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Liban - Débat à trois voix entre Rony Araiji, Ziyad Baroud et Samir Frangié

Face aux appartenances conflictuelles, comment l’identité peut-elle être fédératrice ?

L’ancien ministre Ziyad Baroud, le ministre de la Culture, Rony Araiji, et l’ancien député Samir Frangié animant la table ronde autour de l’identité fédératrice, mercredi à l’USJ. Photo OLJ

À l'ombre des appartenances diverses, voire plurielles, présentant une dimension conflictuelle, comment les composantes de la citoyenneté pourraient-elles devenir une identité fédératrice? C'est à cette question que le ministre de la Culture, Rony Araiji, l'ancien ministre Ziyad Baroud et l'ancien député Samir Frangié ont tenté de répondre au cours d'une table ronde organisée au campus de l'innovation et du sport de l'Université Saint-Joseph, rue de Damas, pour la seconde édition du cycle de conférences-débats de la « Troisième Voix pour le Liban », un groupe de réflexion issu de la société civile.

Dans son allocution, l'ancien député Samir Frangié a mis face à face deux approches : l'une qui considère que l'identité n'a qu'une seule dimension et l'autre qu'elle est plurielle, complexe.
Deux camps sont partisans de la première théorie : le premier de ces camps résume l'homme à sa communauté et la communauté à un parti qui prétend la représenter ; et le second résume l'homme à un peuple et le peuple à un parti politique, lequel, à son tour, se résume à un chef.
Pour le premier camp, la politique se résume à un conflit à deux niveaux : au sein de chaque communauté, afin de choisir son représentant au niveau de l'État ; et entre les chefs des communautés, pour déterminer la part de chacune au sein du pouvoir. L'histoire nationale est ainsi réduite à des conflits récurrents sous le slogan du « droit » des communautés, sans aucune considération pour le droit des citoyens-individus. Au sein du second camp, la politique est incarnée par le système du parti unique, qui n'admet aucun partage ou opposition, et annule ainsi le passé et l'avenir afin de protéger « son présent », souligne Samir Frangié.
« La seconde approche, qui considère que l'identité de l'homme au Liban est une identité complexe qui englobe plusieurs appartenances, sous-entend une politique fondée sur la diversité, essence même de l'expérience libanaise du vivre-ensemble », ajoute l'ancien député. Selon lui, ce vivre-ensemble commence par une vie harmonieuse entre les différentes appartenances de l'homme jusqu'à déboucher sur un vivre-ensemble avec l'autre, différent. « L'accord de Taëf s'est basé sur cette vison de l'identité en liant la légitimité de l'État à sa capacité de protéger ce vivre-ensemble, qui représente la base du contrat social », relève Samir Frangié.

Vers un vivre-ensemble entre les individus
Pour Samir Frangié, l'accord de Taëf a mis un terme à l'idée d'un contrat conclu entre les communautés, dans le sens d'un nouveau pacte, entre les individus cette fois : en annulant, d'abord, le critère démographique du nombre, utilisé comme arme dans le conflit communautaire, et en consacrant, ensuite, la parité entre chrétiens et musulmans au sein du pouvoir. « Cela permet, dans une première étape, d'apaiser les communautés après la guerre civile et, dans une seconde étape, de supprimer le critère confessionnel qui entrave l'action étatique et nuit au vivre-ensemble, tout en créant un Sénat pour représenter les communautés », note-t-il.
Ainsi, selon lui, le poids démographique ou l'alliance avec une force étrangère pour pallier une situation d'infériorité numérique n'est plus nécessaire pour modifier la part d'une communauté au sein du pouvoir, et l'utilisation du terme « minorités » n'a plus sa raison d'être.
« L'accord de Taëf libère les Libanais du complexe de la peur de l'autre. L'autre devient ainsi un partenaire incontournable qui nous complète, et non un adversaire auquel il faudrait s'opposer continuellement », souligne Samir Frangié, estimant que la suppression de ces obstacles pavera la voie à un État laïc.
Selon l'ancien député, le processus de construction d'une identité plurielle requiert deux éléments :
- Œuvrer pour la revalorisation de l'exemple du vivre-ensemble libanais, en mettant en exergue l'unicité de cette expérience à travers le monde pour ce qui a trait au partenariat entre chrétiens et musulmans au niveau de la gestion de l'État, sans compter la particularité de cet exemple libanais dans le monde musulman pour ce qui a trait au partenariat sunnito-chiite au sein du pouvoir. « La réalité de l'expérience libanaise est un exemple d'absorption des tensions religieuses et confessionnelles dans cette phase critique, dominée par l'extrémisme violent au Moyen-Orient », affirme Samir Frangié.
- « Revaloriser la politique, en la présentant comme une mission noble au service de l'homme et non comme elle l'est actuellement : un simple conflit intercommunautaire pour la prise du pouvoir, qui a entraîné le pays dans une situation de guerre presque permanente et a provoqué une ingérence des forces externes dans les affaires internes de l'État », explique-t-il.
« Cette revalorisation passe par le remplacement du clivage communautaire dans la lutte politique par une autre forme de clivage à caractère moral, basé sur la remise en question de soi et la purification de la mémoire », ajoute Samir Frangié.

Rony Araiji
De son côté, le ministre Rony Araiji a souligné d'emblée que « la citoyenneté est liée d'une manière concomitante à la pratique démocratique, en tant que lien juridique qui lie le citoyen à son État ». « La véritable citoyenneté, a relevé M. Araiji, est l'expression pratique d'une histoire commune visant à édifier une mémoire nationale axée sur l'avenir et fondée par une volonté générale. »
Après avoir déploré la crise sectaire qui secoue le monde arabe, M. Araiji a déclaré que « si l'État civil démocratique constitue un objectif noble auquel nous aspirons pour former une véritable citoyenneté, force est de relever que la période noire qui frappe les pays arabes et qui ébranle notre société libanaise nous pousse à opter pour des issues rationnelles ». M. Araiji a souligné dans ce cadre que la citoyenneté s'apprend « dans le cadre familial et à l'école après une réforme des cursus scolaires, ainsi que dans les universités, en insistant sur une éducation civique et sur le rôle des partis politiques dans la vie publique ».
Pour M. Araiji, la culture joue un rôle primordial dans le développement de la citoyenneté fédératrice, et ce en ravivant la mémoire culturelle, en médiatisant la culture libanaise, en encourageant l'art sous toutes ses formes, en assurant un environnement propice à l'épanouissement des clubs culturels et en créant des espaces de débat à l'intention des différents rassemblements de la société civile.
Et le ministre de conclure : « La culture constitue un dénominateur commun à toutes les composantes du pays, elle fait prévaloir le dialogue comme moyen de communication sur le recours aux armes et prône l'épanouissement de l'humanité au sein de chaque citoyen qui est appelé aujourd'hui à être un citoyen du monde, dépassant les limites de la géographie de son pays dans un contexte de mondialisation. »

Ziyad Baroud
Pour sa part, évoquant les apports d'Amin Maalouf, de Michel Chiha et d'Antoun Saadé à la problématique, l'ancien ministre Ziyad Baroud a estimé que les composantes de la citoyenneté « passent obligatoirement par le respect des droits constitutionnels, et des libertés publiques et individuelles, aussi nombreuses que soient les appartenances et en dépit de leur caractère conflictuel ».
M. Baroud a ajouté que la véritable gestion des appartenances plurielles devrait se faire par le biais d'une nouvelle loi électorale qui assure la représentativité de toutes les factions non représentées actuellement, faute de lois adaptées, comme c'est le cas pour les femmes, les jeunes et les minorités politiques.
« Il est demandé aujourd'hui de consolider la participation entre les Libanais, de les convaincre que l'identité plurielle est bénéfique à chacun d'entre eux et que leur unité ne supprime en rien leur pluralité ou leurs différentes appartenances », a encore souligné Ziyad Baroud.

À l'ombre des appartenances diverses, voire plurielles, présentant une dimension conflictuelle, comment les composantes de la citoyenneté pourraient-elles devenir une identité fédératrice? C'est à cette question que le ministre de la Culture, Rony Araiji, l'ancien ministre Ziyad Baroud et l'ancien député Samir Frangié ont tenté de répondre au cours d'une table ronde organisée au...

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