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Moyen Orient et Monde

Une guerre des valeurs contre la Russie

Le président russe, Vladimir Poutine. Alexander Nemenov / AFP

Les autorités russes ont récemment menacé de viser des missiles nucléaires sur des navires de guerre danois si le Danemark ralliait les rangs du bouclier de défense antimissile de l'Otan. Voilà évidemment une menace quelque peu provocatrice dirigée vers un pays qui n'a aucun motif d'attaquer la Russie. Mais qui reflète un facteur plus fondamental de la politique étrangère du Kremlin : une quête désespérée pour maintenir l'influence stratégique de la Russie à un moment où son autorité est contestée comme jamais.
Évidemment, les dirigeants de la Russie sont très au fait que le bouclier antimissile de l'Otan n'est pas du tout dirigé contre leur territoire. Dans le cadre de mes fonctions de secrétaire général de l'Otan de 2009 à 2014, j'ai maintes fois répété que le but était de défendre les membres de l'Alliance contre les menaces qui pourraient provenir de l'extérieur de la zone euro atlantique. Quiconque possède la moindre connaissance en physique et en génie, deux domaines où la Russie excelle, peut s'apercevoir que le système est conçu uniquement à cette fin.
Les menaces nucléaires de la Russie, envers le Danemark et les autres pays, sont le signe distinctif d'un pays affaibli sur le plan économique, démographique et politique. L'Otan n'a pas activement cherché à harceler la Russie, comme la propagande du Kremlin le laisse entendre. Le présent conflit entre la Russie et l'Occident, concentré sur la crise en Ukraine, est au cœur même d'un affrontement de valeurs.
Souvenons-nous de la façon dont le conflit s'est déclaré en Ukraine : des dizaines de milliers de citoyens ukrainiens de tous les pans de la société revendiquaient, par des manifestations essentiellement pacifiques, un accord d'association avec l'Union européenne. Personne n'a lancé d'appel prônant des pogroms pour expulser les locuteurs russes de l'Ukraine, même si le Kremlin prétend le contraire. Et rien dans l'accord ne sous-entendait que l'Ukraine joigne l'Otan.
Pourtant la Russie a réagi promptement et sans ménagement. Bien avant que les manifestations ne plongent le pays dans la violence, les autorités russes se sont mises à traiter les manifestants de néonazis, de radicaux et d'agents provocateurs. Viktor Ianoukovitch, le président déchu de l'Ukraine, venait à peine de quitter Kiev, que le président de la Russie Vladimir Poutine fomentait déjà l'annexion de la Crimée.
Non seulement l'intervention russe a grossièrement bafoué le droit international, elle contrevenait directement au leitmotiv de la Russie voulant qu'aucun pays n'ait le droit d'assurer sa sécurité aux dépens d'un autre. Les manifestants ukrainiens ont défilé pour s'opposer au gouvernement de l'Ukraine, et non à celui de la Russie. En fait, la notion même que l'Ukraine constituerait une menace militaire envers la Russie est tout à fait incohérente. Même si l'Ukraine était membre de l'Otan, un acte d'agression militaire contre la Russie serait un scénario plus qu'improbable, car il ne servirait aucun des intérêts des alliés.
Pour la Russie, la menace que représentaient les manifestants ukrainiens est d'ordre existentiel. En réclamant des changements, de la liberté et de la démocratie – au seuil même de la Russie –, les manifestants ont défié le modèle de Vladimir Poutine d'une « démocratie souveraine » dans laquelle le président élimine la moindre opposition, restreint la liberté de la presse et déclare ensuite à ses citoyens qu'ils ont le pouvoir de décider qui les dirigera. Le Kremlin craignait que si les attentes des Ukrainiens étaient comblées, les Russes ne se mettent à vouloir la même chose.
C'est ce qui explique pourquoi les dirigeants de la Russie se sont empressés de dépeindre les dirigeants de l'Ukraine comme issus de mouvements fascistes antirusses. Les États baltes ont été présentés pendant des années de la même manière comme des névrosés au pouvoir pour opprimer les citoyens d'origine russe. Et c'est aussi pour cette raison que l'UE y est décrite comme décadente, immorale et corrompue. Le Kremlin s'acharne à essayer de convaincre la population russe que la démocratie libérale est néfaste et que la vie est douce sous le règne de Poutine. Il faut, pour ce faire, répandre chez soi des faussetés accablantes, mais aussi semer la violence et l'instabilité chez ses voisins.
Devant une campagne massive de propagande russe, l'Occident doit continuer de se porter au secours de l'Ukraine, de la Géorgie et des membres de l'Otan comme l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Même si l'exercice sera douloureux, il faudra à tout prix maintenir – et, le cas échéant, durcir – les sanctions contre la Russie dans le but de consolider la première ligne de défense de l'Otan. Mais nous devons affronter la réalité que, finalement, il faudra sans doute payer le prix de notre défense.
Le plus grand atout de l'Occident est la démocratie ; c'est ce qui lui a permis d'assurer la paix pendant deux générations et de mettre un terme aux régimes communistes en Europe sans coup férir. Même si la démocratie libérale est un système imparfait, il demeure la meilleure défense contre l'extrémisme et l'intolérance et le plus grand promoteur du progrès humain.
Si l'Ouest laisse la Russie s'attaquer à ses voisins simplement parce que les Russes chercheraient alors à entreprendre des réformes, il enverra un message que les valeurs démocratiques ne valent pas la peine d'être défendues, ce qui porterait atteinte au modèle de prospérité et de liberté que l'Occident représente et que des sociétés dans le monde entier espèrent reproduire. Ce recul éliminerait non seulement le reliquat de l'autorité morale de l'occident, mais également la mission qui anime l'Otan.
En suivant cette voie, l'Occident porterait le flanc aux attaques de Poutine et à celle des agresseurs de même acabit. Ce serait aussi un affront à toutes ces personnes courageuses dans le monde entier qui ont constamment risqué leurs vies dans leur quête de liberté et de démocratie.
Personne ne sera dupe des maîtres de la désinformation du Kremlin. Le conflit en Ukraine ne gravite pas autour de l'Ukraine ni de la Russie, ou même de l'Otan. L'enjeu est la démocratie. L'Occident se doit d'agir en conséquence.

© Project Syndicate, 2015.

Les autorités russes ont récemment menacé de viser des missiles nucléaires sur des navires de guerre danois si le Danemark ralliait les rangs du bouclier de défense antimissile de l'Otan. Voilà évidemment une menace quelque peu provocatrice dirigée vers un pays qui n'a aucun motif d'attaquer la Russie. Mais qui reflète un facteur plus fondamental de la politique étrangère du...

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