Le régime syrien, affaibli par quatre ans de guerre, est en train de se résoudre à une partition de facto du pays en limitant ses ambitions à la « Syrie utile », estiment personnalités proches du pouvoir, diplomates et analystes.
Cette stratégie a été illustrée par le retrait jeudi de l'armée de la ville de Palmyre après l'offensive lancée par les jihadistes du groupe État islamique (EI). « Il est tout à fait compréhensible que l'armée syrienne se replie pour protéger les grandes agglomérations où se trouve une grande partie de la population, dont une partie a fui les jihadistes de l'organisation État islamique (EI) et du Front al-Nosra », la branche syrienne d'el-Qaëda, explique à l'AFP Waddah Abed Rabbo, directeur d'al-Watan, quotidien proche du pouvoir.
Pour lui, « ce n'est plus à l'armée syrienne de lutter seule contre le terrorisme. Il faut que le monde réfléchisse si l'établissement d'un ou deux États terroristes est en sa faveur ou pas », ajoute-t-il, en faisant allusion à la proclamation par l'EI d'un « califat » à cheval sur la Syrie et l'Irak, et au désir du Front al-Nosra de créer un « émirat islamique » dans le nord de la Syrie.
Depuis le début de la révolte contre Bachar el-Assad en 2011, le territoire aux mains du régime s'est réduit comme peau de chagrin. Il ne contrôlerait plus que 22 % du territoire, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), mais c'est là que vit la majorité de la population. Le géographe français Fabrice Balanche estime que 10 à 15 % de la population vit sur les territoires contrôlés par l'EI, 20 à 25 % sur ceux entre les mains du Front al-Nosra et ses alliés, 5 à 10 % sous l'autorité des milices kurdes et 50 à 60 % dans des régions gérées par le régime.
« Garde prétorienne »
« La division de la Syrie est inévitable. Le régime veut contrôler le littoral, les deux villes du centre du pays Hama et Homs, et la capitale Damas », affirme un homme politique syrien proche du régime, qui ne veut pas être identifié. « Les lignes rouges fixées par les autorités sont les routes Damas-Beyrouth et Damas-Homs, ainsi que le littoral avec les villes comme Lattaquié ou Tartous », ajoute-t-il.
Le nord, l'est et le sud du pays sont déjà aux mains des rebelles et des jihadistes. Et, depuis l'échec de sa dernière offensive en février pour couper l'approvisionnement des rebelles à Alep, l'armée est partout sur la défensive, à l'exception de Qalamoun, à la frontière avec le Liban, mais ce sont les combattants chiites du Hezbollah libanais qui sont à l'avant-garde.
Pour l'homme politique syrien, « l'armée doit combattre sur trop de fronts, et les rebelles et les jihadistes cherchent désormais à l'épuiser en attaquant en plusieurs endroits à la fois ». « L'armée syrienne est devenue aujourd'hui une garde prétorienne chargée de protéger le régime », estime un diplomate étranger qui se rend régulièrement à Damas. « Quant aux responsables syriens, ils sont bien sûr inquiets mais pas aux abois, car ils sont convaincus que l'Iran et la Russie ne les lâcheront pas », dit-il.
Inspiration iranienne
Plusieurs experts estiment que le changement de stratégie a été initié par Téhéran, qui considère qu'il vaut mieux tenir moins de territoires mais bien les tenir. « L'Iran a vivement conseillé aux autorités syriennes de se rendre à l'évidence et de changer de stratégie en ne protégeant que les zones stratégiques », selon Haytham Manna, un vétéran de l'opposition.
Pour Aram Nerguizian, expert en affaires militaires au Centre des études stratégiques et internationales aux États-Unis, « le régime semble s'être rangé à l'idée de sécuriser et de défendre l'essentiel avec 175 000 hommes dont il dispose en comptant l'armée, les milices, le Hezbollah et les combattants chiites afghans ». « En tout cas rien n'indique un prochain effondrement du régime surtout s'il change de stratégie. Même si elle peut paraître démoralisante à certains, une stratégie moins offensive va resserrer ses lignes d'approvisionnement et donner plus de marge de manœuvre à son commandement », note cet expert.
« Pour survivre, le régime devra revoir à la baisse ses prétentions et se concentrer sur l'axe Damas-Homs-côte », souligne également Thomas Pierret, un expert de la Syrie. « Militairement, le régime conserve probablement les moyens de tenir longtemps la moitié sud-ouest du pays, mais une poursuite des défaites pourrait le fragiliser de l'intérieur », assure ce maître de conférence à l'université d'Édimbourg. Selon l'OSDH, 68 000 soldats et supplétifs ont été tués depuis le début du conflit, qui a fait 220 000 morts au total. Pour Fabrice Balanche, « le gouvernement de Damas a toujours une armée et le soutien d'une partie de la population. Nous allons vers une partition informelle avec des lignes de front qui peuvent encore bouger ».
Pour mémoire
Cette stratégie a été illustrée par le retrait jeudi de l'armée de la ville de Palmyre après l'offensive lancée par les jihadistes du groupe État...
Piètre résultat pour le régime syrien qui régnait par la terreur. Et le pire reste à venir. Que Dieu ait pitié des civils syriens. Le morcellement de la Syrie en trois parties: alaouite, sunnite et kurde est en marche. Mais combien de morts faudra-t-il compter avant d'en arriver là? Quel gachis! N'aurait-il pas mieux valu négocier avec l'opposition au tout début de la rébellion du peuple syrien?
16 h 26, le 26 mai 2015