Jassem Issa Khaled, pêcheur et réfugié palestinien, qui vivait à Dalieh depuis trois ans.
« L'État libanais ne respecte pas ses citoyens », crie une jeune femme à côté d'immenses débris et gravats de ce qui était auparavant sa maison et son petit commerce familial. Ces signes apparents de destruction jonchent depuis samedi le sol de Dalieh, l'un des derniers espaces publics de la côte qui fait face à la célèbre Grotte aux pigeons de Beyrouth. À cinq heures du matin, samedi, « deux bulldozers et 200 policiers armés sont venus nous réveiller, ils nous ont frappés pour nous sortir de nos habitations et nous ont menottés, puis ils se sont mis à détruire nos maisons sous nos yeux. Nous n'avons même pas eu le temps de récolter nos affaires, le bébé de 9 mois de mon frère a été arraché des bras de sa maman ! Plus d'humiliation que cela, il n'y a pas ! » raconte Zeinab Itani qui vivait depuis des années avec sa famille dans ces petites maisons de fortune au bord de la mer.
En tout, 14 familles ont été délogées de force ce samedi matin, et toutes déplorent la violence avec laquelle les policiers les ont traitées : « Je dormais paisiblement la nuit avec ma femme lorsqu'ils (les policiers, NDLR) nous ont brutalement réveillés, ils sont rentrés de force dans nos maisons, je me suis cru en Palestine ! » témoigne Jassem Issa Khaled, pêcheur et réfugié palestinien qui vivait à Dalieh depuis trois ans, en revenant de l'hôpital suite aux coups de bâton qu'il a reçus sur ses côtes dans la matinée.
Pour ces familles, c'est l'incompréhension. « On paie des taxes comme tout le monde, et au lieu de cela, on n'est même pas traité comme des citoyens, ni même comme des humains ! » s'indigne Zeinab Itani. Ces familles vivaient depuis des générations sur ce terrain. Seulement, depuis plusieurs années, nombre d'entre elles se sont vu offrir des compensations par des investisseurs privés pour quitter le site, en raison d'un grand projet qui vise à privatiser cette côte.
(Lire aussi : Un concours d'idées pour préserver la côte de Dalieh)
Bien que consciente des menaces qui pesaient sur leurs habitations, Samira Itani, née en 1962 à Dalieh, explique : « Mon père s'est installé ici en 1950, on fait partie des premières familles de Dalieh. Depuis quelques années, on a vu des familles partir, on pensait que notre tour viendrait et qu'ils nous proposeraient à nous aussi des compensations ou des solutions de logement alternatif, mais ce n'est jamais arrivé ! » La famille Itani affirme n'avoir jamais été prévenue qu'elle allait se faire expulser. Mais il y a trois semaines, une forte tempête a dévasté un grand nombre d'habitations proches de la mer. Pour réparer ces dégâts, la famille a demandé un emprunt à la banque de 12 000 dollars. Le banquier a accepté leur requête et les travaux se sont achevés la semaine passée. Pourtant, jeudi dernier, le banquier a recontacté la famille pour l'avertir qu'elle n'avait pas, en réalité, le droit de construire sur ce terrain alors que les travaux étaient déjà finis et l'emprunt épuisé. Depuis ce jour, Zeinab avoue être terriblement troublée et stressée par les propos du banquier. Toutefois, elle n'a jamais soupçonné la police de les expulser de la sorte un samedi en pleine nuit : « Si ça s'était passé un lundi, on aurait pu entamer des négociations ou mobiliser l'opinion publique. »
Jamila Itani, la tante de Zeinab, remercie Dieu « que ce soit arrivé en été... En attendant mardi, on n'a pas le choix, on va dormir dehors sur ce qui reste de nos matelas », affirme-t-elle.
Les familles espèrent recevoir d'ici à mardi des explications quant au sort que l'État leur réserve. Si ce n'est pas le cas, elles envisagent d'organiser une manifestation. En attendant, elles tentent péniblement de retrouver certains de leurs biens ensevelis sous les décombres. Les pères de famille, presque tous pêcheurs, entament des recherches actives pour retrouver ce qui reste de leur matériel de pêche. Mohammad Itani pêche à Dalieh depuis son plus jeune âge. « Je suis né avec la mer », dit-il fièrement. Aujourd'hui, il est dépité face à l'ampleur des dégâts : « J'avais deux nouveaux moteurs de bateau qui m'ont coûté 5 000 dollars, aujourd'hui, je n'ai plus rien, il ne reste plus rien ! »
Privatisation du littoral
Ces événements surviennent un peu plus d'un mois après que le ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk, eut soumis un projet de décret qui vise à classer Dalieh comme site naturel. Les membres de la Campagne de Dalieh, qui militent en faveur de la préservation d'un espace publique sur la côte, avaient d'ailleurs vu en ce soutien politique une chance de sauver le littoral menacé par un projet privé de construction. Pour rappel, trois sociétés foncières – qui appartiennent aux héritiers de Rafic Hariri, selon des sources concordantes – avaient déjà intenté un procès auprès du juge des référés en 2014 pour déloger les pêcheurs de cette côte de la zone de Raouché.
Ghassan Halwani, militant de la Campagne de Dalieh, présent sur les lieux samedi après-midi pour constater l'ampleur des démolitions, regrette « qu'il soit impossible d'établir un dialogue avec les autorités ». Il déplore également cette intervention policière trop musclée et s'interroge sur cette attitude de « on vient, on détruit tout » qui semble trop souvent se répéter dans le cadre du dossier Dalieh.
(Lire aussi : « Des terrains publics, d'une valeur de 500 millions de dollars, menacés de privatisation à Beyrouth »)
Un tout autre discours
Du côté de la police, les informations diffèrent des propos tenus par les familles délogées. Selon une source des Forces de sécurité intérieure, la police aurait averti plusieurs fois ces familles qui refusaient de quitter leurs habitations alors qu'elles vivaient sur des terrains qui ne leur appartenaient pas. Il s'agit, selon cette source des FSI, « de constructions illégales », et la police n'a fait qu'appliquer la loi. Lorsque l'on évoque le cas des stations balnéaires construites illégalement sur le littoral au cours de ces dernières années, cette même source déclare que cela concerne « un tout autre sujet ». Interrogé sur le recours à la violence lors de cette intervention et les motifs qui ont poussé les policiers à procéder à cette expulsion en pleine nuit, la même source affirme qu'il n'y a pas eu de violence : « La force a été utilisée en dernière solution, nous n'avons procédé à aucune arrestation et les opérations ont été menées en matinée pour éviter toute manifestation. » Enfin, en réponse à une question sur la raison d'un déploiement de plus de 200 policiers, la source précitée explique qu'il s'agirait de « règles de sécurité ».
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commentaires (2)
Ok squatter le domaine public maritime est interdit pour tout le monde ...mais ,c'est encore plus scandaleux , que les marchands de béton sur/mer, "s'emparent eux légalement" ( bakchich système )et violation des lois ,du domaine foncier publics ,du patrimoine maritime ...l'accès à la mer gratuit pour tous , devrait être garanti et inscrit dans la constitution en Phénicie ...!
M.V.
09 h 35, le 04 mai 2015