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Moyen Orient et Monde - commentaire

Le Joseph Goebbels du Kremlin

Vladislav Sourkov en compagnie de Vladimir Poutine. Sourkov, officiellement conseiller de Poutine pour les affaires étrangères, est en réalité le propagandiste en chef du régime : le Joseph Goebbels du Kremlin, en quelque sorte...

En Russie soviétique, tout le monde se savait surveillé. Toute déviance par rapport au comportement reconnu par les autorités était considérée comme suspecte et était la plupart du temps punie. L'État soviétique se considérait en guerre contre à peu près tout : les espions étrangers, les ennemis de classe, les personnes qui portaient des blue jeans ou qui jouaient du jazz. L'idéologie dominante du régime n'était pas le marxisme-léninisme, mais le soupçon et l'animosité. Jamais depuis le début des années 1980, avant que les premiers rayons de la glasnost ne frappent la Russie, ces périodes obscures n'ont semblé aussi proches qu'à présent. Protéger la société contre les ennemis étrangers et nationaux est de nouveau à l'ordre du jour. Un esprit de vigilance perpétuelle est en effet crucial pour maintenir une forte approbation populaire en faveur du président Vladimir Poutine. Et personne ne joue un rôle plus important dans la création d'un tel climat public que Vladislav Sourkov.

Ancien chef d'état-major de Poutine, Sourkov a été vice-Premier ministre de 2011 à 2013. Officiellement, il conseille à présent Poutine sur les affaires étrangères, mais il est réellement le propagandiste en chef du régime. On lui doit l'introduction de la notion de « démocratie souveraine » en Russie et il a joué un rôle de premier plan pour encourager la sécession de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud en Géorgie. Plus récemment, il a été le maître d'œuvre de l'invasion de l'Ukraine et de l'annexion de la Crimée par la Russie, en inspirant des campagnes médiatiques fébriles qui ont fourni un soutien public quasi total à ces coups.
Sourkov est le premier responsable de la consolidation du sentiment pro-Poutine, qui ressemble de plus en plus à un culte de la personnalité de type stalinien. Sourkov est d'origine tchétchène, il est également imprégné, comme Staline, d'une mentalité de va-t-en-guerre du Caucase. Sous sa coupe, le point central de la stratégie de communication du Kremlin a consisté à maintenir la représentation selon laquelle l'Occident cherche à détruire la Russie. Ainsi, le conflit en Ukraine a-t-il été défini comme une lutte renouvelée contre le fascisme et donc favorable à la défense de la véritable identité anti-occidentale de la Russie. La prétendue menace contre la Russie actuelle a été mise en exergue lors du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec des affiches qui ont surgi jusque dans Moscou pour rappeler aux Russes les sacrifices que la victoire a exigés.

Comme le propagandiste nazi Joseph Goebbels, Sourkov ne se soucie pas beaucoup des faits. Les émotions sont au cœur du message du Kremlin. Elles sont le lien qui unit Poutine à ses sujets. Voilà pourquoi Sourkov dépeint Poutine (qui a récemment divorcé de son épouse depuis 30 ans et dont on prétend qu'il a fait plusieurs enfants à une ancienne gymnaste olympique) comme un avatar des valeurs conservatrices, avec le patriarche orthodoxe constamment à ses côtés. La campagne du Kremlin contre les droits des homosexuels a obtenu le soutien de l'Église, tout en rappelant aux Russes ordinaires que l'État attache un intérêt bienveillant à leur vie.
La propagande russe actuelle combine le plus pur style autoritaire soviétique à une technique dernier cri. Il n'y a pas eu de purges massives et peu de grands rassemblements. Les valeurs occidentales peuvent faire l'objet d'attaques, mais les marchandises occidentales sont les bienvenues. Il est courant de voir en Russie une voiture neuve de fabrication allemande, qui porte un autocollant sur son pare-chocs, faisant l'éloge des gloires de la Seconde Guerre mondiale : « En route vers Berlin » ou « Merci grand-père pour la victoire, merci grand-mère pour les bonnes balles ».

Durant les deux dernières décennies, les Russes ont été en mesure de voyager à l'étranger sans restrictions. Cependant, aujourd'hui, un bon nombre d'entre eux semblent prêts à renoncer à ce droit. Le mois dernier, le Kremlin a mis en garde les citoyens russes contre les États-Unis, qui auraient « ouvert la chasse » aux Russes à l'étranger. Quelques Russes ont en effet été arrêtés et extradés vers les États-Unis : le marchand d'armes Viktor Bout par exemple, accusé de fournir une assistance à des terroristes, ou le pirate Vladimir Drinkman, accusé d'avoir volé des millions de numéros de cartes de crédit. Il n'y a aucune menace crédible contre les Russes ordinaires, mais la campagne de Sourkov a un impact profond.
Plutôt que de risquer les moqueries par des affirmations extravagantes (un élément de base de la propagande soviétique), selon lesquelles la Russie pourrait un jour surpasser économiquement l'Occident, Sourkov ravive une émotion plus ancrée et plus sûre : la peur. Quoi que pensent les Russes du malaise économique du pays (le PIB devrait se contracter de 3,8 % cette année, tandis que l'inflation pourrait dépasser les 15 %), ils sont assurés que leur situation serait encore pire sans Poutine.
Et les Russes se sont rangés derrière cette doctrine. Il y a quelques années, une personne sur dix environ semblait porter un ruban blanc, un symbole de protestation contre Poutine. Aujourd'hui, on a plutôt l'impression qu'environ un Russe sur trois porte le ruban Saint-Georges, un symbole orange et noir de patriotisme et de loyauté envers le Kremlin. Ceux qui ne portent pas le ruban risquent d'être interrogés (et pas très poliment) sur les raisons de leur choix.

C'est une stratégie insidieuse et efficace, qui marginalise les dissidents et génère l'impression d'un soutien quasi universel au régime. Lors de ma dernière visite à Moscou, j'ai remarqué qu'une amie, une chanteuse à l'Opéra du Bolchoï, avait attaché un petit ruban Saint-Georges à sa Mercedes blanche. Bien qu'elle ne soit pas favorable à Poutine, elle n'a pas voulu se distinguer inutilement.
C'est par de petites redditions comme la sienne que des hommes comme Sourkov finissent par l'emporter. Les citoyens qui font semblant d'être loyaux renforcent une culture du conformisme. La dissidence une fois supprimée, l'authenticité de la loyauté des citoyens devient hors sujet. En effet, comme Goebbels, Sourkov a très bien compris que lorsque la vie publique et l'expression privée peuvent être transformées en un théâtre, il n'y a plus aucune différence entre la représentation et la réalité.

© Project Syndicate, 2015.

 

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En Russie soviétique, tout le monde se savait surveillé. Toute déviance par rapport au comportement reconnu par les autorités était considérée comme suspecte et était la plupart du temps punie. L'État soviétique se considérait en guerre contre à peu près tout : les espions étrangers, les ennemis de classe, les personnes qui portaient des blue jeans ou qui jouaient du jazz....

commentaires (2)

En somme l'ère Poutine serait une salade russe aux ingrédients tsaristes et soviétiques.

Halim Abou Chacra

19 h 21, le 24 juin 2015

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Commentaires (2)

  • En somme l'ère Poutine serait une salade russe aux ingrédients tsaristes et soviétiques.

    Halim Abou Chacra

    19 h 21, le 24 juin 2015

  • J'espère quelle est bien payée ..pour dire tant de balivernes en un seul article...

    M.V.

    15 h 02, le 24 juin 2015

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