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Liban - Interview

Angelina Eichhorst : Il faut préserver la cohésion du Liban et ne pas jouer avec le feu

C'est avec beaucoup d'émotion qu'Angelina Eichhorst se prépare à quitter le Liban. Elle prendra l'avion demain, dimanche, avec sa famille pour Bruxelles au terme d'un mandat qui au duré « 53 mois », précise-t-elle. Son mandat n'était pas des plus faciles, avec 411 jours de vacance à la présidence de la République et 17 mois d'absence de gouvernement. L'instabilité dans la région à partir de 2011, notamment avec la guerre en Syrie, n'a pas non plus rendu les choses aisées.

Angelina Eichhorst n'a pas seulement œuvré à renforcer les liens entre l'Europe et le Liban, elle a surtout aimé profondément le pays du Cèdre. Elle garde à son départ l'espoir en un Liban qui connaîtra des jours meilleurs.
« Ce qui compte aujourd'hui c'est de préserver la cohésion du Liban, souligne-t-elle d'emblée. Il faut de la sagesse et de la patience pour contenir la situation et il ne faut pas jouer avec le feu », dit-elle, estimant que « tous les leaders libanais mesurent jusqu'à présent le danger de jouer avec le feu ». Elle avoue « garder l'espoir, parce que le Liban a pu résister et préserver sa stabilité jusqu'à aujourd'hui malgré la situation dans la région ». « Nous sommes à un stade où l'on ne peut rien prévoir, relève-t-elle. Personne n'aurait imaginé il y a quatre ans que la situation serait comme elle l'est actuellement en Syrie. Tout est désormais imprévisible et c'est là où la diplomatie et la politique sont devenues imprévisibles », poursuit-elle.

Concernant ce qui se passe au Liban, dans la région et en Europe, Mme Eichhorst dénonce « le populisme où l'on lance des slogans » en refusant les solutions préconisées tout en ne présentant aucune alternative. « On ne peut pas faire de la politique sans vouloir assumer la responsabilité des citoyens, déclare-t-elle. Les hommes politiques ont le devoir de prendre soin des citoyens. Le Premier ministre Tammam Salam sent franchement qu'il a le devoir de s'occuper de tous les Libanais. »
« Il faut que le pays continue de fonctionner, et cela est impossible sans les institutions, ajoute Mme Eichhorst. Il est nécessaire que les citoyens soient une priorité. Il faut que l'Europe continue à aider à la construction d'un État moderne, d'un État civil. C'est pour cela que j'espère que l'Union européenne restera forte au Liban. Il est nécessaire aussi que les institutions libanaises ne faiblissent pas. »


(Lire aussi : « L'UE intensifie sa coordination avec les États de la région contre le terrorisme »)

 

Citoyenneté et État de droit
Mme Eichhorst souligne dans ce cadre l'importance de la citoyenneté, qui englobe notamment la gouvernance et l'État de droit. « C'est en garantissant les droits du citoyen, à travers un bon système judiciaire, que l'on édifie un État où l'on peut parvenir à un changement », dit-elle.
Elle aurait aimé œuvrer davantage lors de son mandat sur la coopération juridique entre l'Union européenne et le Liban, mais la crise syrienne a mis en avant d'autres priorités, sans pour autant que le dossier de la réforme du système judiciaire ne soit délaissé. La coopération en matière de réforme juridique et de gouvernance entre l'Europe et le Liban avait été entamée en 2004.

Elle lance une idée : « Pour protéger le Liban, il faut qu'il devienne un bien public, "a global good", comme on dit en anglais. La communauté internationale peut intervenir dans ce cadre, la diaspora libanaise aussi. Mais c'est surtout aux Libanais eux-mêmes et à leurs leaders à l'intérieur du pays à œuvrer sur ce plan. Le problème réside au sein du pays lui-même. Au Liban, il n'y a jamais eu une rupture de dialogue entre les parties, tout le monde gardant une porte ouverte au dialogue, parce que les Libanais en ont besoin. La formule des trois tiers est bonne. Chacun a besoin de l'autre, mais en même temps tout le monde peut bloquer l'autre », poursuit-elle.
Elle souligne l'importance dans ce cadre d'un « bon fonctionnement des institutions sans que les Libanais se bloquent entre eux ». « Il faut créer toujours un moyen pour empêcher que le pays soit paralysé », souligne-t-elle.

La tâche semble bien difficile dans ce cadre. L'Europe a-t-elle aidé les Libanais dans ce sens ?
« Nous avons mis en place des moyens et des outils qui nous donnent l'opportunité de nous engager avec tout le monde, indique-t-elle. C'est à travers les projets et les programmes que toutes les portes sont ouvertes. Mais il faut un plus grand engagement politique. Il faudra surtout encourager les Libanais à travailler ensemble, cela ne se passe pas à travers la pression. Il faudra trouver d'autres moyens. »
Malheureusement, l'Europe n'a pas encore trouvé le ciment nécessaire pour que toutes les parties libanaises soient engagées à œuvrer ensemble. Il faudra peut-être qu'elles réalisent l'ampleur des conséquences d'un échec sur ce plan...
Mme Eichhorst note qu'en « Europe, au Liban et partout ailleurs, il existe actuellement des personnes déconnectées du système politique et social. Il faudra demander l'avis de ces personnes pour les engager peut-être à changer les choses ».
Et d'ajouter : « D'une manière ou d'une autre, tous les projets que l'Europe a financés au Liban sont directement ou indirectement liés à l'importance de la citoyenneté et au changement social. Le projet européen est pacifique. À travers les grandes et les petites actions que nous avons menées et financées, nous avons pu créer des opportunités et nous avons réussi à modifier des situations, notamment sur le plan de l'emploi, des finances, de l'agriculture, de l'éducation, de l'infrastructure... », déclare-t-elle.


(Lire aussi : La révision de la Politique européenne de voisinage est passée par le Liban)

 

L'élection présidentielle
Avouant qu'elle aurait aimé travailler davantage sur les projets relatifs à la réforme du système judiciaire, la chef de la Délégation de l'Union européenne au Liban note que « les projets de l'Union européenne sont complémentaires », et au cours de son mandat, un travail profond a abordé le dossier de la sécurité au Liban. « Les projets ont englobé l'armée, la Sûreté générale, les FSI, et cela en gardant à l'esprit la dignité et les droits humains ainsi que la mise en place d'un État de droit », souligne-t-elle.
En réponse à une question relative à la torture qui prévaut dans les prisons libanaises, Mme Eichhorst déclare : « Je ne justifie pas des actes contre la loi et contre l'humanité, mais on ne peut pas changer le système du jour au lendemain. »

Invitée à imaginer le Liban dans dix ans, elle indique : « On aura bien travaillé sur l'entente arabo-iranienne, on aura trouvé une formule pour régler le grand problème en Syrie et en Irak ; et dans dix ans aussi, le Liban aura eu deux présidents et pas un. » Et de poursuivre : « Par ordre de priorité, le Liban a besoin maintenant d'un président de la République, d'un changement de gouvernement suite à cette élection, d'une nouvelle loi électorale, de l'élection d'un nouveau Parlement, et le reste sera une affaire simple. »
Mme Eichhorst met l'accent dans ce contexte sur la nécessité de « préserver les institutions démocratiques pour protéger la démocratie dans le pays et pouvoir ainsi générer un changement ». « La démocratie est dure, mais il n'y a rien qui puisse la remplacer », souligne-t-elle en conclusion.

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« Le Liban, un pays qu'il faut goûter »

Le conseil que vous donnerez à votre successeur au Liban ?
Gardez la confiance en chaque partenaire en encourageant les possibilités que l'on pourrait exploiter ensemble. Restons ouverts à tout le monde. Gardez l'espoir qu'au Liban ça peut toujours aller mieux.

Qu'est-ce qui vous manquera le plus ?
Le jardin de la Résidence (éclats de rire). Le rythme formidable et rapide du travail et de la vie au Liban. Tous les jours, chaque conversation avec chaque personne était extrêmement utile, enrichissante intellectuellement. La diversité me manquera énormément. Et ceci ne s'applique pas uniquement à la religion. Vous êtes très divers et vous laissez l'espace social à l'autre. Au Liban, tout est possible.

Votre plus mauvais souvenir ?
Les moments graves qui mettaient la sécurité du pays en danger. Ce n'était pas la guerre civile, mais nous avons vécu des attentats et des combats non seulement à Beyrouth mais aussi à Tripoli, Saïda et Ersal.

Votre plus beau souvenir?
Découvrir Baalbeck. Je pourrais passer trois jours seule là-bas et en sortir complètement renouvelée. À chaque fois que j'y vais, j'ai toujours la même impression. Tout est très beau au Liban. Géographiquement, je me sens très bien partout. C'est un pays avec la mer et la montagne.

Quelques phrases pour définir le Liban à vos collègues une fois de retour à Bruxelles.
J'ai mille phrases en tête. Je pense que je leur dirai qu' « au Liban, chacun peut trouver ce qu'il cherche, quels que soient ses origines, son pays, son background, sa religion, ses centres d'intérêt... ». C'est pour cela que j'inviterai tous les Européens à venir au Liban. Ils doivent goûter au Liban. Le Liban est un pays qui se goûte.

Qu'emportez-vous dans votre valise ?
Ma fille a mis dans sa valise vingt livres du Liban, même si c'est trop lourd. Elle m'a dit : « J'ai besoin de tout prendre. »
Je pense que les plus belles choses que j'emporterai avec moi sont les lettres personnelles manuscrites très touchantes que j'ai reçues de nombreuses personnalités.
Il y a aussi les photos, la musique... Je suis arrivée en étant fan de Feyrouz et je pars en l'appréciant encore plus. Désormais, je peux lier ses chansons au pays et à mon expérience du Liban. Maintenant, c'est une partie de moi-même qui est là-dedans. Pour moi (mariée à un ressortissant égyptien), je ne demande pas plus qu'un mélange entre le Liban et l'Égypte. Et je compte revenir en vacances très souvent ici.

En quoi votre mandat au Liban a été important pour votre carrière de diplomate ?
Le Liban est très complexe et l'on m'avait dit « si on réussit à bien gérer le mandat dans un pays comme le Liban, on pourra réussir ailleurs ». Certainement, c'est un pays très complexe pour la diplomatie.
Le Liban a un secret, chaque ambassadeur qui quitte le pays part avec les larmes aux yeux. C'est parce que vous offrez des choses que les étrangers ne trouvent pas chez eux. Vous avez un mélange de cultures, de religions, de liens avec l'étranger, de centres d'intérêt... Et aussi, sur le plan géographique, sur une toute petite superficie, vous avez la mer et la montagne.

 

Le budget de l'Union européenne au Liban

L'Union européenne, ses États membres et la Banque européenne d'investissement (BEI) consacrent actuellement un budget total de plus de 2,2 milliards € d'appui au Liban, dont environ 1,3 milliard € de dons et 0,9 milliard € de prêts. Chaque année, l'UE alloue environ 220 millions d'euros au Liban (50 millions € de la Commission européenne, 50 millions € des États membres et 120 millions € sous forme de prêts de la BEI).
Les montants engagés actuellement par l'UE pour le Liban s'élèvent à 712 millions €, dont 309 millions € pour des opérations qui sont en cours (320).
Les 309 millions € sont répartis comme suit :
Réforme administrative : 9 millions € ; agriculture, reconstruction et environnement : 31 millions € ; déminage et réforme du secteur sécuritaire : 18,5 millions € ; gouvernance démocratique et droits de l'homme : 12 millions € ; finances et développement économique : 25 millions €; développement humain et éducation : 11 millions € ; justice, paix et réconciliation : 6,6 millions € ; développement régional (municipalités) : 51 millions €; réfugiés palestiniens : 53,5 millions € ; réfugiés syriens : 91 millions € ; activités culturelles et appui aux programmes : 0,4 million €.
« Les fonds que l'Union européenne consacre au Liban ne se sont pas transformés en aides aux réfugiés syriens », souligne la chef de délégation de la Commission européenne au Liban, Angelina Eichhorst. « Avant la crise syrienne, l'aide européenne allait directement à l'État et au peuple libanais. D'aucuns ont l'impression aujourd'hui que tout va entièrement aux réfugiés. Ceci est totalement faux. Nous avons réussi à tripler l'aide au Liban, moins que la moitié va indirectement aux réfugiés et plus que la moitié continue d'aller au Liban et aux Libanais », note-t-elle.

 

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