Le 24 novembre 2013, un accord intérimaire était conclu entre le groupe P5+1 et l'Iran pour lancer les négociations sur le programme nucléaire iranien. La colère des Saoudiens offrait à l'époque un contraste saisissant avec l'accueil conciliant réservé par les autres pays membres du CCG affectionnant le pragmatisme chaque fois qu'il s'est agi de contrecarrer les ambitions hégémoniques de leur chef de file.
Hier, la fin de la stratégie de containement de l'Iran a été annoncée. Tout au long des discussions, les mises en garde alarmistes de l'Arabie saoudite n'ont cessé de se faire entendre. Les Saoudiens ont accentué la pression sur les négociateurs pour éviter un « mauvais accord » qui permettrait à l'Iran de se doter d'un arsenal nucléaire à des fins militaires. Ces manœuvres ont fini par payer puisque l'accord a été obtenu au prix de concessions importantes et avec des garanties qui excluent toute possibilité de constitution d'un arsenal militaire.
Mais dans un contexte de refroidissement des relations entre les États-Unis et leurs alliés, la question des retombées sur une relation empreinte de contradictions reste en suspens. Depuis 2011, le contentieux n'a cessé de se creuser : les Américains, en désertant le front et en observant la chute de leurs anciens alliés, ont suscité la défiance saoudienne ; le soutien aux Frères musulmans en Égypte et le rapprochement entamé avec l'Iran en 2013 achèveront de renforcer les craintes de Riyad quant à la fiabilité de son partenaire historique. Pour autant, il est difficile d'imaginer que ce début de normalisation avec l'Iran puisse remettre en cause la relation instituée par le pacte du Quincy (entre Franklin Roosevelt et le roi Abdel Aziz).
La configuration actuelle rappelle le jeu américain entre l'Inde et le Pakistan. D'abord allié du Pakistan, face à l'Inde admise pour un « ennemi » commun, l'intérêt de Washington pour une coopération économique et diplomatique avec l'Inde a favorisé in fine un rapprochement avec New Delhi, dans une perspective d'endiguement de la Chine. La convergence des intérêts régionaux a directement influencé le repositionnement américain et rapproché les deux pays. Cependant, dans le cas de l'Iran, il y a encore du chemin à parcourir. Et un long. Un début de normalisation ne signifie pas pour autant une alliance forte. Ainsi selon Fouad al-Ibrahimi, chercheur sur l'Arabie saoudite et militant politique, « si l'administration Obama a pris une série de décisions depuis 2013, comme le refus de mener une offensive contre le régime de Bachar el-Assad, qui ont détérioré les relations diplomatiques avec l'Arabie saoudite, rien ne peut compromettre la relation historique instituée par le pacte du Quincy, un pacte stratégique fondamental et structurant. Ce à quoi nous assistons n'est qu'un dégel des relations, mais pas une normalisation ».
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Agitation systématique
Riyad, militairement faible, reste dépendant des États-Unis pour ses besoins sécuritaires et la protection de son territoire. Les démonstrations de mécontentement côté saoudien ne signifient pas la remise en cause d'une relation dont dépend la survie même du royaume. L'accord sur le nucléaire pourrait néanmoins offrir des possibilités de convergences et une ébauche de nouvelles politiques de coopération possibles, mais qui seraient limitées dans le temps. Les États-Unis ont d'ailleurs montré leur capacité à s'adapter rapidement au changement, face à l'échec de l'armée nationale irakienne qu'ils avaient formée et entraînée et suite à la débandade du 17 mai à Ramadi, en finissant par lever l'interdiction sur l'envoi de milices chiites dans la province d'al-Anbar. Le soutien américain au gouvernement irakien et aux milices chiites, en Irak, dans leur confrontation avec l'État islamique, n'affectera pas davantage le soutien aux tribus sunnites, en vue d'en faire une force autonome susceptible de contrecarrer la montée en puissance de l'influence iranienne.
En théorie, les concessions faites par l'Iran et la mise sous tutelle de son programme nucléaire devraient rassurer Riyad. Mais dans les faits, la rhétorique autour de la menace iranienne et le discours sur le danger permanent semblent les seuls moyens de renouveler une légitimité érodée, l'agitation systématique de la menace extérieure permettant de resserrer les rangs. Hier, un porte-parole officiel de l'Arabie saoudite a annoncé que le royaume entendait bâtir de « meilleures relations » avec l'Iran, après la conclusion d'un accord sur le dossier nucléaire, si toutefois Téhéran n'interfère pas dans les affaires du Moyen-Orient. Mais cette déclaration ne doit pour autant pas faire oublier la défiance fondamentale à l'égard de Téhéran accusé de mettre en place une stratégie d'encerclement et de menacer la sécurité de l'Arabie saoudite.
La décision de lancer une offensive au Yémen pour stopper les houthis en est un exemple révélateur. Une autre approche aurait pu être adoptée dans un contexte où l'Iran recherchait sans succès un modus vivendi depuis plusieurs années avec l'Arabie saoudite. Ce ne sont donc pas uniquement les considérations géopolitiques qui priment ici, mais également les préoccupations politiques d'ordre intérieur. Pour Fouad al-Ibrahimi, « les Saoudiens doivent être plus réalistes, le fait de se construire un ennemi sur la base d'une logique sectaire ne tiendra pas ».
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Sur le navire de guerre US
Le pacte du Quincy a été scellé, en février 1945, sur le navire de guerre américain du même nom, entre le roi Abdelaziz ben Abderrahmane al-Saoud, fondateur du royaume, et le président américain Franklin Roosevelt. Il énonce que la sécurité de l'Arabie saoudite compte parmis les « intérêts vitaux » des États-Unis qui assurent la protection inconditionnelle du royaume contre toute menace extérieure. En contrepartie, l'Arabie saoudite est le pourvoyeur de ressources énergétiques pour les Américains. Les autres dispositions portent sur la coopération économique et financière saoudo-américaine ainsi que la non-ingérence politique américaine dans les affaires intérieures du royaume. Pour ses détracteurs antiaméricains dans le monde arabe, le Pacte du Quincy est l'exemple type d'un partenariat entre une république impériale et une dynastie qui se veut gardienne du puritanisme islamique et se présente comme une des théocraties les plus rigoristes du monde.
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15 h 09, le 15 juillet 2015