'importe quel signal en provenance de Vienne et de Téhéran. Les enregistrements, quotidiennement expédiés à la Maison-Blanche, comportaient une constante, révélant combien le guide suprême, l'ayatollah Khamenei, était intéressé par le succès de cet accord, pour des raisons économiques, liées notamment aux sanctions.
Par ailleurs, tout le monde se demandait ce que faisait le très souriant ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, interpellant du haut de son balcon les journalistes groupés à l'entrée de l'hôtel Cobourg où se déroulaient les négociations. Et où se trouvait son homologue américain, John Kerry ? Tout simplement, eux et les autres négociateurs (les 5+1), ayant achevé la rédaction de l'accord, avaient passé la main aux traducteurs et aux linguistes.
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Ces derniers ont planché sur les 80 pages plus les annexes du texte pour qu'il soit identique à la virgule près dans les langues suivantes : l'anglais, le farsi, le français, l'allemand, le russe et le chinois. Car chaque copie constitue le document officiel de cet accord sur lequel le président Obama a beaucoup travaillé, considérant que sa réussite serait la principale victoire de son mandat. Un défi réalisé après vingt mois de négociations.
Depuis quelques semaines aussi, la Maison-Blanche a étudié la possibilité que les chefs d'État des pays négociateurs assistent à la signature de l'accord à Vienne. Mais l'idée aurait été abandonnée : les Occidentaux ne voulaient pas donner au président russe, Vladimir Poutine, l'occasion d'une visibilité internationale. Et comme le temps n'est pas encore venu pour que le président Obama se rende en Iran et que le président iranien, Hassan Rouhani, se rende à Washington, les deux chefs d'État se sont mis d'accord pour faire chacun une déclaration après l'accord.
En attendant, depuis trois jours, Washington a donné au directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Yukiya Amano, la feuille de route de son travail d'inspection, agréée par tous et signée hier. Pour sa part, l'Iran aura entre les mains, dans environ deux mois, cent milliards de dollars qui étaient bloqués par les sanctions. De même que va être levé l'embargo sur la vente de son pétrole.
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Prix Nobel ?
On ne s'attendait pas, côté américain, que cet accord, tout historique qu'il soit, passe presque comme une lettre à la poste. Comme prévu, les critiques ont fusé dans le camp de l'aile dure républicaine, ennemie d'Obama, chez ceux engagés dans la campagne présidentielle et au sein du lobby – parallèle au traditionnel lobby juif – formé par le président israélien Benjamin Netanyahu. Comme on le sait, le Congrès américain dispose de 60 jours pour approuver ou pas l'accord signé avec l'Iran. John Boehner, président de la Chambre des représentants, a donné le ton en qualifiant tout de go ce traité d'« inadmissible ». Avant d'avoir eu en main le document, le leader de la majorité républicaine, Kevin McCarthy, avait exprimé son scepticisme le 1er juillet, dans un article qu'il avait signé dans le Washington Post, écrivant notamment que « le Congrès est prêt à se ranger aux côtés des fondements mêmes de la sécurité nationale et contre un mauvais accord ».
Selon la loi, le président Obama doit notifier le Congrès cinq jours après la signature de l'accord. Et il ne pourra lever les sanctions qu'après les 60 jours de débat prévus. Si le Congrès vote contre l'accord, les sanctions seront toujours en vigueur durant 12 jours pour permettre au président d'opposer son veto. À son tour, le Congrès aura 10 jours pour inverser le veto. Pour cela, il lui faudrait l'aval de 33 sénateurs démocrates et 44 membres démocrates de la Chambre des représentants qui devraient donc voter contre le président Obama. Ce qui est quasi impossible, sans compter qu'il y a des dizaines de républicains qui approuvent la réconciliation avec l'Iran.
Tout cela sans compter avec la détermination de Barack Obama, qui a martelé hier qu'il s'opposerait à toute législation qui tenterait d'entraver l'application de cet accord.
Un accord qui vaudrait bien, pensent certains, un Nobel de la paix au tandem Kerry-Zarif.
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« Il peut téléphoner à la fois à Dianne Feinestein et Hassan Nasrallah »
Robin Wright, la journaliste et auteure américaine spécialisée dans les affaires étrangères US, a tracé un excellent portrait, de 18 pages, « du si affable et souriant » ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, « qui peut à la fois téléphoner à Dianne Feinestein (la sénatrice de la Californie) et Hassan Nasrallah (le secrétaire général du Hezbollah) ». Elle y relate, entre autres, que Zarif a rencontré Hassan Nasrallah au Liban, en janvier 2014. Elle précise : « Il avait déposé une couronne de fleurs sur la tombe de Imad Moghnié qui était associé à l'attentat perpétué en 1983 contre l'ambassade US à Beyrouth. » M. Zarif lui avait dit : « Pour engager le dialogue, vous devez être capable de mettre de côté vos suppositions et essayer d'écouter plus que de parler. Ce n'est pas toujours politiquement correct de le faire, mais cela vous donne une meilleure compréhension de la réalité. J'ai beaucoup profité du savoir des autres, ceux avec lesquels j'étais d'accord ou pas. Cela ne veut pas dire que je ne peux pas écouter ceux avec lesquels je ne suis pas d'accord. »
D'une autre source, on apprend que Mohammad Javad Zarif avait emmené avec lui à Vienne son épouse Maryam. Il lui avait fait faire la connaissance uniquement de l'entourage féminin des personnalités présentes.
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Un « triomphe », une « débâcle » ou un « succès diplomatique » ?
Après tout ..., c'est normal -l'anglais - est une langue internationale...
10 h 15, le 15 juillet 2015