De son mysticisme religieux à son expression contemporaine, l'art iranien exsude la poésie. Une poésie qui, chez une célèbre photographe iranienne établie aux USA, Shirin Neshat, devient un procédé de contestation sociopolitique de son pays d'origine. En témoigne une importante exposition de ses œuvres présentée par le musée Hirshhorn et intitulée Shirin Neshat : Facing History. De son exil (après une naissance et une jeunesse en Iran), elle explore l'Iran, pays pré et post-révolution islamique, traçant les changements politiques et sociaux à travers de puissantes images de femmes couvertes de textes poétiques calligraphiés, comme marquées par l'empreinte de l'enfermement. Selon elle, « l'histoire de la censure en Iran a poussé les gens à adopter la métaphore qui véhicule, qui ne peut pas se dire ouvertement ». Ainsi, l'une de ses photos donne à voir une femme qui pose un doigt sur ses lèvres, pour s'empêcher de parler. Sur son visage, elle a tracé des vers du poète iranien Forough Farrokhzad, où le chantre de la féminité compare les désirs des femmes à un jardin qui se meurt dans la chaleur de l'été. Cette œuvre fait partie d'une série qu'elle a intitulée Les femmes d'Allah.
« Ce qu'il est permis de montrer est poignant »
Parce que la traditionnelle société persane contraint la femme à la passivité, un simple geste peut avoir un grand pouvoir expressif. Shirin Neshat affirme : « Les mains, le voile, la bouche, ces choses qu'il est permis de montrer deviennent profondément poignantes. » Comme l'est une autre prise de sa caméra qui a fixé, comme un envol d'oiseaux, des silhouettes féminines enveloppées de tchadors noirs et s'adonnant à l'air d'une plage. Elle est placée dans sa série Extase. Ailleurs, elle évoque les problèmes de l'heure (le Mouvement des verts et le Printemps arabe), toujours en se référant à son patrimoine culturel : The Book of Kings (titre d'un ancien livre iranien, Shahnameh) est un mélange de poésie mythique du passé et d'une intense et bouillonnante poésie contemporaine, puisée notamment chez les prisonniers. Notre maison brûle, ce sont les victimes du Printemps égyptien laissant derrière eux des visages endoloris que la photographe couvre de minuscules calligraphies, à peine visibles.
Shirin Neshat.
« Iranité » de l'art
Ayant acquis une renommée internationale (un Lion d'or en 1999 à la 18e Biennale de Venise), Shirin Neshat, bien installée dans son statut cosmopolite, continue de cultiver l' « iranité dans son art ». Cela se lit aussi dans son allure : vêtement « in », mais maquillage et accessoires à la manière de son pays.
Elle tient ceci de son père médecin, dont elle dit : « Il a fantasmé et idéalisé l'Ouest, et a lentement rejeté ses propres valeurs ; mes parents étaient ainsi. Ce qui s'est produit, je pense, c'est que leur identité s'est lentement dissoute. » Dans cette volonté d'occidentalisation, Shirin Neshat a été inscrite dans une école catholique de Téhéran. Et, contrairement à la pratique conventionnelle de l'époque, le père a envoyé ses filles et ses fils à l'université pour faire des études supérieures. Toutefois, ses grands-parents maternels lui on inculqué les valeurs religieuses.
Dans le cadre de son exposition washingtonienne, l'art de Shirin Neshat va faire l'objet d'un débat à trois voix au Think Tank Woodrow Wilson Center. Les discussions porteront sur ses créations originales, qui s'articulent sur le dilemme politique et culturel qu'affrontent les femmes dans une société qui cherche à slalomer entre l'islam et l'Occident.
Elle se présente ainsi : « Je suis une artiste et non une activiste... Un réalisme magique permet à l'artiste d'injecter à ses œuvres des strates de significations, sans être évidentes. Dans la culture américaine, où la liberté d'expression existe, cette approche peut paraître forcée. Mais ce système de communication est devenu très iranien. »
Lire aussi
« L’Iran est une nation de poètes »