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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Si ce soir, j’ai envie d’me casser la voix...

Depuis son invention par l'homme d'affaires Daisuke Inoue au début des années 70, la machine à karaoké (qui signifie orchestre vide en japonais) a fait mieux que survivre : elle a prospéré et s'est répandue. Jusqu'à même devenir un rituel incontournable de la nuit beyrouthine.

Si ce soir, vous n'avez pas envie de rentrer tout seul. Si ce soir, vous n'avez pas envie de rentrer chez vous. Si ce soir, vous n'avez pas envie de fermer votre gueule. Si ce soir, vous avez envie de vous casser la voix... Eh bien, il n'y a qu'à la chercher. Longer la rue Monnot aujourd'hui snobée et la retrouver, cette enseigne dont on devine quelques zébrures lumineuses indiquant le K of B : Karaoké of Beirut. Car voilà, ce n'est pas seulement en Asie, où cette passion a vu le jour dans une machine inventée par un certain Daisuke Inoue, qu'on se réunit entre copains ou seul avec un micro à la main pour jouer aux chanteurs et toute la nuit... se casser la voix.

« L'Oiseau bleu » ?
Une fois franchie la porte de ce temple en pierre où se réfugient des versions ratées de Shirley Bassey et Jacques Brel, on se croirait quelque part entre caverne d'Ali Baba et chalet montagnard des années 70. Car, disposées sur le bar à l'entrée, trônent des marmites à fondue, comme s'il fallait absolument écouler le stock de fromage de la veille. Quoi qu'à y penser, échauffer ses cordes vocales avec une savoyarde pour mieux les étirer sur un bon vieux L'Oiseau bleu n'est pas une si mauvaise idée.
Il est 22h00 et, pour le moment, dans les enceintes, c'est la vraie Maria Carey qui entonne son sempiternel Without You pendant que, planqué dans un coin, un couple flirte copieusement. Sur les tables basses, les cacahuètes font une drôle de tête et un carnet format A4 plastifié indique les morceaux disponibles. Un large répertoire qui va des valeurs sûres du karaoké, les Johnny Hallyday et autres as des octaves à la Tina Turner et Elvis, à des artistes moins habituels, Isabelle Adjani, Lana Del Rey, Erasure.

S'époumoner, avec ou sans micro
À peine le temps de feuilleter ce gros pavé que les lumières s'estompent, l'écran s'illumine et que, apparue de nulle part, une jeune femme entonne maladroitement les premières notes de La Foule. Emportée, traînée, entraînée, écrasée, les r se roulent et on assiste à une version locale approximative du fameux titre de Piaf. Au moment du refrain, également sorti de l'obscurité, un homme, la quarantaine, rejoint la chanteuse d'une voix aux notes imperturbables. C'est Alfred, le propriétaire des lieux. « J'ai toujours aimé le karaoké, par essence démocratique. Tout le monde peut chanter, à condition d'avoir assez bu », s'amuse-t-il. Mais aujourd'hui encore, il s'étonne lorsque, quelques minutes plus tard, il aura suffi de trois morceaux pour que la quasi-totalité de l'endroit soit debout, s'époumonant, avec ou sans micro, dans un anglais ou un français approximatif, reprenant avec passion les paroles de ces titres, pour la plupart guimauves et has been.
On boude les Avril Lavigne, Jason Mraz et autres Maroon 5 proposés par l'établissement, et on se délecte lorsque Allumez le feu ou Dancing Queen s'invitent sur les écrans, accompagnés de quelques notes version stéréo. En fond d'écran, derrière les paroles qui s'illuminent dans une cadence bien précise, la trame de ces chansons est à peu près tout le temps la même et n'a souvent rien à voir avec le thème : une fille, un gars, une rencontre, un amour contrarié, et finalement on se rabiboche après moult claquements de portes et de verres brisés. En général, quoi qu'il arrive, les mecs ont l'air très triste et certaines vidéos sont tellement à l'eau de rose qu'elles feraient passer les séries mexicaines pour des films d'art et d'essai. Le tout dans un décor de plage pseudo-Malibu ou dans une forêt pour le moins suspecte. Mais ça marche.

Ils suent de tous leurs pores
Tout le monde connaît les chansons et tout le monde y va de son petit couplet, mais on ne chante pas dans son coin, dans sa barbe ou du bout des lèvres : on chante vraiment (et fréquemment très faux) et certains, cheveux ébouriffés et bras en l'air, auraient confondu ce fief de Monnot avec la scène de l'Olympia. On quémande du Francis Cabrel, du Brel, parfois du Renaud pour s'aventurer, le sacro-saint Hotel California, on grimpe des octaves sur My Way. On se dispute le refrain de I Love Rock & Roll, dilate nos cordes vocales sur du Dalida et on prend un air de circonstance sur Céline Dion, du moment que c'est ringard. Personne n'est suspendu à son téléphone, les fêtards ont presque oublié le temps. Ces chanteurs en herbe suent de tous leurs pores et libèrent le rockeur ou la Callas qui somnolent en eux. Comme quoi, le chœur a ses raisons... Les filles ont les cheveux en pétard et les hommes déboutonnent leurs chemises, dans un même élan musical cathartique. Avant que, soudain, un voisin ne décide de se plaindre à cause du bruit, en plein refrain d'Alexandrie, Alexandra.
Peu importe, la voix un peu éraillée, l'air hirsute, il est temps de rentrer et de refermer la porte du Karaoké of Beirut en y laissant derrière soi les fantômes de Claude François et amis.

 

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Si ce soir, vous n'avez pas envie de rentrer tout seul. Si ce soir, vous n'avez pas envie de rentrer chez vous. Si ce soir, vous n'avez pas envie de fermer votre gueule. Si ce soir, vous avez envie de vous casser la voix... Eh bien, il n'y a qu'à la chercher. Longer la rue Monnot aujourd'hui snobée et la retrouver, cette enseigne dont on devine quelques zébrures lumineuses indiquant...

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JE VAIS DANS LES BOIS ET JE CHANTE À PLEINE VOIX !

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 25, le 10 mai 2015

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Commentaires (2)

  • JE VAIS DANS LES BOIS ET JE CHANTE À PLEINE VOIX !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 25, le 10 mai 2015

  • LE KARAOKÉ À LA MODE PARTOUT DANS LE MONDE... UN SUCCÈS !

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