La politique interne est quasi inexistante actuellement. Le Conseil des ministres, qui doit se réunir jeudi prochain, n'est pas sûr d'assurer la continuité de son action.
Les revendications au nom des « droits des chrétiens », qui seraient bafoués entre autres par le mécanisme de prise de décision au sein de l'exécutif, seront portées à la rue, à l'incitation du chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, possiblement dès aujourd'hui. L'escalade doit progressivement avoir lieu au fur et à mesure que se rapproche la date de la prochaine réunion ministérielle, assure une source aouniste, citée par l'agence d'informations al-Markaziya. « Le jeudi sera une journée décisive », selon cette source, et une possible « intifada chrétienne globale » s'annonce. À cette fin, « tous les scénarios sont envisageables, y compris le blocage des routes », poursuit la source, qui assure que « des coups qualitatifs seront portés, qui surprendront tout le monde, surtout ceux qui parient sur l'incapacité du Courant patriotique libre (CPL) à réunir une foule suffisante ».
La situation est donc suspendue à l'éventualité de cette « insurrection pour le recouvrement des droits ». Et cette attente se teinte parfois de pessimisme, dans les milieux politiques, lié non seulement à la crainte de l'inconnu, mais aux aléas que le scénario de l'absurde pourrait réserver au pays. Même si les opposants au CPL y voient « une démarche stérile », ou « le dernier coup avant la faillite politique du CPL ». Et même si le Hezbollah aurait déjà signifié à son allié chrétien, dont il soutient officiellement les revendications, que la stabilité du pays est une ligne rouge à ne pas franchir.
Plusieurs interrogations se dégagent en effet du plaidoyer aouniste. Le programme d'action n'est pas précisé et les moyens de recouvrer les « droits chrétiens » restent incertains. Seuls des slogans ou idées se dégagent en bribes disparates de ce que pourrait être la ligne directrice de cette action. Le général Aoun conteste « l'abstention des parties à élire un président qui représente » les chrétiens. Il occulte néanmoins la polémique entourant le texte constitutionnel, sur les mécanismes de la présidentielle, sachant que c'est cette même polémique qui lui a donné un prétexte pour bloquer l'élection, à défaut de pouvoir la remporter.
Il se tourne plutôt vers l'idée d'un sondage des chrétiens sur leur préférence de l'un ou l'autre des deux leaders chrétiens de poids, à savoir le général Michel Aoun et le président des Forces libanaises, Samir Geagea. Le but est d'affirmer, au niveau populaire, l'identité du leader chrétien qui détiendrait, à l'instar des leaders respectifs des autres communautés, le monopole de la représentation des chrétiens. Un monopole que devrait couronner son élection à la magistrature suprême.
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Cette initiative de sondage souffre de plusieurs imperfections : sélectivité des candidats « présidentiables » ; prétention à combler de soi-disant failles constitutionnelles par un mécanisme extra-institutionnel, issu d'une initiative unilatérale ; sans compter que pour motiver son sondage, le CPL se prévoit de sa propre turpitude... Ce qui compte est moins ces imperfections en soi, que ce qu'elles dénotent : le sondage en soi n'est pas le but du CPL et le discours sur « un soulèvement collectif » chrétien est profondément individualiste. Il cache même une volonté manifeste de népotisme.
La preuve en est le blocage actuel de l'exécutif. La condition que les ministres aounistes exigent pour participer à la prise de décision ministérielle, à savoir l'examen prioritaire des nominations sécuritaires à l'ordre du jour, est justifiée par le fait que les droits du camp aouniste sont spoliés, et, par extension, les droits de la communauté chrétienne. L'initiative du sondage proposé par le CPL pour contribuer à débloquer l'élection présidentielle est défendue par le camp aouniste comme nécessaire pour déterminer qui est le plus représentatif au niveau chrétien. Or, paradoxalement, au niveau du gouvernement, le CPL agit comme s'il avait d'ores et déjà tranché la question de savoir qui représente les droits des chrétiens, au point de les appeler à descendre dans la rue.
À cette contradiction, s'ajoute une autre faille : l'appel à rendre aux chrétiens leur rôle au sein de l'exécutif est restreint au mécanisme actuel de prise de décision, consenti par toutes les parties au sein du cabinet. Si ce que conteste le CPL est le mécanisme en soi, il est impossible d'obtenir une réforme durable dans le sens escompté de la protection des droits des chrétiens, le mécanisme contesté étant circonstanciel et issu d'une interprétation, elle-même discutable, des textes.
Attaquer une solution circonstancielle, convenue pour assurer une marche a minima des institutions, en une période exceptionnelle, non prévue par la Constitution, c'est contester, en réalité, l'entente politique sur ce mécanisme dit de « l'unanimité ».
C'est ce qui explique le peu d'attention prêtée aux détails dans l'exposé des revendications aounistes, qui revêtent, dès lors, non pas un aspect réformateur, mais celui d'un acte de défiance (l'appel lancé sporadiquement par le général Michel Aoun à établir le fédéralisme – vaste projet réduit ainsi à un slogan – ne va-t-il pas dans ce sens ?). Un acte de défiance individuel qui cherche une couverture de masse.
Le courant du Futur, que le CPL place dans son collimateur comme principal pourfendeur des droits des chrétiens, préconise une gestion diamétralement opposée de la rue sunnite. L'éditorial du journal télévisé de la OTV, avant-hier soir, est révélateur de ce clivage : le courant du Futur y est accusé de « massacrer politiquement ses alliés (chrétiens) et de violer leurs droits », et d'agir, en somme, « comme l'État islamique dans l'émirat haririen ». En réponse à ces propos, le député Ahmad Fatfat s'est désolé hier de « ces propos daechistes, obéissant à la même logique d'élimination que celle du Hezbollah ».
Se positionnant comme courant modéré, le courant du Futur se doit de contrer les courants de radicalisation de sa rue. Ce « containment », souvent peu populaire, a fait l'objet des échanges, à Djeddah, entre des responsables du courant du Futur, réunis par l'ancien Premier ministre, Saad Hariri, à son domicile, selon la tradition de l'iftar annuel. L'affaire de la torture à Roumieh a été évoquée sous l'angle du nécessaire apaisement de la rue tripolitaine, un apaisement réussi, selon le député Ahmad Fatfat. Il reste à suivre les répercussions possibles de l'acte d'accusation émis hier par le juge d'instruction militaire, Riad Abou Ghida, dont font l'objet, à titre individuel, trois agents des FSI.
Il semble, contre toute attente, que le président de la Chambre, Nabih Berry, multiplie activement ses contacts avec Rabieh. Non seulement est-il confiant que « le général Michel Aoun veillera à ne pas ébranler la stabilité du pays », selon des sources proches de Aïn el-Tiné, mais il est conscient du scénario qui se dessine pour le Liban à la suite des développements régionaux. Se démarquer du Hezbollah, pense-t-il, est un moyen de prévenir les répercussions éventuelles de la guerre syrienne sur la communauté chiite. Tout comme les contacts qu'il mène avec Rabieh se fondent sur une certitude d'avenir : le général Michel Aoun ne sera pas président de la République et le recours à la rue est l'ultime moyen pour le chef du CPL de monopoliser l'attention.
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commentaires (10)
Etre chrétien me fait honte!!!!
Beauchard Jacques
12 h 31, le 07 juillet 2015