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Nos Lecteurs ont la Parole - Le centenaire du génocide arménien

Lettre ouverte à SE Recep Tayyip Erdoğan

Vatcheh Nourbatlian.

« Le gouvernement de la RFA et la grande majorité du peuple allemand sont conscients de la souffrance incommensurable infligée aux Juifs en Allemagne et dans les territoires occupés pendant la période du national-socialisme »
Konrad Adenauer : discours au Bundestag, 1951

 

Excellence,

Il y a cent ans, et sous l'impulsion des Jeunes-Turcs, s'accomplissait le génocide des Arméniens de l'Empire ottoman, massacrés sur leurs terres ancestrales ou exterminés sur les chemins de la déportation. Comme vous le savez très bien, un tribunal spécial militaire fut formé en 1919 à Constantinople afin de juger les responsables « unionistes » et « progressistes » de ce génocide. S'appuyant essentiellement sur les travaux de la Commission Mazhar établie le 21 novembre 1918, et en vertu des articles 45 et 55 du code pénal, cette cour martiale condamnait à la peine capitale le Premier ministre Talaat Pacha ainsi que les principaux dirigeants Jeunes-Turcs responsables du génocide.

Quelque vingt années plus tard, d'autres assassins d'État, nazis cette fois, rééditaient l'exploit génocidaire des Jeunes-Turcs en massacrant quelque 6 millions de Juifs dans les camps de concentration et d'extermination d'Auschwitz et autre Birkenau. Suite á ces massacres, un tribunal spécial était formé en novembre 1945 à Nuremberg pour juger les principaux responsables du IIIe Reich. Concept paradigmatique des crimes de guerre et autres crimes contre l'humanité, le terme génocide faisait son entrée officielle dans le code pénal international et se définissait comme « tout acte commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe pour son appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse ». Ce terme de « génocide », forgé par Raphaël Lemkin, conceptualisait parfaitement la nature des actes de « destruction en tout ou en partie » commis contre les Arméniens de l'Empire ottoman et des Juifs du IIIe Reich allemand.

Cependant, et en dépit de l'existence historique de ces tribunaux et des innombrables témoignages qui prouvent la véracité incontestable de ces deux « génocides » archétypiques, des voix s'élèvent encore aujourd'hui pour nier, dans un concert surréel et étatiquement orchestré, l'existence même de ces drames dont la réalité oppressante et incontournable continue à hanter la conscience et la mémoire des peuples victimes de la barbarie. Ce crime de refoulement névrotique de la mémoire, de déni psychotique de l'histoire et de la justification immorale de l'impunité s'appelle naturellement négationnisme.

Excellence,

Cent ans après le génocide impuni des Arméniens et dans le cadre solennel de la basilique Saint-Pierre de Rome, le pape François Ier a osé transgresser le tabou turc du « génocide arménien » en qualifiant les massacres de 1915 du terme hautement symbolique de « premier génocide du XXe siècle ». Votre réaction ne s'est guère fait attendre : au lieu de lire attentivement le message du souverain pontife qui rappelait au « devoir de mémoire », vous avez crié au « délire ». Le tout accompagné de convocation et de rappel spectaculaires d'ambassadeurs accrédités à Rome et Ankara.
Au lieu d'essayer de « comprendre » la prise de position éminemment éthique du pape et fort de votre présupposé négationniste, vous avez fermement dénoncé et a priori ses propos en affirmant que « si les politiques ou les religieux font le travail des historiens, alors on n'aboutira pas aux réalités, ce ne seront que délires ». Jouant la carte de la « consternation » et renchérissant sur votre indignation outrée et vertueuse, vous avez exhorté le pape à ne plus répéter cette « erreur ». Vous avec conclu votre partition en disant qu'il « faut laisser l'histoire aux historiens », tout en réitérant votre proposition de créer une commission conjointe d'historiens turcs et arméniens pour étudier les archives des deux pays sur la problématique et épineuse question du « génocide ».
Ainsi, selon votre logique négationniste, toute allusion au « génocide est et reste délire ». Objet de délire et sujet de délire. Délires : les témoignages des rescapés du génocide. Hallucination, le livre Murder of a Nation de l'ambassadeur des USA, H. Morgenthau. Fantasmagories, les déclarations alarmantes de W. Churchill. Pures fictions, les rapports du consul américain Leslie A. Davis sur les « vilayets/abattoirs ». Romans/fictions, les 145 dossiers/articles des reporters du New York Times pour la seule année 1915. Divagations, les communications des missionnaires étrangers. Folies, surtout, les travaux et enquêtes de la Commission Mazhar sur lesquels s'est basé justement le tribunal militaire ottoman pour condamner les Jeunes-Turcs pour leurs crimes de guerres et crimes contre l'humanité.
Pour ce qui est de la création d'une « commission mixte d'historiens turcs et arméniens pour étudier la question du génocide », il est nécessaire de rappeler que le génocide, dont la réalité massive et incontournable a été maintes fois « recherchée » et vérifiée, n'est pas et ne saurait plus être une question académique ou un exercice de style entre historiens réalistes et négationnistes cogitant sur la part du réel et celle de l'imaginaire. Le génocide n'est pas une histoire : il trahit plutôt une géographie, celle de l'horreur et de la descente aux enfers, celle des caravanes de loques humaines fantomatiques et décharnées, celle des charniers et des crânes fracassés à longueur de vue et de journées, celle de villages incendiés, de couvents rasés, celle des océans de pleurs et de sang dans lesquels se sont noyés les rêves de jeunes gens aux yeux brillant d'espoir et des mariées aux robes noires. Noires. Noires.

Excellence,

Durant vos années de jeunesse, vous clamiez haut et fort que « les minarets sont nos baïonnettes et les mosquées nos casernes ». Les rêveries des janissaires et les aberrations des sultans de droit divin d'autrefois ne sont plus de mise, ne sont plus permises dans le monde d'aujourd'hui. Toutes les baïonnettes et toutes les casernes du monde ne peuvent occulter le réel ou la vérité, ni étouffer la soif de justice ou de liberté des peuples et des nations frustrés. Plutôt que de vous tourner vers les baïonnettes, c'est vers l'Allemagne d'Adenauer que vous devriez tourner votre regard et vos pensées.

S'appuyant sur le principe juridique de la responsabilité, qui énonce clairement que le crime commis sur une victime doit faire l'objet de réparation, Konrad Adenauer prononçait le 27 septembre 1951 son discours historique constituant le point de départ d'un vaste dispositif légal visant à assumer la responsabilité morale des crimes de l'Allemagne nazie et à réparer conséquemment les dommages matériels causés aux Juifs entre 1935 et 1945. Dans un formidable élan de courage et de lucidité, il déclarait : « Mais c'est au nom du peuple allemand que furent commis des crimes indicibles qui exigent une réparation sur les plan moral et matériel, tant pour les dommages individuels subis par les Juifs que pour les préjudices causés aux biens juifs dont les ayants droit individuels n'existent plus aujourd'hui. La RFA veillera à la ratification et à l'exécution rapide d'une législation appropriée. »

Héritière directe de l'Empire ottoman dont elle a assumé et continue à assumer les acquis, les biens confisqués et les vastes territoires cannibalisés et/ou annexés, la Turquie contemporaine reste pareillement responsable ou tributaire, ne serait-ce qu'au niveau moral, de ces crimes et ravages d'empire, dans le Moyen-Orient en général et envers les minorités chrétiennes en particulier.

Excellence,

Au lieu de nier le génocide et de s'engouffrer dans le confort illusoire du déni de mémoire, la Turquie postottomane dont vous êtes l'actuel président devrait réfléchir sur cette responsabilité morale dont parlait le chancelier de l'Allemagne post nazie si elle veut réellement retrouver la place qui lui revient dans le concert des nations vraiment civilisées. Architecte de la Turquie postmoderne, tout comme Adenauer l'était du miracle allemand, jouissant d'un formidable capital de popularité dans votre pays, vous êtes à même aujourd'hui de tirer un trait définitif sur le passé génocidaire ottoman, et cela en surmontant les pièges et mirages du négationnisme et en initiant le processus de réparation qui restent les conditions des retrouvailles et de la réconciliation entre les deux grands peuples de Turquie et d'Arménie.

Dr Vatcheh NOURBATLIAN Professeur universitaire
Ambassadeur du Liban

« Le gouvernement de la RFA et la grande majorité du peuple allemand sont conscients de la souffrance incommensurable infligée aux Juifs en Allemagne et dans les territoires occupés pendant la période du national-socialisme »Konrad Adenauer : discours au Bundestag, 1951
 
Excellence,
Il y a cent ans, et sous l'impulsion des Jeunes-Turcs, s'accomplissait le génocide des...

commentaires (3)

PAS BESOIN DE LA CONFESSION D'ERDO POUR QUE LE MONDE "QUI SAIT" CONDAMNE CET ABJECT ET PRMIER GÉNOCIDE DE L'HISOIRE CONTEMPORAINE... HITLER N'A FAIT QUE SUIVRE L'EXEMPLE...

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 50, le 27 avril 2015

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Commentaires (3)

  • PAS BESOIN DE LA CONFESSION D'ERDO POUR QUE LE MONDE "QUI SAIT" CONDAMNE CET ABJECT ET PRMIER GÉNOCIDE DE L'HISOIRE CONTEMPORAINE... HITLER N'A FAIT QUE SUIVRE L'EXEMPLE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 50, le 27 avril 2015

  • La Verite eclatera tot ou tard....

    Soeur Yvette

    16 h 55, le 26 avril 2015

  • "A qui lis-tu tes psaumes, David" ?

    Halim Abou Chacra

    11 h 30, le 25 avril 2015

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